mardi 9 novembre 2010 - par Sylvain Rakotoarison

Le gaullisme en 2010 (2) : les valeurs

Il y a quarante ans, le « chêne » est tombé. 2010 est une année De Gaulle : sa naissance, son appel du 18 juin et sa disparition sont l’occasion de commémorations. Que reste-t-il du gaullisme aujourd’hui ? Seconde partie.

Dans la première partie, j’ai évoqué le gaullisme tel qu’il s’est traduit dans l’organisation des partis politiques depuis quarante ans.

Je vais tenter en seconde partie d’imaginer, plutôt qu’un programme politique qui dépendrait des circonstances historiques précises (ce qui signifie par exemple que reprendre le programme politique du Conseil national de la Résistance n’a pas beaucoup d’intérêt en 2010, soit soixante-cinq ans plus tard), les valeurs qui peuvent définir le gaullisme dans le comportement politique.


Post-gaullisme de valeurs : critères à usage actuel

J’en ai répertorié sept et ce ne sont que des suggestions personnelles que je livre ici sans ordre particulier (et sans prétention).

1. L’anticipation, la clairvoyance.

C’est certainement la faculté extraordinaire qu’a laissée De Gaulle à la France : non seulement la certitude que la victoire de l’Allemagne ne pouvait pas durer car il y avait encore les Américains, mais déjà bien avant la guerre, avec l’idée d’utiliser des régiments de blindés.

C’est l’élément le plus rare de nos jours : parce que l’économie est en crise, tout se décide pour du court terme. L’anticipation est l’un des exercices les plus difficiles aujourd’hui (gouverner, c’est pourtant prévoir). Oserais-je toutefois faire remarquer que la décision de lever un emprunt national en juin 2009 relève sans doute de cette volonté d’anticipation ? La France vit depuis trop longtemps sur ses acquis d’excellence d’il y a plusieurs décennies et il y a un réel besoin de relancer cette excellence par de nouveaux investissements de grande ampleur.

2. L’indépendance vis-à-vis des partis et de tous groupes de pression.

Cette indépendance est avant tout un courage politique. Au contraire de De Gaulle (et dans une moindre mesure, de Giscard d’Estaing dont le parti était mineur), aucun des successeurs n’a pu être élu sans le concours décisif d’un grand parti gouvernemental, jusqu’à ce qu’à partir de 1981, ce soit les propres chefs de parti qui soient élus à l’Élysée.

L’exemple de personnalités pourtant très populaires quelques mois avant l’élection présidentielle comme Raymond Barre en 1988, Édouard Balladur en 1995 et François Bayrou en 2007 montrent que sans soutien d’un grand parti, le succès présidentiel est désormais impossible.

Au PS comme à l’UMP, tous les candidats potentiels à l’élection présidentielle ont bien compris l’importance de la conquête de leur parti (ce qui a donné la cacophonie du congrès de Reims en novembre 2008 ou l’objectif défini par Jean-François Copé de diriger l’UMP en octobre 2010).

Cette caractéristique d’indépendance ne pouvait fonctionner qu’avec un homme exceptionnel à la légitimité historique reconnue. Le scrutin universel direct rend le Président de la République directement dépendant de l’ensemble des Français, et par conséquent, devrait le rendre indépendant de tous les groupes dont il aurait pu émaner à l’origine. La pratique présidentielle depuis 1981 montre cependant que cette belle théorie est concrètement mise en défaut, et plus encore à partir de 2007.

3. L’intégrité et sobriété.

Servir la France et pas se servir de la France.

De Gaulle payait lui-même ses factures d’électricité à l’Élysée et son épouse achetait au Bon Marché la vaisselle pour leurs repas privés. Tous les responsables du pouvoir politique avait une certaine sagesse afin de ne pas associer intérêt privé et responsabilité politique.

C’est à partir du début des années 1970 que les tentations furent grandes d’utiliser ses positions de pouvoir à des fins d’enrichissement personnel. Le développement urbain a favorisé ce genre de collusion entre maires et acheteurs de terrains, par exemple, d’autant plus que les campagnes électorales devenaient de plus en plus coûteuses pour relayer la communication politique.

4. L’intérêt général avant l’intérêt catégoriel.

La tentation naturelle des élus est de défendre d’abord leurs propres électeurs avant l’ensemble de la population. La responsabilité des hommes d’État est de réussir à faire émerger un intérêt général tout en ménageant chaque intérêt particulier. Le clientélisme peut être géographique, par catégories socioprofessionnelles, par âge etc. mais il nécrose la vie nationale par ce qu’il entraîne des politiques incohérentes et désordonnées (exemple : les niches fiscales).

