vendredi 6 avril 2018 - par Sylvain Rakotoarison

Réforme Macron des institutions (1) : les grandes lignes

« L’avenir, fantôme aux mains vides,
Qui promet tout et qui n’a rien. »
(Victor Hugo, 1837).



Voici une nouvelle réforme amorcée. Elle a été annoncée un peu dans l’indifférence des chaînes d’information continue qui préféraient disserter sur la grève de la SNCF et le mécontentement des usagers. Le gouvernement ne craint pas l’overdose et aime combattre sur tous les fronts.

Dans une conférence de presse à Matignon, le Premier Ministre Édouard Philippe a présenté, ce mercredi 4 avril 2018 à 17 heures, les différents volets de la réforme des institutions voulue le 3 juillet 2017 par le Président de la République Emmanuel Macron. Comme je l’avais écrit il y a peu, chaque Président de la République, une fois élu, a l’irrésistible tentation de changer les règles du jeu institutionnel. On pourra lire le texte intégral de l’allocution ici.

Avant de poursuivre, je veux préciser ici mon mode d’emploi sur ce sujet. Comme lors de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 voulue par le Président Nicolas Sarkozy, j’interviendrai régulièrement pour donner l’évolution en cours de cette réforme des institutions. Je ne prétends pas à l’objectivité, mais seulement à la rigueur. J’espère pouvoir présenter le plus précisément et exactement possible ce dossier, mais je souhaite aussi y apporter mon grain de sel, mes remarques personnelles, mon opinion sur certaines mesures et je me donne même le droit d’y apporter mon aigreur ! Mon avis ne reste que mon avis, mais c’est le principe de la démocratie qui tient compte de l’avis de chacun au moment des élections. Mon avis n’est donc pas plus important qu’un autre, mais pas moins non plus. Et j’essaie de le formuler le plus argumenté possible.

Le vendredi 30 mars 2018, le Président de la République Emmanuel Macron avait reçu à l’Élysée le Président du Sénat Gérard Larcher et le Président de l’Assemblée Nationale François de Rugy en présence du Premier Ministre Édouard Philippe, pour tenter d’adopter une "stratégie" commune pour cette réforme : « Nous avons pu, ensemble, construire les bases d’un accord possible. ». Auparavant, Emmanuel Macron avait reçu l’ensemble des groupes parlementaires à ce sujet. Pour autant, y aurait-il un deal entre Emmanuel Macron et Gérard Larcher ? Pas sûr, car Gérard Larcher a signé dès le soir du 4 avril 2018 une tribune pour s'opposer à cette réforme, insistant beaucoup sur la défense des territoires et de leur représentation.

D’après l’interview d’Édouard Philippe à la matinale de France Inter ce jeudi 5 avril 2018, il semblerait admis que le gouvernement ne court-circuiterait pas les parlementaires par référendum. On imagine les raisons politiques : la grève de la SNCF depuis le 3 avril 2018, bien suivie (environ 30 à 34%), et le ras-le-bol des usagers-citoyens-électeurs pourraient en rendre très incertains les résultats, voire les rendre explosifs.

Mais de toute façon, le référendum était un plan B en cas de difficulté à réunir une majorité des trois cinquièmes des parlementaires en vue d’adopter la révision constitutionnelle, mais il n’exonère pas la condition constitutionnelle pour organiser un référendum sur une révision constitutionnelle : faire adopter le projet de loi par les deux assemblées en termes identiques, or, le gouvernement est loin d’avoir acquis la majorité sénatoriale sur ce sujet. Donc, le référendum ne permettrait pas de contourner le verrou du Sénat et il serait politiquement très risqué au moment où la bataille de l’opinion se cristallise sur la réforme de la SCNF.

