Mélenchon et le front de gauche ont raison sur l’Europe !
Dans cette campagne, j’admets que la position européenne du front de gauche n’est pas forcément la plus intuitive et je remarque que du coup nombre d’incompréhensions circulent sur internet, certains y voyant des contradictions, des incohérences, et d’autres carrément une volonté dissimulée d’embrouiller ou de tromper les français.
Je vais donc essayer ici de l’expliquer et peut être de répondre à certaines interrogations, en m’appuyant très largement sur l’excellent bouquin « Nous on peut ! » écrit par Jacques Généreux, que je conseille à tous ceux qui s’intéressent à toutes ces questions.

I Le mythe de l’impuissance
D’abord commençons par le constat que fait le front de gauche sur la situation économique et politique en Europe, parce qu’on ne peut pas comprendre les solutions qu’il propose si on ne connait pas les problèmes qu’elles visent à combattre et les objectifs qu’elles visent à atteindre.
Pour le front de gauche, face à la crise déclenchée en 2008 par le capitalisme financier, les états ont sauvé les fauteurs de crise (les banques et les spéculateurs) au lieu de les combattre. Et face à la spéculation contre la dette publique de la Grèce, du Portugal, de l’Irlande etc …, les gouvernements se plient aux exigences des marchés financiers et font payer la facture aux travailleurs.
Les grands partis qui se partagent le temps d’antenne avec les gouvernements et une armée d’éditorialistes, d’experts etc … nous rabâchent tous la même rengaine, celle de l’impuissance. On ne peut pas faire autrement, il n’existe pas d’alternative, le capitalisme, le pouvoir de la finance et la compétition mondiale sont des réalités indépassables. Selon eux, nous n’avons plus d’autre choix que de tenir un discours de « vérité » aux français : l’état est en faillite, il n’y a plus d’argent, nous n’avons pas d’autre choix que de nous « serrer la ceinture », bref de nous résigner à l’austérité.
Ce discours n’est pas sans rappeler celui qui dominait avant la crise : « dans un monde en guerre économique permanente, la nécessité d’être compétitif nous contraint à faire ce que l’on peut pour rester dans la course, à sacrifier des « acquis sociaux trop couteux » ou des biens publics « au dessus de nos moyens » et à « travailler plus pour gagner… » moins !
Et en cas de crise, les sacrifices sont nécessairement plus durs, les états se retrouvant à court d’argent.
Ainsi toute politique progressiste offrant une autre perspective que la régression sociale ont beau apparaître souhaitables pour le plus grand nombre ( ex retraite à 60 ans pour tous ou smic à 1700 euros ), elles n’en sont pas moins systématiquement présentées et, en fin de compte malheureusement assez largement perçues, comme irréalistes dans le monde d’aujourd’hui.
Et si on regarde le paysage politique dans cette élection présidentielle, on voit bien que les principaux candidats ( Sarkozy, Bayrou, Hollande, Lepen ) tiennent tous ce discours et défendent tous cette même austérité, à la nuance prêt que Bayrou cultivant son folklore centriste veut faire porter l’effort à 50/50 entre la réduction des dépenses et de nouveaux impôts, qu’Hollande veut faire payer un peu plus les riches que les autres mais sans grande conviction, et que Lepen veut faire surtout payer ces salopards d’immigrés.
Jean-Luc Mélenchon a d’ailleurs sorti une expression marrante pour les désigner : il les appelle « les 4 daltons de l’austérité ». (Je vous laisse deviner qui sont Joe et Averell …)
Le front de gauche avance que le « on ne peut pas faire autrement » est justement précisément le verrou idéologique qui protège les profiteurs du système, mieux que n’importe quelle armée.
II L’union européenne libérale
Et à ce titre, l’UE est devenue l’instrument de soumission des Européens à la pression permanente de la libre concurrence. Elle n’a pas seulement livré l’Europe à la guerre économique mondiale et à tous les spéculateurs de la planète ; elle l’a fait en privant les Etats membres de tous les instruments de la puissance publique employés par les autres grandes puissances pour soutenir leur économie nationale. De surcroît elle a intensifié la concurrence interne entre les travailleurs européens, elle a encouragé la concurrence fiscale et le dumping social entre ses Etats membres pour soutenir une convergence forcée vers les politiques néolibérales.
Et on le voit avec l’exemple Grec, il faut voir comment l’UE protège ses membres face à la crise financière ! Elle ne constitue pas un front renforcé des Etats européens pour contrer les spéculateurs et mater les marchés financiers ; elle forme au contraire un front de gouvernements pour protéger la finance et forcer les peuples les plus vulnérables à se soumettre aux exigences des banquiers.
