Référendum 14 : L’économie sociale de marché
C’est un curieux retour des choses que celui par lequel plus de cinquante ans après son émergence, l’économie sociale de marché, inventée par les ordo-libéraux allemands et popularisé par Ludwig Erhard,
revient à l’honneur pour tenter d’apaiser les préoccupations de ceux
auxquels on fait croire de manière abusive que le traité
constitutionnel impose de manière irréversible le libéralisme
économique à la société européenne.
Dans une note publiée sur ce blog, François Bilger a
expliqué la genèse intellectuelle de ce concept et la manière dont, au
fil des années, il a été mis en œuvre en Allemagne avec des fortunes
diverses.
Cette histoire explique que ce soient les socialistes européens qui aient recherché et obtenu au cours des débats de la Convention que l’adjectif sociale soit ajouté à économie de marché dans l’article I-3 qui définit de la manière la plus globale l’objectif que le traité constitutionnel assigne à l’Union européenne dans le domaine économique et social :
L’Union oeuvre pour le développement durable de l’Europe fondé
sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix,
une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein
emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et
d’amélioration de la qualité de l’environnement. Elle promeut le
progrès scientifique et technique.
Elle combat l’exclusion sociale et les discriminations, et promeut
la justice et la protection sociales, l’égalité entre les femmes et les
hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits
de l’enfant.
Elle promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les États membres.
Certains diront qu’il ne s’agit que de mots. En fait il s’agit d’idées
qui définissent, si on les analyse attentivement, un modèle économique
européen, différent du modèle anglo-saxon ou plutôt de la caricature
qui en est souvent faite.
Et aux sceptiques qui ne croient pas à la puissance des idées, j’opposerai le propos célèbre de Keynes dont ses ouvrages ont été une parfaite illustration : Nous
sommes convaincus qu’on exagère grandement la force des intérêts
constitués par rapport à l’empire qu’acquièrent progressivement les
idées. A la vérité, elles n’agissent pas d’une façon immédiate, mais
seulement après un laps de temps.
Tel sera le sort des objectifs inclus dans le traité constitutionnel.
Ils irrigueront progressivement la pratique des institutions
européennes à travers l’analyse qu’en fera l’exécutif, le
retentissement que leur donnera le Parlement et la lecture qu’en
imposera la Cour de Justice.
De surcroît, au-delà de la force des idées, l’article I-15 du traité
fournira le support juridique nécessaire, permettant aux forces
politiques soucieuses prioritairement de justice sociale ou souhaitant
corriger les effets qu’elles jugeraient pervers de l’économie de marché,
de mettre en œuvre leur politique, à condition toutefois qu’ils en
aient convaincu un nombre suffisant d’électeurs européens dans une
majorité d’Etats membres :
La coordination des politiques économiques et de l’emploi
1. Les États membres coordonnent leurs politiques économiques au
sein de l’Union. À cette fin, le Conseil des ministres adopte des
mesures, notamment les grandes orientations de ces politiques.
Des dispositions particulières s’appliquent aux États membres dont la
monnaie est l’euro.
2.
L’Union prend des mesures pour assurer la coordination des politiques
de l’emploi des États membres, notamment en définissant les lignes
directrices de ces politiques.
3. L’Union peut prendre des initiatives pour assurer la coordination des politiques sociales des États membres.
Continuer à prétendre que le traité constitutionnel n’autorise qu’une politique économique et sociale, inspirée de ce que j’ai appelé l’archéo-libéralisme, ne correspond donc pas à la vérité de ce texte.