Avant de préciser les mesures proposées par le gouvernement, parlons de la procédure et du calendrier proposés. Édouard Philippe a indiqué que trois projets de loi seraient soumis au conseil des ministres du mercredi 9 mai 2018 (en pleine semaine du "double pont" ! encore un moyen de faire des réformes en passant inaperçus) : un projet de loi constitutionnelle, un projet de loi organique et un projet de loi ordinaire. Le projet de loi constitutionnelle serait soumis au Conseil d’État dès ce jeudi 5 avril 2018 et les deux autres projets la semaine prochaine. L’objectif du gouvernement est de faire une première lecture parlementaire avant la pause estivale de 2018 et de finaliser l’adoption définitive en 2019 (l’automne est plutôt réservé à la préparation de la loi de finances).

Une remarque d’ordre général : à part les mesures sur le nombre de parlementaires, le cumul dans le temps, et le mode de scrutin, les mesures proposées sont hétéroclites et ne permettent pas de comprendre l’objectif général de cette réforme. Édouard Philippe n’invoque que la très imprécise "ambition" : « Nous souhaitons aujourd’hui porter une nouvelle ambition. ». S’il reste rassurant qu’il veuille « bien entendu [préserver] » la « philosophie d’ensemble » de notre Constitution (« Car il ne s’agit ni de revenir à la IVe République, ni de passer à la VI e . »), je reste plutôt inquiet des risques majeurs de changer le mode de scrutin et du retour, justement, de la IVe République.

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Rappelons que le gouvernement, qui bénéficie d’une large majorité à l’Assemblée Nationale, a les moyens de faire adopter le projet de loi ordinaire (c'est-à-dire le nouveau mode de scrutin) sans négocier avec aucun autre groupe parlementaire. En revanche, il a besoin des sénateurs LR (majoritaires au Sénat) pour faire adopter son projet de loi constitutionnelle ainsi que son projet de loi organique (réduction du nombre de parlementaires, limitation des mandats dans le temps). Les lois organiques doivent être adoptées en termes identiques pour les deux assemblées.


1. Contenu du projet de loi constitutionnelle

1.1. Le Conseil supérieur de la magistrature

Il est prévu un « renforcement [de ses] pouvoirs » pour la nomination des magistrats du parquet et de son pouvoir disciplinaire.

Mon avis : autant je trouve pertinent de rendre indépendants les magistrats du siège (indépendants du gouvernement), autant je considère que les magistrats du parquet doivent appliquer la politique et les priorités du gouvernement, sans pour autant avoir des interactions avec la justice sur des affaires précises (cas où, par exemple, un ministre est mis en cause judiciairement, comme l’a été Jérôme Cahuzac). La solution consisterait à reprendre une proposition formulée par Raymond Barre lors de sa campagne présidentielle de 1988 : désigner un Garde des Sceaux, Ministre de la Justice qui soit "élu" par les députés pour la durée du gouvernement. Ainsi, il serait à la fois membre du gouvernement mais suffisamment autonome en termes de légitimité pour prendre des décisions qui s’imposeraient sans pression du gouvernement.


1.2. Exclusion des anciens Présidents de la République du Conseil Constitutionnel

Rappelons d’abord l’origine. De Gaulle avait surpris tout le monde lorsqu’il a décidé de se présenter à la Présidence de la République en décembre 1958. Tout le monde pensait qu’il resterait chef du gouvernement, le lieu habituel du pouvoir depuis 1873. Sa candidature a écarté le Président en exercice, René Coty (qui n’avait pas encore achevé son mandat). Pour éviter aux deux anciens Présidents de la République IVe République de l’époque, René Coty et Vincent Auriol, de se retrouver sans revenus, leur nomination de droit au Conseil Constitutionnel leur a permis d’assurer un minimum de niveau de vie et de ne plus avoir d’inquiétude matérielle.

Dans la pratique, De Gaulle, François Mitterrand et (probablement) François Hollande n’ont jamais participé à aucune séance de travail. Notons que les revenus comme membre de droit sont conditionnés par la participation réelle aux travaux du Conseil Constitutionnel. Les autres Présidents (hors Georges Pompidou décédé en cours de mandat) ont eu diverses situations avec des incompatibilités de deux ordres.