Défendre l’intérêt général, c’est aussi un acte de courage car les sondages peuvent contester les décisions prises : que ce soit la décision sur le vaccin contre la grippe A ou la réforme des retraites, l’intérêt général nécessite cependant d’être bien expliqué et bien compris par l’ensemble de la population. Cela a été le cas pour l’abolition de la peine de mort.

5. La souveraineté de la France.

Si De Gaulle a refusé l’armistice en juin 1940, c’est avant tout qu’il voulait sauver la France, avant même les Français. En quelques années, il a incarné la France elle-même surtout malgré lui : avant de partir à Londres, De Gaulle était effondré de savoir qu’il n’y avait personne de plus important que lui, politiquement ou militairement, prêt à continuer le combat. Il s’inquiétait d’avoir une plus grande crédibilité que ce qu’il était (général à titre temporaire et ancien sous-secrétaire d’État) face au gouvernement de Churchill et face aux États-Unis.

Ce n’est donc pas un hasard si De Gaulle a amorcé la réconciliation puis l’amitié franco-allemandes et a mis en œuvre le Traité de Rome (signé avant son retour au pouvoir). Pour lui, il s’agissait de donner à la France toutes les forces de l’union face à d’autres puissances mondiales (en particulier les États-Unis).

Aujourd’hui, le schéma reste le même : face à l’émergence des deux géants économiques, la Chine et l’Inde, l’intérêt de la France passe forcément par une coordination avec ses partenaires européens. Une France qui se replierait sur elle-même, qui refermerait ses frontières, serait une France à l’agonie, qui renoncerait au combat économique qui se joue actuellement et qui deviendrait vassale des nouvelles grandes puissances.

6. Le respect des électeurs.

Le respect des électeurs est un comportement pas forcément facile à préciser.

S’il s’agit de reconnaître l’élection des candidats dans le cadre d’opérations électorales régulières (heureusement, la France est un pays pacifié depuis longtemps, au contraire d’autres pays comme la Côte d’Ivoire ou la Biélorussie), c’est une lapalissade.

S’il s’agit d’appliquer ses promesses électorales, c’est déjà plus difficile à apprécier : les circonstances peuvent changer et exiger (heureusement) un changement de point de vue.

Avec sa démocratie participative (à laquelle je ne crois pas), Ségolène Royal avait réussi, en 2007, à séduire quelques gaullistes historiques dans cette volonté de court-circuitage des corps intermédiaires.

Le respect de la parole du peuple mériterait aujourd’hui plus d’attention : comme il n’y a plus d’élections nationales intermédiaire à cause du quinquennat et de la concomitance de la présidentielle et des législatives, seul le référendum peut être une "respiration démocratique" qui empêche une totale carte blanche au Président de la République pendant cinq ans. De Gaulle avait su à plusieurs reprises prendre des décisions contre la classe politique (notamment en 1962 sur l’élection présidentielle au suffrage universel direct ou en 1969 sur la régionalisation). Respecter les électeurs, c’est aussi les rendre juges fréquemment.

7. Le pragmatisme anti-idéologie.

C’est ce qui frappe beaucoup aujourd’hui. La droite comme la gauche sont encore prisonnières d’idéologies datant du début du XXe siècle en croyant (ou laissant croire) qu’il existe une véritable lutte des classes (ouvriers contre patrons riches) alors que le développement d’une large classe moyenne casse la pertinence d’une telle analyse.

Si on peut regretter que la gauche (même au Parti socialiste) considère les entreprises comme des producteurs de richesses qu’il faut absolument taxer pour redistribuer, avant même de réfléchir sur les moyens de produire cette richesse, la droite réagit souvent dans un schéma tout aussi dépassé, considérant que la demande dépend de l’offre alors qu’il y a actuellement beaucoup trop d’offre.

Deux exemples parmi d’autres : le lundi de Pentecôte travaillé ne rapporte pas grand chose de plus aux entreprises puisque ce n’est pas en produisant plus qu’elles auraient nécessairement plus de clients ou plus de chiffre d’affaire (cela ne fait qu’une taxe supplémentaire) ; les heures supplémentaires avec le slogan "travailler plus pour gagner plus" est le résultat d’une même erreur d’analyse : le travail n’est plus forcément producteur de richesse. Pire : s’il est producteur de stocks, il coûte plus qu’il ne profite. Ces idées datent des Trente Glorieuses. Depuis trente ans, le problème provient de l’existence de producteurs à faibles coûts d’origine étrangère (essentiellement chinoise) qui inondent le marché d’offre plus grande que la demande (demande en baisse aussi par une baisse du pouvoir d’achat).

Le pragmatisme de De Gaulle était immense. Il suffit de voir les positions prises sur l’Algérie. L’Histoire aura du mal à dire si De Gaulle était partisan de l’indépendance de l’Algérie dès mai 1958 mais ce qui est sûr, c’est qu’il a adopté cette position quand il le fallait et qu’il a réussi à convaincre une large majorité des Français. L’intérêt national avant l’idéologie.


