mercredi 9 mai 2012 - par Marianne

La droite buissonnière et l’usurpation du centre

Ces élections présidentielles auront révélé le vrai visage de la droite, de l'UMP et de ses alliés : une droite qui a sacrifié ses valeurs sur l'autel des calculs politiciens, une droite désormais extrême et populiste, qui a préféré "l'école buissonnière" guidée par les sondages et les mauvais sentiments fondés sur la peur, l'ostracisme, la xénophobie. Ou du moins une droite qui a remplacé clairement les valeurs républicaine liberté-égalité-fraternité par les valeurs "travail-identité-frontières", plus proche aussi des valeurs pétainiste "travail-famille-patrie"comme l'a annoncé Nicolas Sarkozy dans ses derniers discours de campagne, désirant changer le modèle social français.

On sent bien ces tensions au sein de la droite, composée de différents courants et cherchant artificiellement à afficher l'union au sein de l'UMP, que Nicolas Sarkozy arrivait à cimenter par la menace, les chantages électoraux, la conviction qu'il fallait privilégier les chances électorales sur tout le reste. Cette union artificielle devrait semble-t-il selon Nicolas Sarkozy s'afficher jusqu'aux élections législatives de juin 2012, au risque sinon de perdre encore plus de sièges de députés du fait des nombreuses triangulaires prévisibles avec la montée du Front national, favorisant ainsi le PS. C'est entre les deux tours de ces élections législatives que la fissure de l'UMP éclatera au grand jour : la partie qui souhaitera l'alliance avec le FN face au PS et l'autre qui ne voudra pas franchir ce pas et préfèrera laisser passer le PS plutôt que faire passer des candidats du FN même contre des désistements FN pour l'UMP.

Voir cet article de Rue89 "UMP : les cinq familles de l’après-sarkozysme". Après la défaite de Nicolas Sarkozy, l’heure est à la recomposition à l’UMP. De la Droite populaire aux « humanistes ».

On remarquera que les "centristes", ou plutôt les pseudo-centristes (Morin, Sauvadet, Lagarde & Co) et les Radicaux (Borloo & Co) n'apparaissent même pas dans le schéma, au profit de Raffarin et Jouanno : "A l’UMP, on ne dit plus « centristes », mais « humanistes ». En octobre, les anciens de l’UDF avaient déjà tenté de se regrouper au sein d’une association, la Droite humaniste. Une initiative soutenue par Jean-François Copé, inquiet du poids pris à l’autre bout de l’UMP par la Droite populaire. Les humanistes n’ont pas apprécié la droitisation de la campagne, mais la plupart ont préféré ne rien dire. Sauf Chantal Jouanno, qui avait osé dénoncer avant le second tour le « mirage douloureux » de la droitisation."

J'ai en effet trouvé cette "droite humaniste et modérée" bien silencieuse ! Hormis Dominique Paillé (radical proche de Borloo) et Dominique de Villepin, qui a pris ses distances avec l'UMP en 2011, qui a osé critiquer la ligne droitière populiste de Nicolas Sarkozy ?

Celui qui l'a fait de la manière la plus courageuse et la plus claire, c'est François Bayrou, qui a eu droit à un hommage appuyé de Nicolas Demorand dans Libération  : "Ces mots de François Bayrou, l’un des hommes politiques les plus populaires de France, ayant jadis gouverné à droite, resteront comme ceux d’un homme d’honneur. Et d’un homme d’Etat. Combien de ses amis, qui pensent exactement la même chose, auraient dû les prononcer mais se taisent, alors qu’ils assistent depuis le premier tour à la radicalisation extrême de la droite de gouvernement ? "

Ceux qui se taisent à droite, les soi-disant gaullistes, républicains, sociaux ou humanistes, voire "centristes", devraient avoir honte de leur silence. Ils sont ces âmes habituées que Péguy jugeait pires que les âmes perverses :

Il y a quelque chose de pire que d'avoir une mauvaise pensée. C'est d'avoir une pensée toute faite. Il y a quelque chose de pire que d'avoir une mauvaise âme et même de se faire une mauvaise âme. C'est d'avoir une âme toute faite. Il y a quelque chose de pire que d'avoir une âme même perverse. C'est d'avoir une âme habituée. "

Dans une séquence vidéo datant de 2009, François Bayrou parlait de Sarkozy, de Hollande, de ces anciens "amis centristes", de sa vision de l'échéance 2012 et du temps de l'alternance. Il avait déjà tout dit ! C'est impressionnant.

