jeudi 13 avril 2006 - par Le bateleur

Laurence Parisot, vainqueur du CPE ?

La presse est unanime à désigner celui qui serait le vainqueur du gâchis dont a été cause l’affaire CPE. Il s’agirait de Nicolas Sarkozy.

A cette occasion, on peut mesurer l’écart qui existe entre la réalité virtuelle dans laquelle vivent ceux qui survolent le monde, dans les hautes sphères, et (pour faire simple) les Nombreux.

Il suffit en effet d’échanger un peu sur ce thème autour de soi, à une altitude modeste, pour constater à quel point le ministre de l’intérieur a déçu, de façon très profonde, et peut-être durable, les militants et sympathisants de l’UMP.

Cette déception concerne en particulier une fraction conséquente des nouveaux adhérents, notamment ceux qui avaient pris leur carte à la suite des émeutes de banlieues, et pour lesquels la qualité première de Nicolas Sarkozy était la grande fermeté face aux exigences de la rue et sa capacité supposée à garder le cap au-delà des difficultés transitoires.

Ce n’est un secret pour personne, la base de l’UMP souhaitait que le gouvernement reste ferme sur le CPE, non pas tant pour l’hypothétique utilité de cette loi que pour donner le signe d’une France nouvelle, menant son destin avec fermeté et ne s’en laissant pas conter par la fraction agissante et remuante de la population.

Le président de l’UMP a fait clairement le choix, à l’occasion de ce conflit, de la ligne de moindre pente, celle qui permettait l’apaisement et le gain de popularité auprès d’un électorat plus large.

Ce choix s’est fait au détriment de la crédibilité du Parlement, contraint à manger son chapeau à plusieurs reprises, et de celle du gouvernement, cédant ainsi à l’ultimatum des révoltés contre la loi votée.

Bien sûr, dans un premier temps - tyrannie du court terme - l’effet paraît bénéfique à celui qui n’a pas voulu affronter le problème de face. Mais ce serait penser les Français, et les électeurs de l’UMP, bien légers que de croire qu’une telle volte-face sera facilement oubliée.

La seule victoire qui pourrait être mise au crédit de Nicolas Sarkozy, pourrait résider dans la ruine de son principal adversaire, mais le prix à payer ne sera-t-il pas trop élevé ? Que pensent désormais ceux qui croyaient avoir à leur tête - parce qu’il s’est longtemps présenté comme tel - un leader ferme, déterminé, partisan de l’action, capable d’éclats courageux, et qui se réveillent au lendemain de cette crise - qui laisse la France, y compris chez les « revendicatifs gagnants », un peu hébétée - avec un homme tout autre, qu’ils ont vu capable de sacrifier un enjeu fort, en même temps qu’un des leurs, à son destin politique.

Bien évidemment, les gens d’appareils comprennent parfaitement la stratégie de Nicolas Sarkozy, et l’approuvent même, majoritairement, mais c’est encore le signe de cette dérive croissante entre les bases des partis et leurs élites, dont on a pu voir, en d’autres occasions, la consécutive sanction au moment de votes déterminants.

Non, n’en déplaise à la presse unanime, l’ancien soutien de monsieur Balladur n’est pas, loin s’en faut, le principal bénéficiaire de la conclusion du feuilleton CPE.

Il y a pourtant eu un vainqueur, et celui-ci est une femme.

En effet, Laurence Parisot, en habile tacticienne, a préservé ses cartouches pendant toute la durée du conflit - il est toujours utile d’économiser son pouvoir de dire non - tout en indiquant dès le début que le projet CPE, mesure de peu d’utilité pour le patronat, n’avait pas été préparé comme il l’aurait mérité, et que sa mise en œuvre dans ces conditions comportait un certain danger.

A présent qu’après deux mois de conflit, le travail est fait - résultat d’un affrontement qui, avec le recul, laisse une grande partie des acteurs concernés, insatisfaits - la présidente du MEDEF peut porter tout le poids de sa parole et de son organisation sur le seul volet du projet qui intéressait réellement les patrons français, à savoir « la flexibilité du travail ».

Le gain est double, car le patronat va, avec le texte de remplacement voté prestement à l’Assemblée nationale, bénéficier de nouvelles aides et allègements de charges, mais aussi mettre sur la table une exigence sur laquelle, de la droite à la gauche modérée, chacun devrait pouvoir s’entendre, puisqu’elle est clairement mentionnée dans la stratégie de Lisbonne (à laquelle adhèrent la droite et le PS), à savoir la flexibilité de la main d’œuvre et la révision du système d’indemnisation du chômage*.