Le premier (surtout pour les "jeunes" anciens Présidents), c’est dans le cas où l’ancien Président voudrait poursuivre sa carrière politique, et dans ce cas, il ne peut pas être à la fois juge et partie. C’était le cas de Valéry Giscard d’Estaing qui n’est entré véritablement au Conseil Constitutionnel qu’en avril 2004 (à la fin de tous ses mandats). Je rappelle néanmoins que certains membres nommés dans les années 1970 et 1980 avaient pu cumuler cette responsabilité avec leur mandat de maire et même, de président de conseiller général (notamment Achille Peretti, maire de Neuilly-sur-Seine, et Léon Jozeau-Marigné, président du conseil général de la Manche).

La seconde incompatibilité, c’est lorsque le Conseil Constitutionnel juge la validité des comptes de campagne dudit membre de droit, ou encore lorsque le membre de droit est mis en cause par la justice. Jacques Chirac a participé aux séances de mai 2007 à mars 2011, puis a été obligé de ne plus y siéger par la suite. Nicolas Sarkozy également, membre actif entre mai 2012 et juillet 2013 (mis en cause pour le dépassement de ses frais de campagne 2012). Nicolas Sarkozy avait décidé par ailleurs de ne pas assister aux séances qui débattraient des questions prioritaires de constitutionnalité qui pouvaient remettre en cause des lois que lui-même avait promulguées (là encore, il faut séparer juge et partie).

Toutes ces expériences ont montré plus d’inconvénients que d’avantages à maintenir cette disposition constitutionnelle très vivement combattue par Jean-Louis Debré, ancien Président du Conseil Constitutionnel, qui a déjà eu à présider des séances en présence de deux des trois anciens Présidents de la République : Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy (jamais les trois ensemble). L’argument des revenus ne tient plus depuis longtemps, étant donné, d’une part, les nombreuses retraites en tant qu’ancien élu (souvent, l’Élysée est l’aboutissement d’une longue carrière élective), d’autre part, les retraites professionnelles (beaucoup, provenant de l’ENA, sont des hauts fonctionnaires avec leur traitement associé).

Mon avis : pas opposé donc à cette exclusion, mais néanmoins, il me semble que les anciens Présidents de la République ont une expérience institutionnelle inégalable et il faudrait donc laisser au Conseil Constitutionnel, pour certaines questions au contour à définir, la possibilité de consulter les anciens Présidents de la République, et cela à titre bien sûr bénévole.


1.3. La justiciabilité des ministres dans l’exercice de leurs fonctions

Rappelons d’abord la raison d’une justice d’exception pour les ministres : il s’agit de répondre à l’impératif de séparation des pouvoirs. Le projet propose de supprimer la Cour de Justice de la République (composée de parlementaires de la majorité et de l’opposition) pour la replacer par la Cour d’appel de Paris.

Mon avis : pourquoi pas ? La protection judiciaire des ministres se justifie moins dès lors que leur sont reprochés des faits de corruption ou d’abus de biens sociaux, etc. et leur jugement par leurs pairs pouvait faire naître de la suspicion pour l’ensemble de la classe politique. Dans la situation actuelle, je ne vois pas les inconvénients d’une telle suppression d’exception. D’autant plus que le gouvernement propose un filtre : « Un filtre sera toutefois conservé pour que la responsabilité des ministres ne soit engagée qu’à bon escient. ». La seule exception qu’il est proposé, c’est de faire juger ces ministres par les juges les plus expérimentés et gradés.


1.4. La transformation profonde du Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE)

Le projet prévoit de réduire de moitié le nombre de ses membres et de le transformer en « une chambre de la société civile chargée (…) d’organiser les consultations des citoyens et des experts sur les projets d’avenir pour notre pays ».

