mercredi 23 novembre 2011 - par Terra Nova

Politique de rigueur et investissements d’avenir : les impératifs jumeaux

Dans cette tribune, reprise par Le Monde des idées, Olivier Ferrand, Président de Terra Nova analyse les problématiques liées à la crise de la dette et propose comme solution de faire cohabiter politique de rigueur et investissements d'avenir. La crise des finances publiques sera au cœur du prochain mandat présidentiel. C’est que la France fait face à un immense défi sous la forme d’une double contrainte croisée : le surendettement et le sous-investissement.

Surendettement : la dégradation des finances publiques constitue le point le plus noir du bilan du quinquennat. La dette a explosé, passant de 64% à près de 90% du PIB. Un récent rapport de la Cour des comptes l’a souligné : seul un tiers de cette dégradation est conjoncturel, du à la crise ; les deux-tiers sont structurels, de la responsabilité du gouvernement, pour l’essentiel du fait de baisses d’impôts. Pire, avec un déficit de près de 6%, la dette continue de dériver sans contrôle. Nous approchons de l’impasse financière sans réagir.
 
Les marchés ont intégré ce risque de perte de contrôle et demandent des taux d’intérêt de plus en plus élevés, désormais supérieurs de 1.2 point à leur niveau d’avant la crise (3.3% contre 2.1%). Rappelons que la charge d’intérêts est déjà le premier poste budgétaire du pays (49 milliards) et que 1 point de taux en plus représente, à maturité, plus de 15 milliards d’intérêts supplémentaires : de quoi rayer d’un trait de plume tout le budget « sécurité » du pays. Rappelons aussi que le stress sur les taux peut monter très vite : l’Italie se refinance aujourd’hui à 6.5%…
 
Que devra faire le nouveau Président ? Les objectifs sont connus. La France n’a pas d’autre choix que de restaurer l’équilibre de ses comptes publics au plus vite en respectant les deux points de passage qu’elle s’est fixés : un déficit ramené à 3 % en 2013 puis 2 % en 2014, jusqu’à l’équilibre en fin de mandature. Ce sera difficile : le déficit structurel est encore de 4 points de PIB, il y a donc 80 milliards à trouver.
 
Comment faire ? Terra Nova a déjà suggéré les trois principes qui devraient gouverner la politique d’assainissement des finances publiques entre 2012 et 2017[1].
 
Premier principe : un processus d’élaboration budgétaire vertueux.
 
Les hypothèses d’élaboration de la loi de finances (croissance notamment) ne doivent plus être arrêtées par le ministre des Finances, par trop tenté d’en faire la variable d’ajustement de son bouclage budgétaire. Pour garantir la sincérité budgétaire, elles doivent être confiées à une autorité indépendante (typiquement l’INSEE transformée en autorité administrative indépendante). Et pour entrer dans une élaboration vertueuse, Terra Nova a proposé que le taux de croissance retenu ne soit pas une hypothèse moyenne, mais une hypothèse basse : le plancher du consensus des économistes. Cela contraint l’élaboration budgétaire à une rigueur accrue. Et il n’y a plus de dérapages budgétaires en exécution. Au contraire, il ne peut y avoir que des bonnes surprises. Ces « cagnottes » éventuelles sont affectées selon une règle préalablement fixée par le Parlement : en l’occurrence, étant donné le stress budgétaire actuel, 100 % seraient fléchés vers le désendettement (à terme, dès que la France est sortie de la zone rouge, on pourrait imaginer 50 % pour la réduction du déficit et 50 % pour les investissements d’avenir).
 
Il s’agit en quelque sorte d’une « règle d’or ». Mais pas une règle d’or d’objectif, qui relève de l’affiche sans efficacité. C’est d’ailleurs une proposition tout-à-fait baroque car la France a déjà introduit une telle règle d’or dans la Constitution en 2007 ! L’article 34 alinéa 7 fixe ainsi un objectif d’équilibre des comptes publics : « Les orientations pluriannuelles des finances publiques sont définies par des lois de programmation. Elles s'inscrivent dans l'objectif d'équilibre des comptes des administrations publiques. » Les critères du pacte de stabilité européen (maximum de déficit à 3 % du PIB et de dette publique à 60 %) ont également valeur constitutionnelle, on voit ce qu’on en a fait… Nous proposons au contraire une règle de procédure, efficace car elle enserre l’élaboration budgétaire dans un dispositif vertueux.
 
Deuxième principe : sur les recettes, une stratégie globale de réforme fiscale fondée sur la justice sociale.
 
La hausse des impôts est inévitable. Elle a déjà commencé : près de 20 milliards de hausses en deux ans. Mais l’effort doit être équitablement réparti. La réduction des niches fiscales (60 milliards de niches « officielles » et encore 70 milliards de niches « déclassées ») et sociales (60 milliards) est une priorité. Certaines sont injustes : des véhicules d’évasion fiscale pour les contribuables les plus aisés. Beaucoup ont une utilité limitée. Au-delà, il faut s’engager dans la réforme de notre système fiscal, caractérisé par sa très faible redistributivité. C’est la logique de la refonte IR-CSG proposée par François Hollande.
 