François Bayrou disait en 2009 que ses anciens amis centristes seraient probablement les derniers à le rejoindre dans cette démarche de rassemblement central pour une alternance. Il n'avait sans doute pas tort. En témoigne cette déclaration de François Sauvadet : "Je trouve que c'est du foutage de gueule", avait dit l'élu bourguignon. "Franchement, laisser les électeurs comme ça en déshérence, en leur disant choisissez qui vous voudrez, moi je choisis François Hollande en rupture totale avec ses convictions, franchement, je trouve ça pas bien." Pierre Méhaignerie, ancien garde des Sceaux, confirme que la rupture avec Bayrou est consommée : "François Hollande n'a pas dit la vérité au pays, n'a pas abordé les problèmes de fond et se trompe sur les questions de la compétitivité et de l'endettement. C'est quand même aussi lourd et même plus lourd que le reste". Par cette phrase, il avoue que les questions techniques de programme sur le retour à l'équilibre budgétaire priment sur les valeurs !

Or, ce qui a fait d'abord l'identité des centristes, depuis les démocrates chrétiens, le MRP (mouvement de centre-gauche inspiré par les catholiques de gauche ou sociaux avec Marc Sangnier puis Emmanuel Mounier), ce sont les valeurs, la primauté des valeurs sur les questions politiciennes et techniques.

Quelles sont les valeurs du centrisme ? Comme le décrit ce site lecentrisme.com , ses principales valeurs sont la Liberté, le Respect, la Solidarité et la Tolérance. Son principe d’action politique est le Juste Equilibre. Sa règle comportementale est la responsabilité. Les valeurs de la République "liberté, égalité et fraternité" et de la Démocratie, que Marc Sangnier définissait comme "l'organisation sociale qui porte à son maximum la conscience et la responsabilité des citoyens", un comportement humaniste qui fait primer l'humain sur l'argent et sur l'Etat.

Ainsi, ceux qui se proclament encore "centristes" dans cette droite devenue extrême et populiste, usurpent l'identité du centre, car ne sont plus centristes. Comme la "gauche moderne" de Jean-Marie Bockel avait usurpé l'identité de gauche au sein de l'UMP. Comme la "droite populaire" usurpe le mot "populaire" et devrait plutôt s'appeler la droite "populiste". Si la droite républicaine et gaulliste veut retrouver ses lettres de noblesse, elle devra se distinguer de cette droite buissonnière, populiste, rance, à l'opposé de ses valeurs.

Il est vrai qu'il est toujours délicat de parler de "valeurs", comme je le disais dans un précédent billet intitulé "La campagne présidentielle se fera-t-elle sur les valeurs ?", il faut s’interroger sur un clivage politique marqué par « les valeurs » :

"Les prétendues valeurs républicaines ne sont-elles pas elles-mêmes relatives ou à nuancer et n’est-ce pas plutôt dans l’orientation et l’interprétation que l’on donne à ces valeurs, dans leur équilibre entre elles, que l’on doit trouver le « bien commun » ?

En effet, la liberté, source de l’émancipation de l’homme, peut aussi vouloir dire » individualisme, égoïsme, primauté de soi sur l’autre, dérégulation nuisible sur le plan du commerce, d’un libre-échange incontrôlé.

De même que l’égalité, entendu comme garantie de l’égalité des chances, reconnaissance égale de la dignité de l’homme, qu’il soit fort ou faible, dans ses potentialités, peut aussi nier l’altérité à la source de la personnalité humaine, voire la notion de mérite et d’effort.

Quant à la fraternité, base de l’altruisme, de la reconnaissance de l’autre comme un frère par sentiment d’appartenance à une famille de destin, d’une communauté humaine, fondement de la solidarité entre les hommes, peut aussi a contrario signifier communautarisme, solidarité forcée ou organisée, qui peut remplacer le lien social en remplaçant la relation humaine par une forme matérielle de solidarité, par une relation au système.

On peut donc se proclamer républicain, qu’on soit de gauche, du centre ou de droite, adhérer aux mêmes valeurs proclamées, mais avec un dosage ou des priorités différentes …

Nicolas Sarkozy, dans son entretien au Figaro, avait lui-même annoncé son intention de battre campagne sur les valeurs, en vantant « le travail, la responsabilité, l'autorité, ». En soi, ces valeurs prônées par la droite ne sont pas antagonistes avec l’humanisme prôné par François Bayrou. Ce sont plutôt les valeurs sous-jacentes, non exprimées explicitement par Nicolas Sarkozy mais implicites dans ces déclarations, que réfute François Bayrou.