Mon avis : je trouve le gouvernement bien timoré sur le sujet. Si on voulait vraiment faire des économies sans conséquences sur la démocratie, il faudrait carrément supprimer le CESE qui ne sert qu’à recaser des battus électoralement ou des amis du pouvoir en place. Les consultations des citoyens peuvent très bien être réalisées par les parlementaires eux-mêmes. La première consultation avait été organisée à l’Assemblée Nationale pour la préparation de la loi Claeys-Leonetti et cela avait été un succès (en quelques jours, près de 6 000 contributions, parfois très construites, avaient été recueillies sur le site Internet de l’Assemblée Nationale).




1.5. Limitation des amendements

Finalement, le gouvernement a renoncé à instituer un « contingentement des amendements » (limitation à un certain nombre d’amendements en fonction de la taille du groupe parlementaire qui les dépose). Insistons sur le fait que le droit d’amendements est une disposition essentielle dans une démocratie puisque, d’une part, il permet l’amélioration (éventuelle !) des projets du gouvernement (une rédaction collective de la loi est toujours plus sage qu’une rédaction unilatérale provenant des services de l’Élysée), d’autre part, c’est le seul droit dont disposent les minorités. Certes, ce droit a permis à l’opposition de faire éventuellement une obstruction pour retarder l’adoption de projets de loi contestés (ce fut le cas pour les nationalisations en 1982). Cela retarde, mais il y a suffisamment d’outils constitutionnels pour pouvoir contourner une telle obstruction (l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, ou encore les ordonnances).

Cependant, malgré ce renoncement, il propose la possibilité de « limiter les amendements sans portée normative, sans lien direct avec le texte ou qui ne seraient pas du domaine de la loi ». L’ancien ministre Roger Karoutchi, sénateur LR, a demandé au gouvernement, le 4 avril 2018 sur Public Sénat, que la disposition d’un tel "filtre" soit rédigée par les parlementaires eux-mêmes.

Mon avis : toucher au droit d’amendement serait une grave faute politique. L’élaboration de la loi ne doit pas se faire dans l’urgence ni de manière bâclée, mais de manière sage et réfléchie. Une bonne loi, c’est quand son texte a mis un certain temps à mûrir.


1.6. Contrôle gouvernemental du calendrier parlementaire

La révision du 23 juillet 2008 avait imposé un meilleur équilibre en faveur du Parlement dans la tenue de l’ordre du jour des deux assemblées : « une semaine de contrôle, une semaine d’initiative législative parlementaire et deux semaines d’initiative législative gouvernementale ». Le gouvernement veut remettre en cause ce progrès en permettant de bouleverser cet agenda équilibré : « Les projets de texte les plus importants ou urgents pourront bénéficier d’une inscription prioritaire à l’ordre du jour. ».

Mon avis : je suis foncièrement contre. Comme tous les textes seront (naturellement) "importants" et "urgents", cela reviendrait à la pratique antérieure où le gouvernement maîtrisait l’ensemble de l’ordre du jour. Malgré les intentions affichées, cela remettrait en cause le nouvel équilibre plus juste de 2008.


1.7. Procédure parlementaire

Plusieurs mesures annoncées sont tellement imprécises et floues que j’y reviendrai à partir du texte définitif. Trois annonces cependant me paraissent positives et constructives.

1.7.1. La première, c’est de renforcer le rôle de contrôle : « L’évaluation des lois sera plus systématique, et, pendant les semaines de contrôle, les parlementaires pourront procéder aux corrections ou aux simplifications des lois faisant l’objet de l’évaluation. ». Mon avis : je trouve cette mesure excellente. Que veut dire "plus systématique" ? soit c’est systématique ou ce ne l’est pas ! Il faudrait même aller plus loin. Toutes les lois principales devraient être sous obligation d’évaluation et surtout, car il faut en finir avec l’indigestion législative, aucune nouvelle loi traitant du même sujet ne devrait être abordée avant une première évaluation de la précédente loi. Avec des durées pour la première évaluation comprises entre un et cinq ans : un an pour le domaine économique et social, il faut bien sûr que lorsqu’il y a un changement de majorité, la nouvelle majorité puisse appliquer son programme, mais des lois comme celles dans le domaine de bioéthique ou de la fin de vie, ou encore sociétal (mariage pour tous, etc.), cinq ans d’évaluation me paraîtraient nécessaires avant de remodifier les règles.

