RDCongo : les populations du Nord et Sud-Kivu, victimes oubliées
La conférence sur la paix, la sécurité et le développement dans le Nord et Sud Kivu tenue du 14 au 24 janvier 2008, vient de jeter, selon les participants, de nouvelles bases pour une réconciliation durable et pardon mutuel entre les populations de ces deux provinces qui, sûrement, manifestent la volonté de vivre ensemble, mais regrettent que les assises aient omis de désigner les causes lointaines et actuelles de conflits dans cette région : le Rwanda. Une réalité sensible et dangereuse, aux yeux même des dirigeants congolais, qui prétendent que la paix est possible d’abord entre Congolais eux-mêmes.
Par Kilosho Barthélémy
Covalence Genève
Quand on pose la question aux autorités congolaises actuelles de la suite sur les massacres de plus de 3 millions de Congolais depuis la guerre de 1996, la réponse est toujours à l’emporte-pièce, comme s’il y avait une sorte de gêne sur cette question et la réponse n’est autre que « c’est plus compliqué qu’on ne le pense ». Eh bien c’est plus compliqué. L’organisation non gouvernementale américaine International Rescue Committee (IRC) vient encore de publier le chiffre du nombre de morts mensuels sur le territoire congolais : 46 000 personnes victimes des maladies comme le paludisme, la malnutrition, la dysenterie causés par cette guerre qui n’en finit pas. Peut-être que la conférence était-elle une occasion pour jeter des nouvelles bases pour une paix durable dans les deux provinces de l’Est du Congo. Durant plus de dix jours, les conférenciers ont essayé d’analyser les causes et les conséquences de ces conflits qui sapent toujours les efforts du gouvernement dans la reconstruction du pays. Quand les autres provinces ont déjà amorcé la phase de reconstruction, les provinces du Nord et Sud Kivu continuent à compter les morts et les déplacés qui se chiffrent par milliers. Le ministre belge à la Coopération, fils du commissaire européen au Développement de l’Union européenne qui vient de participer à cette conférence, n’a-t-il pas été ému de constater que les camps de réfugiés sont remplis par les Congolais, dans leur pays plutôt que par des étrangers fuyant les guerres ? Colette Braeckman, journaliste au quotidien belge Le Soir et spécialiste de la RD Congo, personnage pas tendre envers les autorités de ce pays, n‘a-t-elle pas aussi estimé que cette conférence constitue une bonne chose ? Toutes les personnes furent présentes, belligérants notamment le CNDP, le Congrès national pour la défense du peuple) de Laurent Nkunda, les groupes armés Pareco, le Maï-Maï, Mongol, les représentants de la société civile, hautes autorités congolaises et provinciales, pour partager les souffrances de la population.
Une conférence aux allures révolutionnaires où la présence de Joseph Kabila, président de la République congolaise, fut accueilli par de vives applaudissements. Il fut l‘initiateur de la conférence ; d’ailleurs le président de l’Assemblée, en citant les paroles bibliques, n’a pas hésité à considérer le président comme un faiseur de paix, le bien heureux car le royaume de cieux lui appartient. Des déclarations qui démontrent l’attente de la population du Nord et Sud Kivu et de surcroît de toute la population congolaise, de voir une bonne issue à la sortie de cette conférence. Les signatures de cessez-le-feu entre toutes les parties en conflit furent d’une grande émotion et l’audience s’est mise à croire enfin à la paix dans la région, surtout que même les représentants américains, européens et onusiens furent présents.
Mais, comme aiment le dire les diplomates en place, les intentions, aussi bonnes soient-elles, sont souvent confrontées à la réalité en place. En date du 28/01/2008, il y eut des combats violents entre le Maï-Maï de Pareco et les tutsis de Laurent Nkunda vers Kasaki et Lusirandaka, à 70 km de Goma, un incident de parcours selon les observateurs, puisque la paix est un processus et de telles accrochages sont inévitables.
Cependant, les populations de ces provinces ne voient pas les choses comme les conférenciers ou, plutôt, comme les dirigeants congolais semblent présentement le voir. Les conflits dans les Nord et Sud Kivu, comme le prétend la population, ont pour acteur principal : le Rwanda, un pays, quatre-vingt fois moins grand que le Congo et dont le président considéré comme le chouchou de l’administration américaine dans la région n’est autre que Paul Kagamé.