D’ailleurs, François Bayrou a réagi contre les propos de Claude Guéant sur la prétendue supériorité des civilisations, à la fois en relativisant cette affirmation, rappelant que notre civilisation occidentale a généré le colonialisme, le fascisme, le matérialisme, l'individualisme, et surtout ressenti que cette affirmation avait une intention malveillante, s'attaquant indirectement mais avec évidence à l'islam et aux cultures arabes, visant à opposer les Français les uns contre les autres.

Entre les valeurs proclamées et pas forcément respectées d’un côté, et les valeurs sous-jacentes révélées par les actes ou des sous-entendus et non exprimées de l’autre, il peut y avoir un espace immense, un précipice dans lequel tombent les citoyens peu vigilants, où prospèrent la haine et le ressentiment en même temps que la bonne conscience … Cocktail explosif !"

Si on y réfléchit bien, les valeurs nous rassemblent plus que les questions techniques de programme. Ce clivage paraît bien plus lourd que celui du retour à l'équilibre budgétaire et la compétitivité des entreprises. D'ailleurs, François Bayrou, Nicolas Sarkozy et François Hollande visaient tous un retrour à l'équilibre, Bayrou en 2015 (avec des hypothèses de croissance plus réalistes) en jouant pour moitié sur les recettes fiscales et pour moitié sur les dépenses publiques en les gelant, Sarkozy en 2016 avec plus de réduction de dépenses publiques sans augmenter les impôts, Hollande en 2017 en acceptant une hausse de 1% des dépenses publiques et en augmentant les impôts. C'est finalement bien dérisoire au regard des valeurs ...

Peut-on sérieusement encore parler de "droite" en mettant dans une même famille des clans qui ont des valeurs différentes et qui ont une vision opposée du modèle de société, l'un européen et prétendument républicain et humaniste, l'autre anti-européen et xénophobe ?

L'heure de vérité a sonné et les masques doivent tomber. Laissons à la droite cette deuxième vision, celle que Sarkozy a défendue dans sa campagne, et construisons ce "vrai centre" cher à François Bayrou, ou bien ce repère euclidien droite, centre, gauche, ne signifie plus rien.



3 réactions


  • Voltaire Voltaire 9 mai 2012 10:47

    Chère Marianne, je serai cette fois-ci en désaccord avec toi.

    Voici le vote des électeurs de FB : http://www.huffingtonpost.fr/2012/05/07/report-des-voix-de-marine-le-pen-francois-bayrou_n_1493352.html

    41% Sarkozy, 30% abstention/blanc, 29% Hollande. Soit 71% qui n’ont pas fait le même choix que FB (même si l’on peut aussi indiquer que 59% des électeurs de FB n’ont pas choisi N Sarkozy). Et si l’on analyse l’ensemble des électeurs centristes, cette proportion est bien sûr encore plus importante. Pour autant, chacun sait qu’il y avait aussi un rejet profond de la politique et de la personnalité de NS. Le vote de F Bayrou était moralement logique, mais politiquement suicidaire. Un responsable politique a des devoirs vis à vis de sa famille de pensée, entre autre un devoir d’efficacité pour peser dans le débat. Si un vote Sarkozy était bien sûr exclu, le vote Hollande de sa part (celui de ses lieutenants pouvait demeurer libre) a symboliquement créé une rupture définitive avec le reste de la famille centriste, alors que de très nombreux élus souhaitaient au contraire travailler au rassemblement.

    Il me semble qu’il y a urgence à rebâtir un mouvement central sur des bases plus solides. Politiquement, je persiste à penser que cela ne peut se faire que dans l’opposition à un gouvernement PS, simplement parce que l’on se situe dans l’opposition quand on n’approuve pas le budget de la majorité. Et je ne vois pas comment approuver le budget du futur gouvernement PS, qualifié par F Bayrou « d’intenable ». Même si cela n’empêchera pas d’approuver des mesures spécifiques, sur la justice par exemple. Mais il faut aux électeurs un positionnement suffisamment clair.