Après un tel bilan, il n’est pas né l’altermondialiste du front de gauche qui saura convaincre les foules que seul un pouvoir supranational saura restaurer le progrès social et la souveraineté des peuples face aux marchés !
On peut de bonne foi souligner que la tournure anti démocratique de l’UE n’a rien avoir avec la construction européenne que nous proposons et même à juste raison soutenir que les biens publics mondiaux ( la biosphère, le climat, les ressources naturelles, la paix, etc … ) nécessitent idéalement une politique mondiale. Ce discours est inaudible face aux réalités immédiates qui confortent au contraire les appels au repli national ( Lepen / Dupond-Aignan / Asselineau ).
En effet, le seul endroit au monde où l’on a commencé une réelle intégration internationale ( l’UE ) apporte chaque jour la démonstration que ce processus vise à déposséder les peuples de tout reliquat de souveraineté, à préserver le système capitaliste et des politiques néolibérales qui épuisent la planète et les hommes au seul avantage d’une minorité de profiteurs.
Alors dans ce contexte, on peut toujours soutenir comme le front de gauche que, dans l’idéal, nous avons besoin de plus d’Europe démocratique et de plus de mondialisation démocratique pour contrer l’UE et la mondialisation néolibérales. Mais ce discours peut être vrai en théorie et inopérant en pratique. Car toute la question est de savoir comment l’on passe de la réalité insoutenable à l’idéal souhaitable.
D’où les incompréhensions à propos de la position du front de gauche et toutes les critiques qu’elles génèrent.
Sauf qu’en l’occurrence il est une première idée qui s’impose au bon sens : ce n’est pas en commençant par bafouer la souveraineté des peuples dans l’Etat-nation que l’on promeut l’avènement des instances démocratiques supranationales dont le monde a besoin.
III Le repli nationaliste
Ainsi, la première étape logique dans la reconstruction d’une coopération démocratique entre les peuples européens, comme entre les peuples du monde, consiste à restaurer d’abord toute la souveraineté populaire abolie par la mondialisation du capitalisme, là où elle peut s’exercer dans l’immédiat, c’est-à-dire au niveau national. Autrement dit : Si, en effet, ce sont bien les peuples qui maîtrisent la conduite des politiques au niveau national, alors tout processus d’intégration supranationale éventuellement nécessaire se fera uniquement selon des modalités qui étendent la démocratie et promeuvent les biens communs à tous les peuples.
Mais là où la réflexion du front de gauche diverge totalement de celle des nationalistes, c’est que pour le front de gauche la restauration de la souveraineté populaire nationale doit évidemment aller de pair avec l’intensification de la solidarité internationale des peuples, solidarité plus que jamais indispensable face par exemple à l’urgence écologique, ou face aux tensions croissantes pour le partage planétaire des ressources, deux grands enjeux géopolitiques systématiquement oubliés par les autres formations politiques et ainsi exclus du débat public.
Dès lors le défi politique du moment, pour le front de gauche, est de restaurer la souveraineté populaire nationale sans s’abîmer dans un repli nationaliste. Ce défi peut être relevé en suivant le cap d’un nouvel internationalisme fondé sur la coopération des peuples souverains. Mais cela suppose au préalable de faire sauter le verrou de la prétendue impuissance des nations.
Mais ce besoin de solidarité n’est pas la seule raison qui exclut un repli nationaliste.
Les nationalistes expliqueront avec conviction qu’un repli au niveau national n’est pas contradictoire avec une coopération entre les peuples mais ils se trompent. Un tel repli c’est abandonner toutes les questions internationales aux seules négociations inter-gouvernementales, c’est-à-dire, à des ministres, à des diplomates, à des technocrates, bref à des personnes non élues.
C’est faire la même erreur que nos ancêtres après la seconde guerre mondiale !
Il est illusoire de croire restaurer la souveraineté du peuple en en abandonnant une aussi importante partie à ces gens qui forment une classe sociale complètement déconnectée du reste de la population. Il suffit de voir le rôle moteur qu’ont jouées toute ces institutions internationales dans la mondialisation libérale (ONU, FMI, OMC, et dans une large mesure l’UE ), pour comprendre le caractère fondamentalement oligarchique et vain de ce genre de gouvernance ( le G20 en étant la plus extrême manifestation ) et donc que ce n’est pas la bonne voie à suivre. Les mêmes causes entraineraient exactement les mêmes effets.