1.7.2. La deuxième annonce, c’est d’accélérer à chaque automne l’adoption de la loi de finance (passage de 70 à 50 jours de discussions parlementaires) et de renforcer à chaque printemps le temps de l’évaluation des politiques publiques et du contrôle de l’exécution du budget par les ministres. Mon avis : pourquoi pas, si cela n’enlève aucun droit à l’opposition de s’opposer au projet de budget.

1.7.3. Enfin, la troisième annonce concerne l’article 34 de la Constitution, énumérant les sujets définissant le domaine de la loi. Il s’agira d’inscrire « l’impératif de la lutte contre le changement climatique » parmi les préoccupations des parlementaires, et, éventuellement, en cas de demande du Conseil d’État, d’inscrire un fondement constitutionnel pour le projet de service national universel « pour valoriser l’engagement des jeunes au service de la Nation ». Mon avis : excellente remise en modernité des textes pour s’adapter aux enjeux d’aujourd’hui et de demain.


1.8. Le pacte girondin

1.8.1. C’est une mesure encore très floue qui viserait à marquer la « confiance dans la capacité des collectivités locales de métropole et d’outre-mer d’adapter elles-mêmes les règles qui régissent leurs domaines de compétence à la réalité de leur territoire ». Ce pacte serait considéré comme « un gage d’efficacité et une façon de réformer sans céder à l’esprit de système ». Mon avis : à voir une fois le texte précis connu. Les conséquences d’un tel pacte restent encore bien incertaines.

1.8.2. Autre point déjà évoqué lors de la visite en Corse d’Emmanuel Macron les 6 et 7 février 2018 et qui pourrait cristalliser les oppositions : « La Corse trouvera sa place dans notre Constitution, ce qui permettra d’adapter les lois de la République aux spécificités insulaires, mais sous le contrôle du Parlement. ». Mon avis : là encore, il faudrait savoir quelle "place" trouvera la Corse ! Cela pourrait ouvrir la boîte de Pandore, avec la revendication de nombreux territoires qui se diraient "spécifiques", comme l’Alsace, la Bretagne, le Pays Basque, etc.


2. Contenu des projets de loi organique et ordinaire

Comme je l’ai signalé, le projet de loi ordinaire (mode de srutin) pourrait se passer éventuellement du soutien d’autres groupes que ceux de la majorité (LREM et MoDem), puisque l’Assemblée Nationale aura le dernier mot. Pour le projet de loi organique (réduction du nombre des parlementaires, limitation des mandats dans le temps), le soutien des sénateurs LR est indispensable.

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Ces deux projets concernent les trois mesures déjà annoncées au cours de la campagne présidentielle de 2017.


2.1. Nombre des parlementaires

La mesure est : « une réduction de 30% du nombre de députés et de sénateurs dans des conditions qui garantissent la représentation de tous les départements et territoires ». Cela signifierait concrètement une suppression de 173 députés sur 577, ce qui ferait 404 députés (ou 405). Cela me paraît très faible pour un grand pays comme la France qui a besoin de beaucoup de compétences pour remplir scrupuleusement ses missions de législateur et de contrôleur (Royaume Uni : 650 ; Allemagne : 709 ; Italie : 630). Cela signifierait aussi que beaucoup de départements à faible densité seraient représentés par un seul député. Quant aux sénateurs, cela signifierait la suppression de 104 sénateurs sur 348, ce qui ferait 244 en tout (ou 245). Là encore, ce serait très faible (2 sénateurs par département en moyenne, qui, à une certaine époque, était le seuil minimal de représentativité).

Mon avis : j’aurais préconisé une réduction, certes, mais pas d’une telle ampleur, juste pour revenir à la situation d’avant le 10 juillet 1985, à savoir 491 sièges à l’Assemblée Nationale, et une réduction équivalente pour le Sénat, à savoir réduire à 295 sièges. Rappelons aussi qu’il vaut mieux maintenir un nombre impair dans une assemblée pour définir une majorité absolue dans un sens ou dans un autre. Je reviendrai certainement sur cette question.