    Sur le fond, je souhaiterais que les centristes rebâtissent un projet de société qui prenne en compte certaines priorités oubliées ou mal communiquées, au-delà des éléments classiques sur la gestion des finances etc. :

    - L’aménagement du territoire : le vote FN a illustré le sentiment d’abandon des territoires. Il faut rompre avec les stratégies passées de concentration des emplois et des infrastructures sur quelques pôles au profit d’un système de maillage plus équilibré et coopératif ;
    - Le produire en France a été une grande idée de FB ; qui a curieusement été oubliée par FH ; il faudra le développer de façon pragmatique, car au-delà de l’idée générale, les modalités d’application n’ont pas été détaillées de façon convaincante ;
    - L’intégration ; il faut arrêter de se voiler la face, et j’ai trouvé NS plus réaliste sur ce sujet que FH, même s’il a commis l’erreur de mélanger immigration et intégration. Nous avons un vrai problème d’intégration en France, et non un problème d’immigration ; ce problème touche principalement des français. Il faut proposer des solutions, qui passent par l’école, la politique urbaine/banlieues (contre les ghettos) etc., mais aussi une rénovation de notre approche de la citoyenneté ; ne laissons pas cela au FN.
    - L’entreprenariat ; là aussi, sujet peu abordé, même s’il a été un peu avancé par FB ; il y a un vrai de travail de fond pour développer l’esprit d’entreprise, pas nécessairement à but lucratif d’ailleurs, mais qui constitue une vraie réponse à l’intégration, à l’ascenseur social, à l’assistanat, mais qui exige des soutiens plus nombreux.
    - Une nouvelle Europe ; gigantesque chantier, mais indispensable si on ne veut pas glisser vers un nationalisme rampant et dangereux.

    Politiquement enfin, j’aimerais que la nouvelle génération de « centristes » puisse prendre un rôle plus important, car il faut se tourner vers l’avenir, et laisser derrière nous les anciennes querelles. Les « anciens » doivent les y aider. Et cela commence par une politique cohérente pour les législatives…

    Le « centre » est miné par les querelles d’anciens qui ressassent des haines recuites. Je ne pense pas que l’heure soit à villipender des personnes qui pensent à peu près toutes la même chose sur le fond.

    La page Sarkozy est tournée. Si les centristes se rassemblent, et à mon avis cela n’est possible que dans l’opposition au PS en raison du vote sur le budget, alors ils peuvent proposer quelque chose de constructif pour la suite. Mais pour peser, il ne peut pas y avoir d’exclusive au prétexte que l’un a été moins courageux que l’autre. Il existe une courte fenêtre d’action, pendant que l’UMP traverse sa guerre de succession. Cela ne durera pas.


  • eric 9 mai 2012 17:41

    J’imagine que nous avons tous les mêmes sources, le sondage opinion way ;

    La conclusion est claire, le centre, c’est l’UMP derrière Sarkozy. Il suffit de voir à quelles valeurs adhèrent majoritairement les électorats respectifs.
    Europe, minimum de rigueur budgétaire, souci de justice, esprit d’entreprise, etc

    L’électorat UMP est le seul ou on trouve une relative mixité sociale, ce qui fut longtemps une caractéristique du centre.
    C’est aussi pourquoi il est le seul à pouvoir efficacement parler et à des modems, et à des Fn,
    Du reste, historiquement, ce sont toujours des centristes qui ont fait des alliances locales avec le FN....

    Ce qui reste du modem brille au contraire par l’homogénéité et l’absence totale des couches populaires. Fondamentalement, c’est le PS ( classe moyenne moyenne sup) mais hors fonction publique et sans les catégories dépendantes de la dépense publiques....

    Les gauches sont des partis de classe. Elles vont comme d’habitude faire payer les autres et les pauvres.

    jusqu’à présent, le cadre centriste urbain bien pensant se payait le luxe de donner des leçons de moral comme un socialiste, tout en bénéficiant de la fiscalité privilégiée des villes des 35 heures etc...

    Toute l’étude nous montre un raidissement de la lutte des classe, mais pas autour du capital, autour de la dépense publique.

    Le destin ultérieur du modem dépend de deux facteurs. Son électorat sera t il épargné fiscalement par le PS ? Fera t il le choix du peuple et de la réforme ou celui de l’immobilisme éventuellement confortable ? C’est en partie une question d’égoïsme mais aussi une question d’éthique.
    Maintenant, reste la question politique. Lisez le bouquin de Rocard sur le destin de la seconde gauche. Vous avez le destin de centristes servant éventuellement de supplétifs aux socialistes.
    Et la question idéologique : quoi que l’on pense du PS et des ses tendances, de ses évolutions, c’’est quand même un parti pour lequel les alliances locales avec les trotskards et autres melenchonniens foutraque est dans la nature des choses et des alliances sincère avec le centre, des sujets de controverses internes sans fin, mais avec un consensus sur le thème de ceux qui vendent les cordes pour les pendre.


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