Paul Kagame, un personnage aux apparences trompeuses : aux allures paysannes, mais avec une tête bien faite comme disent les Occidentaux et ses admirateurs. Il fut à la base de la défaite de l’armée hutu rwandaise pendant le génocide de 1994 et installa au pouvoir l’élite tutsi au Rwanda. Avec l’appui des Américains, il parviendra aussi à chasser Mobutu du pouvoir en RD Congo, ex-Zaïre et y plaça le feu Laurent Désiré Kabila avant de le céder à son fils, Joseph Kabila, l’actuel président de la RD Congo, juste après la mort de son père. Une conquête de la RD Congo qui fut menée sans vision optimale pour une partie de la population congolaise d’origine tutsi présente dans les deux provinces du Nord et Sud Kivu. Cette minorité tutsi congolaise fut utilisée par les politiciens avec l’appui des Américains comme tremplin et prétexte pour envahir le Congo. Elle se présenta comme victime d’exactions de la part des populations locales congolaises de ces deux provinces et avait estimé qu’elle était dans le plein droit de se défendre pour survivre. La présence de hutus rwandais, jugés génocidaires par le régime de Kigali, ne fut pas aussi une bonne chose pour la population de ces deux provinces, puisque les attaques furent quotidiennement menées contre ces hutus rwandais avec des dégâts importants au sein de la population civile qui n’ont cessé de se considérer comme victimes des conflits et guerres venues d’ailleurs.
De surcroît, la population minoritaire tutsi, mondialement connue comme banyamulenge, fut aussi victime de l’instrumentalisation de la guerre menée par la Rwanda. Ce pays, à travers son président, fut le centre de tous les intérêts et sollicitations de la part des dirigeants et prétendants au pouvoir en RD Congo. La majorité des dirigeants actuels de la RD Congo y sont passé, à commencer par l’actuel président Kabila, qui fut un proche de Kagamé ; même le tonitruant et éternel opposant Etienne Tshisekedi, président de l’UDPS y était passé pour négocier sa part de gâteau dans le pouvoir congolais. Le président de l’actuelle assemblée congolaise Vital Kamerhe n’a pas non plus cessé de vilipender et dénoncer le Rwanda de sa mainmise sur les provinces du Nord et Sud Kivu. Hélas, il a été peut-être attrapé par la réalité politique, puisqu’il n’en parle plus. Et quand les autorités congolaises passaient leur temps à dénoncer la présence et l’instrumentalisation du conflit et des populations minoritaires dans cette partie de la RD Congo, le pouvoir de Kigali n’a jamais été aussi fort et aussi adulé par les Occidentaux : stabilité politique, diminution de la violence, augmentation des investissements étrangers, l’afflux des touristes pour visiter les gorilles de ses montagnes ; et les élections étant passées par là, le président Kagamé ne cesse d’émerveiller les Occidentaux qui commencent à considérer le Rwanda comme un nouveau dragon de la région des Grands Lacs. Et, à ses frontières, les deux Kivu, le Nord et le Sud Kivu, provinces au bord de l’implosion, où plus de 400 milles déplacés congolais sont entassés dans des camps entretenus par le Haut Commissariat aux réfugiés. Le président rwandais, habile calculateur et fin politicien, manipulateur de surcroît, ne cesse de démontrer que le problème congolais concerne les Congolais eux-mêmes, ce qui est en partie vrai ; mais il oublie parfois que le fait d’avoir contribué à tisser les haines entre communauté dans ces deux provinces n’a pas servi ces dernières puisque les violences continuent et touchent toutes les communautés confondues. Les rebelles de CNDP n’ont cessé de défendre la thèse de protéger les minorités tutsi contre les hutus présents en RD Congo ; une thèse qui est loin de convaincre puisque les tutsis sont présents partout et intégrés dans la population locale avec laquelle ils vivent en excellente harmonie. Et le Rwanda continue, avec sa relative stabilité, à attirer les populations de ces deux provinces dans les pays notamment les enseignants, les commerçants, les étudiants qui y sont accueillis et traités dignement. De l’autre côté, la RD Congo, passée par les élections, n’arrive pas à se libérer de cette guerre qui sape tous les programmes de reconstruction de l’ensemble du pays. L’issue de cette conférence, peut-être, est la bienvenue, pour voir autrement que ce que prétendent la plupart des habitants de deux provinces que leurs malheurs viennent d’ailleurs. Une vérité difficile à admettre dans une région pleine d’hypocrisie érigée comme mode de gouvernance.