Le gaullisme toujours d’actualité

Ces sept critères me paraissent encore d’actualité pour définir un homme d’État responsable en charge de la nation. En ce sens, le gaullisme n’a aucune raison de s’éteindre en 2010, mais les forces qui, naguère, enlisèrent la IVe République et avant, la IIIe République dès 1934, sont toujours présentes au sein des institutions : à la classe politique d’adopter un comportement digne et courageux au-delà des chapelles de partis. Ce sont bien les hommes (et les femmes) et pas les institutions qui font vivre la démocratie.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (9 novembre 2010)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :

De Gaulle en 1958.
De Gaulle en 1959.


(Illustration ci-dessous : dessin de Jacques Faizant dans le "Figaro" du 10 novembre 1970)







6 réactions


  • bakounine 9 novembre 2010 11:16

    Merci Rako à defaut d’avoir ecrit quelque chose d’intelligent, vous m’avez bien fait rire.........


  • morice morice 9 novembre 2010 13:25

    « 3. L’intégrité et sobriété. »


    les barbouzes de Pasqua applaudissent le mot « intégrité »


    il n’en rate pas une, le Sylvain...



    http://www.lariposte.com/Le-RPF-et-le-Service-d-Action-Civique-ou-la-223.html


    Le SAC était une organisation paramilitaire spécialisée dans l’assassinat, le chantage, la corruption, le trafic d’armes et de drogue, le blanchiment d’argent “sale”, bref, la criminalité sous toutes ses formes, et par ailleurs dévouée corps et âme au Général de Gaulle. Son existence remonte au lendemain du coup d’État de 1958 et de la Cinquième République. Cependant, les réseaux qui en formaient le noyau existaient dès la fin de la deuxième guerre mondiale dans le cadre du “Service d’Ordre” du RPF, le parti gaulliste de l’époque. Partisan d’un régime fort, “au dessus des partis”, puisque fondé essentiellement sur l’appareil répressif de l’armée et de la police, de Gaulle avait mis en place, sous la couverture légale du RPF, une organisation paramilitaire de quelque 16 000 hommes recrutés dans les milieux criminels - ainsi en était-il du proxénète Jules Orsini - et dans les réseaux de l’extrême-droite et des anciens collaborateurs de l’occupation hitlérienne, comme Simon Sabiani et Gérard Gerekens. Sous l’occupation, ce dernier dirigeait à l’intérieur du PPF, le parti fasciste de Jacques Doriot, les groupes de choc spécialisés dans la chasse aux Juifs, aux communistes, aux socialistes et aux syndicalistes. Un tel curriculum vitæ était parfaitement adapté aux finalités du RPF.


    Le financement de ce “recours” putschiste provient d’un nombre important de grandes entreprises françaises et étrangères : Rhône-Poulenc, Esso-Standard, le Crédit Lyonnais, Simca, Dassault, pour n’en citer que quelques unes. Jacques Foccart et d’autres acolytes du général ont mis en place une constellation de sociétés d’import-export, telles que la Safiex, dont la fonction est de fournir une couverture “commerciale” à l’activité des agents de renseignement gaullistes, d’alimenter les caisses noires de l’organisation et de financer les campagnes électorales des candidats gaullistes. Le Service d’Ordre du RPF est particulièrement actif à Marseille, pendant et après les élections municipales de 1947, où le RPF obtient environ 40% des voix : les réunions publiques organisées par le PCF ou la SFIO sont dispersées à coups de matraque, et plusieurs personnes sont assassinées, des dizaines blessées.


    Le Service d’Action Civique, sous la direction de Jacques Foccart, Charles Pasqua, Roger Frey, Paul Comiti, Alexandre Sanguinetti, Dominique Ponchardier et Jean Bozzi, est mis en place peu après l’arrivée au pouvoir du Général de Gaulle. L’inscription au verso de la carte d’adhérent déclare que le titulaire “s’engage sur l’honneur à apporter inconditionnellement son soutien à la poursuite des objectifs définis par le général de Gaulle.” Le SAC est reconnu “association à but non lucratif”, mais sous cette appellation innocente se cache une bien plus sinistre machine.


    A peine constitué, le SAC se lance dans une campagne d’infiltration et d’assassinat contre le FLN. Pour ses “sales coups”, Pasqua et les chefs du SAC recrutent dans les prisons, notamment parmi les truands incarcérés pour des attaques à main armée. Comme à l’époque du RPF, les gaullistes travaillent à travers de nombreuses entreprises (la Barracuda, la Frimotex etc.), qui, tout en ayant une existence légale, sont entre les mains de membres ou d’anciens membres des services secrets et s’engagent dans un trafic d’armes particulièrement lucratif - de chars, de mitrailleuses, de munitions et d’explosifs - en direction de l’Afrique Noire, des pays du Maghreb et du Moyen-Orient. Dans toutes les basses œuvres de la France en Afrique - coups d’État, assassinats, corruption, détournement de fonds, élimination d’opposants - les hommes du SAC sont de la partie, autour de Jacques Foccart, surnommé le “Monsieur Afrique” du camp gaulliste.