IV L’impasse de la sociale démocratie européenne
Mais cela suppose aussi qu’il existe une autre force politique à gauche. Car partout où un front de gauche n’est pas présent, l’offre politique semble bornée par trois impasses :
- la soumission à la mondialisation néolibérale (Bayrou / Sarkozy)
- le repli nationaliste ( Lepen, Dupond-aignan, Asselineau)
- la construction au dépend des nations d’une démocratie mondiale pour soutenir une autre mondialisation (Hollande, Eva Joly)
La 1ère de ces voies est celle, insoutenable, qui nous entraine aujourd’hui dans l’abîme d’une régression générale, la deuxième est l’autre régression où nous mèneront tout droit des révoltes populaires si elles ne trouvent pas d’autre débouché politique, et la troisième est une fausse issue de secours, car elle fait miroiter une porte de sortie théorique et lointaine sans dessiner un chemin plausible sur lequel s’engager aujourd’hui.
Car personne ne croit sérieusement possible d’obtenir par la seule négociation multilatérale, et à brève échéance, une réorientation radicale de l’union européenne, ni, à fortiori, l’institution de nouvelles organisations mondiales démocratiques. Il ne reste alors qu’une alternative effective, la régression néolibérale ou la régression nationaliste. La 3ème voie des sociaux démocrates a en effet perdu toute crédibilité.
Quand ces derniers ne se sont pas de fait rangés dans le camp du néolibéralisme, ils se sont repliés sur un altermondialisme ou sur un européisme niais : ils comptent sur la négociation internationale pour restaurer les marges de manœuvre disparues. Et pendant qu’ils négocient ou attendent que des partenaires veuillent bien négocier quelque chose, le rouleau compresseur néo libéral accomplit son office.
Ils abandonnent ainsi les peuples.
En s’abstenant à chaque moment clé de la construction européenne depuis le référendum sur le TCE (Traité constitutionnel européen) en 2005, c'est-à-dire au moment de la ratification du traité de Lisbonne en 2007, au moment du plan de sauvetage des banques au début de la crise financière en 2008, et aujourd’hui avec l’institution du MES (Mécanisme européen de stabilité), les parlementaires du parti socialiste l’illustrent malheureusement de manière particulièrement éloquente.
IV Une autre alternative : L’Humain d’abord
J’espère que vous comprenez mieux pourquoi le Front de gauche refuse ces trois alternatives et propose une quatrième voie, dont vous devinez j’espère dors et déjà la cohérence.
A court terme, le front de gauche restaurera cette souveraineté du peuple :
1) En mettant fin à la Vème république, qui n’est rien d’autre qu’une forme de monarchie déguisée, et en instaurant une VIème république parlementaire grâce à une assemblée constituante réservée aux citoyens.
2) Par la récupération de marges de manœuvres financières grâce à une meilleure répartition des richesses (salaires, impôts, cotisations, audit et restructuration de la dette)
3) Par la récupération de marges de manœuvres politiques au niveau national en prenant des mesures immédiatement applicables qui permettent de reprendre les pouvoirs abandonnés aux marchés financiers par les précédents gouvernements (ex : création d’un service public bancaire séparé des marchés financiers en nationalisant certaines banques comme la BNP, interdiction de la cotation en continue, droit de veto sur les délocalisations, poursuite des évadés fiscaux dans les autres pays etc … ).
4) En désobéissant au traité de Lisbonne, ce qui nous permet de récupérer d’autres marges de manœuvre au niveau national sans sortir de l’UE et sans renoncer à l’Euro (donc en proposant en parallèle la renégociation des traités), parce que nous en avons besoin pour mettre en place la coopération démocratique et la solidarité internationale dont je parlais plus haut. ( ex : emprunts directs à la banque de France en attendant un accord pour autoriser les emprunts directs à la BCE, contrôle des mouvements de capitaux etc … )
5) Grâce à la planification écologique qui permettra de relancer l’économie tout en la resoumettant aux besoins et à la volonté du peuple. ( ex : création d’un pôle public de l’énergie (ex : nationalisation de Total ), sortie de la dépendance aux énergies carbonées ( ex développement du chemin de fer ), et au nucléaire ( développement des énergies alternatives géothermie, solaire, hydrothermie etc … ) .
6) En sortant de l’OTAN et donc en nous émancipant de la domination et de l’impérialisme américain, en redonnant sa propre voix et sa grandeur à la France. En refusant l’instauration d’un grand marché transatlantique et d’une gouvernance économique au niveau européen.
Merci.