2.2. Mode de scrutin de l’élection des députés

La mesure est : « l’introduction d’une dose de représentation proportionnelle aux élections législatives pour 15% des sièges de députés à pourvoir ». Prenons donc la calculatrice : cela signifierait 61 députés élus à la proportionnelle. Alors, dans quel cadre serait cette proportionnelle ? Forcément dans le cadre national, c’est-à-dire le pire qui va renforcer l’émiettement du paysage politique (c’est peut-être ce que recherche Emmanuel Macron ?).

Mon avis : comme je l’ai déjà expliqué, je suis résolument opposé au scrutin proportionnel. Les dernières expériences européennes montrent que, même dans un système mixte (majoritaire et proportionnel), c’est la catastrophe pour trouver une majorité et former un gouvernement stable.

Le seul avantage énoncé, c’est une meilleure représentation de la classe politique au Parlement, mais en fait, les élections législatives de juin 2017 ont montré que toutes les forces politiques étaient représentées à l’Assemblée Nationale avec le scrutin majoritaire, même les partis les plus extrémistes comme FN et FI. En revanche, l’éclatement du paysage politique rendrait plus incertaine la constitution de majorité à l’avenir, ce serait une faute historique majeure et irréversible.

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Un autre inconvénient important dans l’égalité des députés, c’est qu’il y aurait des députés de deux types, ceux élus sur leur seul nom au mérite, et les autres, à la proportionnelle, dont le seul mérite a été de se placer en haut de la liste de leur parti (notons que cette inégalité d’élection a déjà lieu pour les sénateurs).

Cette dose de proportionnelle, ce serait le retour au régime des partis, ou plutôt, son renforcement puisque depuis François Mitterrand, le régime des partis avait déjà repris belle place. L’ancien ministre Christian Jacob, président du groupe LR à l’Assemblée Nationale, a résumé sagement, le 4 avril 2018, la position de son groupe : « La bonne dose de proportionnelle, c’est 0% ! ».


2.3. Cumul des mandats dans le temps

La mesure est : « l’interdiction du cumul des mandats dans le temps, au-delà de trois mandats identiques, complets et consécutifs, sauf pour les maires des communes de moins de 9 000 habitants ». Pourquoi cette exception ? (Négociations avec Gérard Larcher ?). Pourquoi cette interdiction ? S’appliquerait-elle aux élus déjà sortants ou le premier mandat serait-il comptabilisé seulement à partir de l’application de cette réforme ? (A priori, cela ne s'appliqurait donc qu'à partir de 2030 et même au-delà). La mesure s’appliquerait-elle au mandat présidentiel, auquel cas cela permettrait de rallonger d’un mandat supplémentaire (quinze ans) par rapport à l’existant ? (A priori, non, même si le sénateur proche macroniste François Patriat avait plaisanté sur le sujet).

Mon avis : je suis opposé à la limitation du cumul dans le temps car c’est retirer une part de la liberté de vote des électeurs qui, en démocratie, devraient faire ce qu’ils veulent. Un pouvoir central préférera toujours avoir en face de lui des contre-pouvoirs, des élus d’opposition qui soient le moins expérimentés possible… Je reviendrai probablement sur cette mesure.


Absence de philosophie générale de la réforme

Les mesures proposées par cette réforme des institutions sont soit ultra-techniques et plutôt admissibles car ce sont des adaptations mineures à la vie politique d’aujourd’hui, soit un retour d’ascenseur au soutien conditionnel de François Bayrou le 22 février 2017 qui va engendrer un gros risque de renforcer le régime des partis et le discrédit qui pèse déjà aujourd’hui sur la classe politique.