    En France métropolitaine, le SAC mène des opérations contre les forces de gauche, et en particulier contre la CGT, le PCF et l’UNEF. Il s’agit d’agressions, de menaces de mort et d’autres procédés d’intimidation, ainsi que de la constitution de fichiers de renseignement sur les militants. Un fascicule de formation interne du SAC, rédigé en 1964, et cité dans le livre d’un ancien membre du SAC, B comme Barbouzes, préconise “une offensive permanente, une action constante, suivie, intelligente” contre la CGT, visant à “l’éclatement de cette centrale syndicale”. Le document conclut : “Ce n’est pas la réduction de l’influence de la CGT que nous visons mais son élimination pure et simple.”

    En 1968, le SAC a reçu une dotation importante d’armes (de fabrication américaine, afin de brouiller les pistes) qui provenait des stocks de la Légion Etrangère. Pendant la puissante grève générale de cette année-là, de Gaulle projetait une grande rafle des délégués syndicaux, des militants communistes et d’extrême gauche, qui devaient ensuite être enfermés dans des stades, à la manière des rafles de 1942 ou encore de l’opération menée à bien, cinq ans plus tard, et avec les conséquences sanglantes que nous connaissons, par le général Pinochet au Chili.

    Le 25 février 1974, quelques mois après le coup chilien, le quotidien Libération a publié un document daté du 24 mai 1968 faisant état du modus operandi de ce coup de force à Marseille. Le document comportait une liste, fournie par la DST, de noms et d’adresses de militants marseillais “à regrouper” dans le Stade de l’Huveaune et dans le Stade Vélodrome “sur ordre de Paris”. Commentant l’affaire en mars 1974, le Nouvel Observateur a déclaré que les preuves présentées “confirment que, en mai 1968, des dispositions avaient été prises par les polices officielles et parallèles pour s’emparer de certaines personnes, dans le cas où la situation aurait évolué dans un sens défavorable pour le pouvoir. À la fin de la semaine dernière, aucun service n’avait contesté l’authenticité de ce document.”



    « probité », hein, Sylvain : le stade était prêt.....



    • Shaytan666 Shaytan666 9 novembre 2010 14:26

      Morice,
      Et moi qui vous prenait pour un gaulliste pur et dur, me voilà bien déçu !
      Vous allez encore vous faire quelques ennemis virtuels  smiley


    • non667 9 novembre 2010 15:32

       à morice
       qui 40 ans après n’a encore rien compris à mai 68 ! un modèle réduit du 9/11 !
       de gaule non plus d’ailleurs sur le coup qui ne l’a pas vu venir et n’a pas vu de la part de qui ça venait . pour lui il craignait uniquement un coup d’état communiste ,ce qui lui a fait peut être préparer les stades (justifié en cas de coup d’état ) et autres plan B
      mais sa réponse réelle concrète (pas dans les tiroirs ) a été tout ce qu’ il y a de plus démocratique : le vote le vote le vote le vote
      signé : un ancien 68 tard jeune coco antigauliste qui à decouvert en 1983 qu’il avait toujours été pris pour un c...


  • wesson wesson 10 novembre 2010 10:22

    bonjour l’auteur,

    les valeurs du Gaullisme en 2010 ?

    * Les noir sont tellement con que ils n’ont même pas su rentrer dans l’histoire (discours de dakar)
    * dehors les Roms (circulaire besson)
    * les « auvergnats » quand il y en trop c’est là le problème (propos hortefeux)
    * Pour le débat sur l’identité nationale, je veux du gros qui tache ! (Nicolas Sarkozy)
    * Il ne faut pas oublier le rôle positif de pierre Laval pour l’économie de la France (Benjamin Lancar, jeunesse UMP)

    pas de doute, l’héritage du Gaullisme en 2010 aurait bien fait plaisir au patron ...

    Par contre, je crois que De Gaulle n’aurait pas fêté la victoire de son élection au Fouquet’s, ni même n’aurai pas accepté de vivre dans une maison prêtée par un milliardaire Libanais (Chirac qui vit dans une maison prêtée par Ayman Hariri, tout en se prétendant gaulliste)


  • non667 10 novembre 2010 10:49

    sarko est gauliste comme dsk est socialiste ainsi que ceux du ps qui n’ont pas suivi melanchon !


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