Avant l’affaire CPE, aborder un tel dossier aurait été pour le moins périlleux. A présent que l’énergie des opposants politiques et de la rue s’est dépensée, et surtout que le PS se trouve dans la situation difficile de devoir montrer qu’il est aussi force de proposition, il sera beaucoup plus aisé de cheminer vers les objectifs cités que tous sont censés partager (ceux qui ont défendu le TCE lors du référendum *« Ils (les pays d’Europe) doivent également réformer le système de protection sociale afin de créer un meilleur équilibre entre sécurité et flexibilité ; améliorer la capacité d’adaptation des travailleurs et des entreprises, et accroître la flexibilité des marchés du travail pour aider l’Europe à s’adapter aux restructurations et à l’évolution des marchés. » dans Politiques communautaires de l’emploi->http://europa.eu.int/scadplus/leg/fr/cha/c11325.htm] Un nouvel élan pour la stratégie de Lisbonne (2005)



18 réactions


  • Elias (---.---.231.46) 13 avril 2006 12:31

    On pourrait penser que François Chérèque et la CFDT en sortent également renforcés.

    Avec un peu de chance, cela peut vouloir dire l’établissement d’un véritable dialogue social, délivré de l’intervention intempestive des politiques. Surtout ceux qui pensent avoir besoin de réformer le marché du travail d’en haut, afin de montrer qu’ils existent et qu’ils servent à quelque chose.

    Alors qu’ils ont d’autres choses à faire (justice etc.).

    Elias


    • Le bateleur Le bateleur 13 avril 2006 18:49

      L’alliance de la carpe et du lapin a peu de chance de déboucher sur une suite constructive.

      Comme cela a déjà été évoqué cette victoire n’est celle de personne sur le fond (l’excès de cristalisation sur le motif vendable de la lutte, CPE, a détourné des motifs légitimes à savoir le détricotage du droit du travail) les irréductibles s’en rendent bien compte à présent.

      Luc Comeau-Montasse

      du fagot des nombreux

      une petite histoire en guise d’image ici :


    • Elias (---.---.231.46) 13 avril 2006 19:32

      S’ils peuvent enfin discuter ensemble sans être entouré de personnes qui ont peur de paraître inutiles et qui s’agitent en conséquence, peut-être que les négociations seont plus sereines, et moins atteintes par des consdérations politiciennes.

      Au contraire, je pense que des compromis sont tout à fait possibles. J’ose même dire que les solutions seront adaptées aux réalités. Mieux, en tout cas qu’un contrat fabriqué artificiellement par des gens qui n’y entendent finalement pas grand chose, et qui ne peux pas être efficace.

      On pourra, ensuite, arrêter de s’insulter sans se connaître et d’avoir une vision binaire du monde avec des discours similaires, du genre :

      La Gauche :« Nous sommes les forces du progrès »

      La Droite :« Nous sommes les forces du progrès »

      Ce qui pose un petit problème de définition du progrès.

      Elias


  • Ludovic Charpentier (---.---.68.72) 13 avril 2006 13:12

    Il est clair que comparé à Tonton Ernest-Antoine qui passait pour un aristocrate défendant uniquement ses privilèges, Laurence Parisot fait montre d’une figure moderne. Présidente de Ipsos, elle sait ce que ’opinion publique’ et ’intérêt commun’ veut dire, à l’inverse de son prédecesseur finalement autant cantonné dans la défense de ses propres acquis que n’importe quel leader syndical...

    Alors, oui, effectivement, peut-être que tous les syndicats (le MEDEF comme les syndicats ouvriers) commencent à comprendre qu’il est futile de défendre les intérêts respectifs des uns et des autres, et qu’on arrive enfin vers un vrai système de négociation de confiance, sur le modèle Allemand...


  • Tournicoton (---.---.28.2) 13 avril 2006 13:33

    Je ne sais pas si Laurence Parisot ressort grandie, mais je suis d’accord sur une chose : Sarkozy en est diminué. Je comprends mal que les sondages puissent dire le contraire. Finalement, le CPE serait sans doute passé s’il n’avait pas mêlé sa voix à celles des anti-CPE... Certes son discours semblait raisonnable, mais la manoeuvre politique était trop évidente, et surtout, surtout, il a divisé et « trahi » son camp. Il me semble que c’est le genre de choses que beaucoup d’électeurs vont avoir du mal à pardonner...


    • Scaton l’africain (---.---.1.1) 13 avril 2006 14:20

      Oui mais les électeurs ont la mémoire très courte.


    • Le bateleur Le bateleur 13 avril 2006 18:54

      Sur le coup, oui mais après un temps de latence, ce n’est pas si évident que cela.

      Ne soyons pas élitiste ce que nous percevons d’autres peuvent également le ressentir plus ou moins clairement.

      Mes discussions avec des membres de l’UMP me montrent que Sarkozy a fragilisé sa position dans son propre camp.

