Les cocus de l’école
Le premier titre était : Les ruraux ont la qualité de vie et les ennuis qui vont avec. Car la confusion entre ruraux (en France, ceux qui habitent dans des communes de moins de 2000 habitants) et agriculteurs continue à faire des dégâts. Trop souvent, elle conduit dans le domaine éducatif à un profilage désespérant et injuste des enfants de familles résidant hors agglomérations ; par obligation et non par goût.
Merci au Monde de persévérer dans ses enquêtes sociologiques inattendues sur la France et les Français. Les journalistes ont encore une fois enquêté dans le monde rural délaissé. Un monde rural (carte) qui a complètement changé depuis trente ans au moins ('Des Français 'invisibles' et des prostituées 'trop' visibles').
Les trajets (domicile - école) trop longs n'affectent pas seulement les élèves ruraux, mais également ceux qui vivent dans les grandes métropoles. Certes, ce ne sont pas les mêmes causes, mais seul le résultat importe : fatigue et perte de temps se conjuguent pour empêcher d'autres activités.
De la même façon, la question du choix rétréci des ruraux en matière d'orientation amène à un raccourci gênant. Soit on vit à la campagne et on fréquente un établissement de pécores (...), soit on rentre à Henri IV à Paris. La demi-mesure existe !? Oui, bien sûr, les ruraux hésitent à s'éloigner de leur domicile pour poursuivre leurs études. Mais là encore, la réflexion s'arrête à mi-chemin. Une majorité de Français sont concernés, faute de revenus suffisants pour résider en centre-ville : ruraux ou pas, cela pèse peu dans la balance. Le total évoqué (2 millions d'enfants et d'adolescents) sous-estime donc le problème...
Alors dans le monde rural, l'arrêt des études débouche sur des emplois à la petite semaine, sans perspectives. Dix ou vingt ans plus tard, lorsque beaucoup prennent une nouvelle orientation professionnelle, ces ruraux resteront le bec dans l'eau : pas assez qualifiés, trop profilés dans un secteur bouché.
" Pour Lise, qui a grandi dans le Lot, l'internat n'a pas posé problème. 'J'avais besoin de m'éloigner un peu. Et puis, au lycée, j'avais pour voisins une forêt... et des vaches ! Peu dépaysant, en somme. 'C'est après, dit-elle, que 'ça se corse' : 'Soit il faut partir en ville, continuer les études pour chercher un boulot intéressant, soit rester en zone rurale et occuper un petit boulot sympa.' La jeune femme a fait son choix : elle est vendeuse dans une petite ville des Pyrénées-Orientales. "
L'écart entre inclus et exclus du système se creuse à l'entrée en sixième. Le collège. Plus nombreux dans les périphéries urbaines et quartiers difficiles qu'ailleurs, les jeunes qui décrochent s'autocensurent : le mot est lâché. Ceux qui vont au lycée en sortent vite après le bac : ils suivent un cursus court qui les prépare mal à une vie professionnelle en plusieurs temps. Le mot 'contraint' apparaît un peu plus loin ; il dit beaucoup des rancœurs accumulées par les invisibles ...
Mais je me serais bien passé de la pseudo-analyse de la sociologue Marie Duru-Bellat. Tout le mépris de classe s'exprime en quelques mots indéfendables. On peut être pauvre et/ou démuni sans pour autant être dupe. La bulle immobilière toujours évoquée et jamais combattue brise des destins scolaires : La famille, parlez-en moins... Les enfants de citadins favorisés ne souffrent pas des mêmes affres.
" Quand on n'est pas très sûr de son projet professionnel, on a tendance à privilégier une formation près de chez soi et à s'en contenter, a fortiori quand les moyens financiers sont limités. 'Malgré l'arrivée des 'néo-ruraux', des cadres moyens, 'les critères ne sont pas toujours ceux des familles des grandes villes, poursuit-elle. Tout le monde ne rêve pas d'intégrer Henri-IV, une prépa ou une grande école ! Dans les petites villes, en milieu rural, la qualité de vie passe, souvent, avant la carrière, le salaire'."
Les articles latéraux enfoncent malheureusement le clou du relativisme misérabiliste. 'Si les ruraux choisissent de rester à la campagne, c'est que c'est mieux pour eux' pensent les experts. Or l'intérêt de l'article central fait un pied-de-nez à ces lieux communs ! Les maisons familiales rurales accueillent chaque année 70.000 enfants et adolescents : dont acte. Elles proposent " des formations en rapport avec les besoins des territoires où elles sont implantées - les services à la personne, par exemple, deviennent essentiels dans les campagnes à mesure que les populations vieillissent."
Une ado de 15 ans explique qu'elle est heureuse parce qu'elle a de bonnes notes : dans les établissements normaux on en distribue des mauvaises ? Elle est heureuse, parce qu'elle fait un stage dans une crèche à Vic-le-Comte (Puy-de-Dôme), une commune de 5 000 habitants. Loin de moi l'idée de contrarier sa vocation. Mais quel est le lien entre le fait que ses parents vivent en zone rurale et son futur métier ? Aucun.
Une jeune femme explique qu'elle n'ira pas à l'université... Fille d'agriculteurs, elle est inscrite dans un BTS assistant de gestion PME-PMI, au Puy-en-Velay. "Elle a de bons résultats, mais ne se sentait " pas capable " d'aller à l'université. Ce n'est pas la peur de bouger, dit-elle - elle s'était d'ailleurs portée candidate pour des DUT à Clermont-Ferrand et Saint-Etienne -, mais plutôt la crainte de se perdre dans une formation pas assez encadrée."
La boucle est bouclée. Les ruraux ont la qualité de vie et les ennuis qui vont avec... Ils ont même visiblement intégré le discours ambiant sur les filières courtes, laissant la place aux enfants de citadins. C'est non seulement injuste mais aussi doublement regrettable pour le pays entier : de combien de talents ruraux nous privons-nous en France ? En outre, le système scolaire bis (comprenez adapté pour les ruraux) coûte très cher : En pays briochin, les merveilles n'existent pas.