En revanche, je ne vois pas en quoi cette réforme contribuerait, comme l’a conclu Édouard Philippe, « à rénover profondément la vie politique et parlementaire dans un triple souci de responsabilité, de représentativité et d’efficacité ». Il est malheureux que ce soit par un homme originairement gaulliste (issu du RPR) et doté d’une certaine sagesse, d’une réelle pondération et d’un esprit réfléchi que les institutions du Général De Gaulle poursuivraient leur délitement progressif…

Je reviendrai, bien entendu, sur l’évolution de la réforme dans les semaines ou mois qui viennent.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (05 avril 2018)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Allocution du Premier Ministre Édouard Philippe le 4 avril 2018 à Matignon (à télécharger).
La réforme des institutions du Président Macron (1) : les grandes lignes.
Non à la représentation proportionnelle aux élections législatives !
Protégeons la Ve République.
Le retour aux listes nationales aux élections européennes (2 décembre 2017).
Moraliser la vie politique ?
Suicide à la proportionnelle intégrale.
Cumul des mandats.
Réforme des modes de scrutins locaux.
Réforme territoriale.
Le serpent de mer.
Le vote électronique.
Le vote obligatoire.
Non aux campagnes participatives !
Le mode de scrutin des élections européennes (4 février 2013).
Le mode de scrutin des élections législatives.
Sommes-nous dans une dictature ?
Le 49 alinéa 3.
Redécoupage électoral en décembre 2009.
Faut-il supprimer l’élection présidentielle au suffrage universel direct ?
50 ans de Ve République (en 2008).
160 ans d’élection présidentielle (en 2008).
10 ans de quinquennat (en 2010).
La cohabitation.
La révision du 23 juillet 2008.
Les nominations présidentielles.
Quelques idées reçues sur le gaullisme.
Autorité et liberté.

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5 réactions


  • zygzornifle zygzornifle 6 avril 2018 14:11

    Le gouvernement va réformer les toilettes publiques , attendez vous a chier dans votre froc paraîtrait que ça donnera du ruissellement et le premier de corvée nettoiera les traces ....


  • jymb 6 avril 2018 14:55

    Toute réforme qui n’introduit pas de manière formelle la consultation directe des citoyens n’a aucun intérêt et ne changera rien à l’énorme rancoeur et exaspération qui est le sentiment actuel plus que dominant ( et plus que légitime) 


    Référendum venant du « sommet » ou de la base, possibilité de révoquer les élus menteurs, incapables, malfaisants ou godillots...S’il n’y a pas ce préalable formel, il n’y a aucune réforme qui est digne de ce nom 

    La « faute historique majeure » est que l’assemblée actuelle ne représente absolument pas la France et les francais, n’a aucune liberté de ton autre que marginale et pour els caméras, et n’est qu’une chambre aux ordres ( du parti ou du gouvernement) , telle l’assemblée du PC à l’époque de Brejnev qui applaudissait debout pendant trente minutes aprés un discours lénifiant 
    Un député ne devrait pas être inscrit à un parti mais ne dépendre que de ses électeurs qu’il serait tenu ( lui aussi) de consulter régulièrement . 

  • Le Comtois 6 avril 2018 17:31

    Dès le moment ou l’on vote pour un parti pro Europe, il ne faut pas s’étonner que ce dit parti applique la politique européenne. Donc les cocus, comptez vous ! C’est avant qu’il fallait réfléchir 


  • Christian Labrune Christian Labrune 6 avril 2018 23:24

    La baudruche Macron est en train de se dégonfler. Lentement, mais sûrement. Les classes moyennes médiocrement cultivées qu’une rhétorique de petit curé, pleine de bonnes intentions immensément niaises, séduisait encore il y a quelques semaines, sont en train de se rendre compte que tout cela n’était, comme dirait l’Ecclésiaste, « que vanité et poursuite du vent ».

    C’était aisément prévisible. Ce qui l’est moins, c’est la manière dont nous allons pouvoir nous tirer, nous autres Français, du grand merdier qui va se découvrir quand la gueule de bois, un beau matin, va nous tomber dessus.


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