      Ce qui est amusant est que l’on pourrait bien se retrouver avec les deux candidat favoris soutenus davantage à l’extérieur de leur parti qu’au sein de celui ci.

      Sarkozy et Royal

      Luc Comeau-Montasse

      du fagot des Nombreux


  • Fishlord (---.---.3.77) 13 avril 2006 14:48

    C’est un site de soutien à Sarko, ici, à voir tous ces liens. Vous êtes durs le chef, alors.

    Je ne suis pas du tout sympathisant de Sarko, très loin s’en faut. Mais j’ai tout de suite compris que les médias disaient n’importe quoi sur cette idée que Sarko en est ressorti vainqueur.

    Vous avez l’air d’oublier (ou de ne pas savoir) que Sarko a beaucoup d’amitiés dans les médias et les instituts de sondages, et que ceux-ci s’empressent généralement de le présenter comme l’homme de la situation en toute circonstance (et sans jamais, bien entendu esquisser la moindre tentative de réfléchir avec leur cerveau). Moralité, la grande partie de l’opinion publique, de gauche surtout, s’imagine que Sarko en est sorti grandi. Seulement, ces gens-là sont ceux qui n’auraient pas voté pour lui de toute façon. Je pense bien que pour les nostalgiques de l’ordre comme il semble y en avoir ici, c’est un peu la déception.

    En fait, à force d’essayer de manger à tous les rateliers de l’opinion et du gouvernement, Sarko va finir par se faire tirer dessus par tout le monde, vous verrez. La partie ne sera pas facile pour lui.

    Quand à Parisot, il paraît qu’elle aurait gagné. je vois pas bien quoi. Je pense qu’elle aurait subi le même sort que Villepin au gouvernement. En tout cas, elle l’a lâchement laissé tomber. Mais c’est ça le libéralisme. Mort aux perdants.


    • Le bateleur Le bateleur 13 avril 2006 19:06

      Etrange réaction dans l’article j’évoque précisément le décalage entre la position des médias et la réalité vue du plancher des vaches.

      Oui Nicolas Sarkozy a joué d’une stratégie à court terme et les blessures, passées sous silence par le mégaphone médiatique, ne sont pas prêtes de se cicatriser.

      Je pense qu’il faut dépasser le stade des aménités anti et pro de façon à ne pas se retrouver comme en Italie à voter davantage pour (contre) une personne que pour des projets.

      Nicolas Sarkozy avait déjà montré qu’il tenait à peu de choses* ici il l’a très nettement confirmé en abandonnant un projet qu’il aurait pu lui même monter puisqu’il ne cessait il y a quelques temps de charger contre le modèle social français (« Le seul modèle social valable est celui qui donne du travail. Ce n’est donc pas le modèle français. » )

      Cette versatilité, les français vont finir par ne plus la supporter ni dans son expression, ni dans ses finalités.

      Luc Comeau-Montasse

      du fagot des Nombreux

      * voir ici :


  • fmi1 (---.---.113.21) 13 avril 2006 15:27

    Je partage grosso modo l’analyse sur la stratégie du Medef, développée dans cet article.

    Par contre, je trouve étonnant que presque personne ne cite de faits tangibles sur la flexibilité : ainsi, Eurostat (statistiques de la Commission UE), publie un « indicateur de la mobilité des travailleurs et de la flexibilité du marché du travail », qui est le taux de salariés français qui ont débuté leur emploi au cours des trois derniers mois.

    Avec 6,7 %, la France supplante le Royaume-Uni et figure dans le peloton de tête de l’Union, où le taux de mobilité ne dépasse pas 4,9 % en moyenne. (données tirées de l’article « Des statistiques pour raison garder » de Jean-François Couvrat, dans Le Monde du 28 mars).

    En réalité, la flexibilité est là, et bien là. Il serait temps de passer, en échange, à la sécurité de l’emploi et des parcours professionnels.

    Mme Parisot est dans son rôle de syndicaliste, au sens le plus corporatiste qui soit : elle veut le beurre et l’argent du beurre. Quel archaïsme !


    • Le bateleur Le bateleur 13 avril 2006 19:14

      Oui la mobilité est là

      Mais (pour le Medef*) ce qui est acquis est dû et ce qui fait défaut est intolérable (sourire)

      La stratégie de Lisbonne évoque pudiquement « l’équilibre entre fléxibilité et sécurité » qu’il faut traduire par réduire la sécurité de l’emploi des travailleurs pour « améliorer » encore l’intolérable manque de flexibilité de la main d’oeuvre l’étalon de cette mesure étant à rechercher du côté où celle-ci est optimale (à l’Est)

      Les semaines qui vont venir nous montrerons si Laurence Parisot parviendra à pousser plus avant son avantage de ce côté c’est probable car il faut rappeler que le parti socialiste est un partisan convaincu des objectifs et de la stratégie de Lisbonne

      Luc Comeau-Montasse

      du fagot des Nombreux

      * comme pour tout un chacun dans une société de consommation, où l’acquis est muni d’un mécanisme à cliquet.


