lundi 31 octobre 2005 - par Michel Monette

Les dangers de la techmocratie

Pas étonnant que la démocratie électronique donne l’impression d’avoir chaussé des bottes de sept lieues pour se lancer à la conquête du monde : elle surfe dangereusement sur la pensée magique.

Le 28 septembre dernier avait lieu à Issy-les-Moulineaux le 6e forum mondial sur la e-démocratie. Ce n’est pas rien : 1 800 congressistes provenant de 43 pays, plus de 105 intervenants.

L’appel mondial à une démocratie électronique libre, lancé le premier jour du forum, est à l’image de l’événement. À force de tirer dans toutes les directions, on finira par tuer la démocratie elle-même.

Dans le cas des scrutins électroniques, le logiciel libre offre-t-il une garantie totale de « transparence, sécurité, et contrôle par les citoyens », comme le prétendent les auteurs de l’appel mondial ?

Non, répond Frédéric Couchet, animateur de la commission culture numérique des Verts.

Il est vraiment dommageable d’avoir mis le vote électronique dans cet appel lancé, il est vrai, à l’occasion du forum e-démocratie à Issy les Moulineaux, haut lieu de la propagande en faveur du vote électronique (et de la carté d’identité numérique).

"L’appel mondial pour une e-democratie libre" suscite de nombreuses réactions.

J’ai dit moi-même à quel point je n’aime pas le vote électronique. Au-delà de toute étiquette politique, Couchet résume bien les craintes que soulève le remplacement du mode traditionnel par un mode électronique.

La démarche de se déplacer dans un lieu public, pour voter dans un isoloir, et avoir la possibilité de participer au dépouillement du vote par des assesseurs choisis au hasard et des scrutateurs envoyés par les différents partis -ou de l’observer- peut-elle être remplacée par un vote électronique (potentiellement fait à distance, sans l’isoloir qui garantit l’absence de pression et le secret du vote, et en laissant une machine compter les votes) ?

Le mode de scrutin actuel est issu de décennies de luttes politiques pour assurer que les urnes donnent des résultats sur lesquels ne subsistent aucun doute. Tout est prévu, même une procédure de recomptage où peut intervenir un juge. On ne badine pas avec la démocratie.

Entendons-nous, il y a du bon dans l’augmentation de la capacité des citoyens à faire entendre leurs voix sur la place publique, grâce aux blogues entre autres, et à participer à des consultations publiques par l’entremise des nouvelles technologies.

Mais la techmocratie comporte aussi sa part de risques. En voici deux qui me viennent à l’esprit :

Premier risque : les exclus le seront encore davantage. Une partie, loin d’être négligeable, de la population ne maîtrise pas les nouvelles technologies, et cette situation déplorable va demeurer dans l’avenir une réalité à laquelle il faut trouver réponse.

Les partisans de la e-démocratie ne doivent jamais perdre de vue l’obligation d’universalité absolue de leurs alternatives électroniques lorsqu’il s’agit du choix des élus et des consultations officielles.

Deuxième risque : les élus ont déjà de la difficulté à résister à la tentation d’adaptabilité constante aux humeurs changeantes de leur électorat. Or, ne les élisons-nous pas parce qu’ils ont des principes et des idées, ainsi qu’une volonté de les mettre en oeuvre ?

La techmocratie, pardon la e-démocratie, n’est pas une panacée pour contrer la baisse de confiance des électeurs.

Le problème me semble bien davantage le fait que les électeurs ne peuvent pas se fier à des élus qui changent constamment d’idées, plutôt que le cocooning qui aurait ramolli leurs jambes au point qu’il faudrait remplacer celles-ci par les doigts.

Après tout, les Grecs n’ont-ils pas inventé la démocratie en se rassemblant physiquement en un même lieu ?

Quelqu’un voit d’autres risques ?



4 réactions


  • colza (---.---.53.120) 31 octobre 2005 17:54

    La e-démocratie ne se limite pas au vote électronique.

    Il y a aussi les e-forums, les e-débats, les e-échanges d’idées qui, à mon sens font progresser la démocratie.

    Le 29 Mai en est un bon exemple.


  • Michel Monette 31 octobre 2005 23:47

    Je suis bien d’accord avec vous. Mon interrogation ne porte d’ailleurs pas que sur le vote électronique. Je dis bien que les nouvelles technologies ont du bon, mais il ne faut pas croire qu’elles vont transformer la démocratie à elles seules. Elles pourraient même nuire si nous ne prêtons pas attention aux risques qui en feraient une « techmocratie ».


  • c (---.---.125.109) 1er novembre 2005 09:27

    D’accord avec vous !

    En tout état de cause, rien ne remplacera jamais le simple bon sens et le discernement. Et il en faut actuellement pour faire le tri, pffff !!


  • Méric de Saint-Cyr Méric de Saint-Cyr 25 janvier 2006 00:03

    <>

    Je vois au moins deux autres inconvénients au vote électronique, si ce n’est deux autres « dangers » :

    - Le piratage électronique, beaucoup plus facile à réaliser que subtiliser ou substituer le contenu physique d’une urne. Certes, on assiste à ce genre de magouille dans les républiques bananières où leurs présidents fantoches sont réélus à 98% des voix. Mais en principe, dans une démocratie fonctionnelle, le bulletin de vote est l’objet d’un maximum de précautions.

    - L’impossibilité à rendre un tel projet universel : risque de panne d’ordinateur, risque de panne de courant, pays du tiers-monde où aujourd’hui encore on ignore jusqu’à l’existence de l’électricité (la plupart des villages ruraux d’Afrique sub-saharienne).

    Internet ne permet la communication qu’entre les internautes, mais pas les autres...

    Petit rappel : Si on pouvait réduire la population du monde en un village de 100 personnes tout en maintenant les proportions de tous les peuples existants sur la Terre, ce village serait ainsi composé :

    - 57 asiatiques
    - 21 europeens
    - 14 americains (Nord, Centre et Sud)
    - 8 africains
    - 52 femmes et 48 hommes
    - 30 blancs et 70 non blancs
    - 6 personnes posséderaient 59% de la richesse totale
    - 80 vivraient dans des mauvaises maisons
    - 40 seraient analphabètes
    - 50 souffriraient de malnutrition
    - 1 (oui, un seulement) aurait un diplome universitaire.
    - 8 personnes auraient accès à un ordinateur, dont 6 connectées à un réseau de type internet.
    - 50 auraient l’électricité.


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