Le rapport Rocard : démocratiser en 100 recommandations sur le numérique
Certains se rappellent du travail de fourmi développé par Michel Rocard, aujourd’hui députe européen, pour empêcher le projet de directive européenne sur la brevetabilité des logiciels en juillet 2005. Le voici qui rédige à la demande de Ségolène Royal un rapport sur les actions à mener en faveur de l’économie du numérique. Ce rapport, intitulé « République 2.0 » et sous-titré “Vers une société de la connaissance ouverte”, formule près de 100 recommandations pour dessiner “les contours d’un véritable programme d’action gouvernemental”.
La démarche est remarquablement bien construite. Rocard développe sa vision d’un développement économique et culturel axé sur la connaissance ouverte, la prise en compte du numérique, la mutation des services publics, l’évolution nécessaire du système éducatif. Rocard montre dans ce rapport comment le numérique donne une nouvelle actualité à des questions de fond dans nos sociétés développées, comme la modernisation de l’Etat, les biens communs culturels, la place de la technologie, la rénovation pédagogique, le partage du savoir dans une économie de l’abondance, les nouvelles formes de création.
Cinq grands chantiers
Loin des lignes Maginot (loi DADVSI, criminalisation du téléchargement de la musique, tentatives de brevetabilité des logiciels) visant à restreindre et à mettre sous contrôle ce développement, Rocard tire les conséquences de ce potentiel d’entraînement démocratique et identifie cinq grands chantiers :
• Reprendre pied dans l’économie numérique ;
• Le numérique, une chance pour la culture ;
• Faire entrer les services publics dans le XXIe siècle ;
• Éducation : changer de logiciel ;
• Le progrès numérique pour tous, avec l’objectif de porter de 44% à 75% la part de foyers équipés d’un ordinateur et connectés à Internet.
Rocard souligne le rôle des espaces publics numériques : “encourager le rapprochement des espaces publics numériques et des lieux traditionnels d’accueil du public : mairies, écoles, maisons de services publics, ANPE, bureaux de poste, inclure des modules de maîtrise des technologies numériques dans toutes les formations professionnelles”. Il souligne à ce sujet le développement de la fracture numérique - p 38 - car les usages et les savoir-faire ne suivent pas forcément les progrès des équipements.
Il montre le rôle des technologies éducatives comme levier d’une rénovation de l’Ecole.
“Ces technologies permettent ainsi d’imaginer un élève actif et engagé dans une construction personnelle de son savoir, relié avec d’autres acteurs (autres apprenants, adultes divers), recevant une information variée dans ses formes (texte, image, son et vidéo) et dans sa nature (documents, modélisations, logiciels élaborés...)” p 32. Il souligne également tant dans l’éducation que dans les administrations la place prometteuse des logiciels libres et du travail collaboratif. Il préconise leur généralisation dans l’administration et des mesures d’incitation.
Les outils numériques également un enjeu pour la démocratie
Rocard se fait l’avocat d’une “modernisation des opérations électorales, sans basculer vers le vote électronique”. L’inscription automatique sur les listes électorales, la “diffusion gratuite des données publiques essentielles devrait être inscrite dans la loi. Elle pourrait être étendue aux collectivités territoriales”. Sur le modèle états-unien il propose la transparence par le Net des votes des parlementaires.
Rocard dénonce les glissements sécuritaires dans le projet actuel de carte d’identité biométrique et s’oppose à la généralisation en cours du vote électronique mis en place sans le moindre débat pour plus d’un million de votants dès 2007, “l’opacité et la technicité du système rendent impossible son contrôle par les assesseurs et les électeurs présents dans le bureau de vote”. D’où sa recommandation 58 : “Suivant l’exemple de l’Italie et de nombreux autres pays ayant suspendu la mise en place du vote électronique, instaurer un moratoire sur le vote électronique pour les élections politiques.
• Une expertise scientifique sera demandée à l’INRIA et au CNRS, en liaison avec l’ensemble des parties prenantes.
• Sur la base de cette expertise et d’un débat public, le principe du vote électronique sera soumis au débat parlementaire”.
Rocard développe également sur le cadre juridique pour les libertés et les capacités numériques et la promotion d’une société de la connaissance ouverte en Europe et au plan international. Le rapport contient une liste de 94 recommandations - p 61- 65 - dont celle de créer un poste de délégué interministériel aux technologies de l’information et celle d’“adapter le dispositif de type Small Business Act prévu dans le pacte présidentiel aux spécificités des entreprises numériques”.
Vers une société de la connaissance ouverte ? Chiche !