Le bruit et la fureur vs unanimité et servilité
Qu’est-ce qui t’a pris, Jean Luc, de ruer dans les brancards comme tu l’as fait et de permettre ainsi aux médias et à tes opposants de casser du Mélenchon toute la semaine ?
La bonne attitude
Comme tous les politiques bien élevés, tu aurais pu te contenter de t’adresser aux caméras et aux micros en disant d’un air indigné « Je fais confiance à la justice de mon pays », formule bien connue des vieux chevaux de retour de la politique pour couvrir les bruits de casseroles qu’ils trimbalent. Quarante-huit heures après, on n’en parlait plus et il n’y avait plus qu’à attendre l’abandon des poursuites, le non-lieu, le vice de procédure ou la condamnation, c’est selon…
Il n’est que de se référer aux Sarkozy, Balkany ou autres Cahuzac qui tous ont suivi le stage « Technique de survie politique suite à incrimination ». Trois ou cinq ans après, ou plus pour les plus agiles ou les plus procéduriers, et la tenue d’un procès, tout le monde aurait oublié les débuts de l’affaire (s’il y en a une) et cela aurait fait 15 lignes en page trois des quotidiens.
Au lieu de cela, tu as choisi l’affrontement, seul contre tous, en particulier les médias qui nous ont ressassé l’évènement jusqu’à plus soif, arrivant même à nous faire oublier le remaniement ministériel et le discours « habité » du Président de la République.
Y’en aura pour tout le monde !
Juges, policiers et journalistes, tout le monde a eu droit à ta fureur. Chacun a pu s’indigner largement dans les tribunes journalistiques et les débats répétitifs et à charge sur les chaînes d’info. C’est peu dire que tes amis, lorsqu’ils étaient invités au festin, n’ont pu que servir que quelques miettes de leurs arguments.
Une telle unanimité et, disons-le tout net une rare violence dans des propos tenus par certains plumitifs sortis de l’ombre est tout de même très rare, à l’image de ton comportement, dirons certains, à moins que cela ne soit l’expression d’une revanche tant attendue par certains, heureux de hurler avec la meute.
Ton attitude n’est pas une surprise, tant tes propos sur l’impartialité de la justice ou des journalistes font partie de ton argumentaire et mettent en lumière des insuffisances ou les connivences des uns et des autres envers le discours libéral ambiant, à l’opposé de tes thèses.
Le déferlement médiatique
Chacun aura pu apprécier à leur juste valeur les arguments développés en boucle dans les médias qui se sont également empressés de relayer l’indignation des magistrats et des policiers et la plainte déposée par une chaîne de radio.
On aura aussi remarqué les éléments « factuels » du dossier, comme les frais de mise en ligne de tes discours (250 euros par discours), les 12 000 euros de salaire mensuel de ta directrice de la communication, dont certains « journalistes d’investigation » ont cru bon de dire qu’elle avait des liens étroits avec toi, juste pour semer le doute sur un éventuel partage des sommes indiquées entre elle et toi, justifiant ainsi une collusion financière sur le dos des électeurs qui ont remboursé tes frais de campagne.
Tout cela est très frais et léger et vu les sommes en cause, il serait possible de te faire passer pour un voleur de poule ayant instrumentalisé sa compagne pour s’acheter des cigarettes. La déchéance nationale n’est pas loin et les évènements de la semaine dernière sont pour quelques-uns la certitude que tu es déjà disqualifié pour les prochaines échéances électorales ou qu’à tout le moins ils éloignent l’hypothèse horrible d’un score important aux élections européennes.
Qu’en pensent tes électeurs ?
Les politologues, qui prennent peut-être leurs désirs pour des réalités ou qui espèrent influencer l’opinion nous disent déjà que les mous du genou prennent leurs distances,.
D’autres, qui ont déjà compris un certain nombre de choses en matière de fonctionnement des institutions judiciaires ou de la presse mettent les évènements à distance en attendant de voir la suite.
Trois éléments semblent devoir être analysées afin de mettre les choses en perspective :
- L’indépendance de la justice : tu dénonces une justice aux ordres, encore faut-il faire la part des choses afin de ne pas jeter l’opprobre sur toute l’institution. Les juges sont indépendants, les procureurs un peu moins, surtout dès lors que l’on grimpe dans la hiérarchie ou que l’on ambitionne des affectations intéressantes ou des promotions prestigieuses. Les rapports entre exécutif et magistrature ne sont pas toujours très clairs et il n’est que de noter l’interventionnisme de M. Macron pour la nomination d’un magistrat en remplacement du procureur François Mollins pour s’en rendre compte. On se souviendra également de ce conseiller à la Cour de Cassation invité à donner des renseignements sur l’état du dossier de l’affaire Bygmalion en échange d’une promotion à Monaco. Une justice totalement indépendante n’existe pas.
- Les conditions des perquisitions : Un centaine de policiers mobilisés pour des perquisitions dans le cadre d’une enquête préliminaire, ça fait beaucoup et le justiciable moyen espère que son dossier fera l’objet d’une implication similaire des services de police. On notera également que perquisitionner des locaux d’un parti politique n’est pas anodin et comme le soulignait un commentateur : « on peut penser que des fichiers adhérents et autres pièces personnelles n’ayant rien à voir avec la procédure se trouvent désormais entre les mains des enquêteurs et que des soupçons d’utilisation de ces pièces à d’autres fins que celle de l’enquête ne sont malheureusement pas exclues ». Nous verrons sans doute sortir dans les prochaines semaines dans la presse d’autres éléments à charge en provenance d’une « source proche de l’enquête ». Cette question de la perquisition des partis politiques à plus qu’à voir avec les libertés publiques sur lesquelles on s’assoit allègrement dès qu’il s’agit de justifier parfois l’injustifiable : Mitterrand avait, avec ses écoutes politiques et people ouvert la voie…
- L’état des médias : Existe-t-il encore des médias indépendants ? A cette question, il est utile de se référer à un article de « Marianne » de la semaine dernière qui dresse un portrait peu flatteur de la presse écrite ou télévisée aux mains d’industriels dont le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils sont loin d’être ouverts aux thèses de la France Insoumise. Pour autant, il est difficile de dire que les rédactions sont aux ordres, mais il faut tout de même noter que l’acharnement médiatique unanime des jours passés ne valide pas totalement la thèse de leur indépendance.
Voilà les éléments de réflexion qui conduisent à dire que tes « débordements » sont dans la droite ligne de ce que tu dénonces et de ce qu’il est interdit de remettre en cause.
Pour l’instant, le doute doit profiter à l’accusé, mais la politique est affaire de confiance, encore ne faut-il pas la trahir.