Troisième principe : un effort équivalent sur les dépenses publiques.
 
C’est une nécessité. Il y a peu de marge sur les recettes : les prélèvements obligatoires atteignent déjà 45% du PIB, soit leur plus haut niveau historique, et placent la France au 4ème rang mondial. Il y en a en revanche beaucoup sur les dépenses. Si nous ramenions la dépense publique nationale au niveau suédois, le pays le plus égalitaire du monde, à l’Etat providence le plus généreux, nous économiserions 100 milliards d’euros.
 
Le gouvernement parle de réduire les dépenses mais il ne se passe strictement rien. C’est qu’il base toute sa stratégie sur les économies de gestion (la « RGPP ») à politiques publiques inchangées. Il y a bien sur des économies à faire mais, même bien réalisées (ce qui n’est pas le cas), elles ne peuvent générer par construction que quelques milliards d’économies. En aucun cas, la RGPP ne peut répondre aux objectifs structurels, qui se chiffrent en dizaines de milliards.
 
Terra Nova invite à un changement de méthode : il faut s’attaquer aux politiques publiques elles-mêmes. C’est ce qu’ont fait tous les pays qui ont réussi à redéployer leurs finances publiques, à froid comme Israël, la Suède, le Canada, ou à chaud sous la pression des marchés comme la Hongrie. Nous ne l’avons jamais fait : nous avons toujours empilé les politiques nouvelles sur les politiques anciennes, sans jamais les remettre en cause. C’est ce qui explique le niveau exceptionnel de la dépense publique. Ubu n’a jamais dirigé ce pays, de sorte que toutes les dépenses ont un sens. Mais il y a des politiques du passé qui ne sont plus prioritaires aujourd’hui.
 
Si elle est surendettée, la France est aussi en situation de sous-investissement structurel. Tel est notre douloureux paradoxe.
 
La montée en puissance des contraintes de finances publiques, depuis trente ans, a eu comme conséquence l’asphyxie progressive des investissements publics. En 2010, le budget de l’Etat consacre à peine une dizaine de milliards sur 290 aux investissements et subventions d’investissement : 97 % de dépenses de fonctionnement et 3 % de dépenses d’investissement. Les économistes Jacques Delpla et Charles Wyplosz chiffrent à 400 milliards d’euros le retard d’investissement cumulé de la France sur la période (investissement public et privé). 
 
La commission Juppé-Rocard allait dans le bon sens : un programme d’investissement d’avenir de 35 milliards d’euros. Mais ce programme a été conçu comme une opération unique, un fusil à un coup destiné à reconstituer le capital économique détruit par la crise de 2009. Il faut au contraire envisager un effort de long terme, pour rattraper le retard d’investissement accumulé depuis trente ans. Terra Nova a proposé un programme d’investissement annuel, « une commission Juppé-Rocard par an », sous la forme d’un programme budgétaire de l’ordre de 30 milliards annuels, isolé au sein de la loi de finances (pour éviter que les ministères puissent venir s’y servir pour pallier les coupes dans leur budget de fonctionnement), et sorti des arbitrages budgétaires (pour éviter toute remise en cause).
 
Un tel programme est-il incompatible avec les efforts de réduction du déficit ? Nous ne le croyons pas. Cela implique un effort supplémentaire de redéploiement des dépenses publiques : la capacité à remettre en cause les dépenses du passé pour financer, non seulement la réduction du déficit, mais aussi les dépenses d’avenir. Il y aura sans aucun doute la nécessité d’un phasage. L’idée serait d’atteindre les 30 milliards annuels (1,5 point de PIB) à la fin du quinquennat, soit 6 milliards de redéploiement nouveau tous les ans (0,3 point de PIB). Cela permettrait de dégager un programme d’investissement d’avenir de 6 milliards dès 2013, puis 12 milliards en 2014, jusqu’à atteindre le rythme de croisière de 30 milliards annuels en 2017.
 
Au total, il y aurait donc un effort budgétaire à faire de l’ordre de 110 milliards d’ici 2017 : 80 pour la réduction du déficit et 30 pour les investissements d’avenir. Cela correspond à un ticket de 22 milliards par an, soit 1.1 point de PIB. Faisable : c’est l’effort annuel moyen des pays de la zone euro en ce moment. Il serait partagé pour une bonne moitié sur la baisse/redéploiement de la dépense publique et le reste sur une hausse des recettes.
 
Cumuler assainissement des finances publiques et investissements d’avenir. Tout l’inverse de ce qui a été fait jusqu’ici. Ces impératifs jumeaux sont difficiles à tenir étant donné la profondeur de la crise budgétaire. Ils sont une nécessité vitale si nous voulons redonner un avenir à notre pays.


[1] Cf. Thomas Chalumeau et Olivier Ferrand, Budget 2012 : un pas de plus vers l’impasse financière (Note, Terra Nova, 31 octobre 2011 – disponible sur www.tnova.fr)



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