  • Loïc (---.---.198.249) 13 avril 2006 16:28

    Merci pour cet article Monsieur-au-nom-très-très-compliqué. Etant moi même une pipelette de première classe, j’ai fait l’expérience de parler aver un tas de gens de toutes conditions, des évênements et notament de l’attitude de Sarko-toujours-gagnant. Après quelques propos aimables, lorsqu’on en vient à Sarko, on entend « judas, traitres etc.. »et des choses moins aimables. Les gens ont été sidérés de voir Sarko et Borloo, tous sourires et contents de leur bon coup. Le travail des médias (propagande insupportable) viennent exacerber les sentiments. Au total, je ne suis pas sûr que Sarko y gagne en réputation et en honorabilité.


    • Le bateleur Le bateleur 13 avril 2006 19:17

      Bien de votre avis les ressorts trop visibles font les montres fragiles

      pour le nom, désolé mais la première partie est mon patronyme quant au reste il tente de préciser d’où je parle à savoir du niveau de la réalité.

      Luc Comeau-Montasse etc. (sourire)


  • cuzco (---.---.100.211) 13 avril 2006 17:59

    J’ai trouvé laurence Parisot extrèmement médiocre dans cette affaire. C’est un avis indépendant de son syndicat et de ses idées. J’ai eu l’impression qu’à aucun moment elle ne savait quoi penser et quoi dire sur le CPE. Efficace ou Pas efficace ? Vraie avancée ou Mesurette ? Elle navigait d’une hésistation à l’autre, avec toujours un argument de retard sur le débat. ------------------ La semaine dernière elle était interviewée par Duhamel. Il lui demande si le licenciement non motivé, coeur du CPE, était acceptable. Elle n’a pas vu venir le piège et est partie la tête la première : « Non, bien sûr, il faut reconnaître que ce n’était pas acceptable ». Et Duhamel de porter l’estocade : « Donc il faut revenir sur le CNE, qui permet de licencier sans motif. » Sa répônse ne fut que bredouillements...


    • Le bateleur Le bateleur 13 avril 2006 19:25

      Il y a encore quelques maladresses dans son style et un peu de lacune dans son fond, mais sa réserve tranche tout de même avec son prédécesseur, comme cela a d’ailleurs été déjà mentionné ici.

      En fait, la victoire que j’évoque est ici par défaut ne s’étant pas engagée dans ce mauvais combat, ni vraiment d’un côté, ni de l’autre, un boulevard s’ouvre devant elle reste à savoir si elle sera en mesure d’en profiter.

      Luc Comeau-Montasse

      du fagot des Nombreux


  • Roues Libres Claude DP 13 avril 2006 18:11

    C’est un peu court. Ce n’est un secret pour personne que l’attitude plutôt réservée du Medef à l’égard du CPE n’a pas vraiment été appréciée par certaines fédérations d’employeurs parmi les plus puissantes, et que la CGPME qui était concernée au premier chef en a été choquée. Quant aux relations du Medef avec le PM elles sont désormais équivalentes à celles de Seillères avec Raffarin. Bel avantage. Si la crise avait débouché sur une remise en question du CNE, on peut penser que la position de Mme Parisot eut été assez...précarisée. Qu’elle reprenne l’initiative rapidement manifeste donc plus une volonté de tourner la page, que de profiter d’une « victoire » très hypothétique.


  • Christophe (---.---.58.18) 13 avril 2006 18:15

    La stratégie du MEDEF va quelque peu changer notamment suite aux nominations récentes dans leur comité directeur. Les « patrons » de la métallurgie seront représentés en force ; or c’est dans cette branche professionnelle qu’il y a la plus grande ouverture vers les négociations tant côté patronnal que syndicats de salariés.

    Ce n’est sans doute pas un hasard si les derniers accords de la branche métallurgique augmentaient la capacité de flexibilité de certaines catégories de personnel. Certes avec certains garde fous et des contre-parties, mais n’est-ce pas là le résultat d’une négociation ?


    • Le bateleur Le bateleur 5 mars 2008 19:04

      Avec un peu de recul
      c’est encore mieux.

      Notamment lorsque l’acte suivant vient de se dérouler sous nos yeux
      avec un glissement du pouvoir en rapport avec le glissement des emplois en France
      de la métallurgie vers le secteur tertiaire.

       

      (réglements de comptes au Medef )

      ... à suivre

       

       


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