Rien changer, parce qu’on veut tout changer
Hier, le second tour des élections régionales et départementales a consacré la fossilisation des instances locales, avec la victoire de tous les sortants au niveau régional, et un niveau d’abstention équivalent au premier tour. La plupart des analystes y voient un succès de la droite, qui rassemble 38% des voix et semble en mesure de troubler le duel Macron / Le Pen. Et si le message était plus complexe ?
Les nombreux messages des citoyens, électeurs ou non
Le choc du niveau de l’abstention au premier tour a été très intéressant. Une partie des médias, comme France Inter, et certains politiques, y ont vu un manque d’éducation et une forme de « je m’en foutisme », pour reprendre le terme de François de Rugy, ratatiné dans sa région. Nous avons également eu droit à un concours Lépine d’idées pour changer les modalités du scrutin. Les résultats du second tour démontrent que Marine Le Pen s’est totalement trompée sur le fond de son intervention du dimanche 20 au soir, où elle dénonçait un « désastre civique » et appelait ses électeurs à « déconfiner leurs idées ». Plutôt que de critiquer de facto ses anciens électeurs qui ne s’étaient pas déplacés cette fois-ci, comme le font beaucoup de partis, elle aurait été bien mieux inspirée de les appeler à l’aider au second tour. Mais pour cela, il aurait fallu être gaullienne, et elle apparaît ici comme une dirigeante politique comme une autre.
Car cette grêve des urnes a un sens, comme le souligne un sondage Sopra Steria, et c’est bien pour cela que le niveau de l’abstention est resté quasiment le même entre les deux tours, malgré le choc du premier. Il y a un vrai message que les Français envoient à leur classe politique en ne se déplaçant pas. La première raison est le mécontententement à l’égard de la classe politique qui les dirige depuis des années. Et cette fracture avec le monde politique est particulièrement fort pour les plus jeunes, qui ont été les premières victimes des confinements des quinze derniers mois. Cela représente une forme de sanction à l’égard du pouvoir, mais aussi à l’égard de toutes les oppositions, dont aucune ne justifie la mobilisation d’une majorité des électeurs pour une élection locale. Le désenchantement est extraordinairement profond, et quatre années de Macron ont encore détérioré la situation. Plutôt que des bisbilles dérisoires sur les plateaux, les Français méritaient un vrai mea culpa, des dirigeants politiques, mais aussi des média.
Les leçons politiques sont assez claires. Le socle électoral de la majorité est extraordinairement faible, avec à peine 3% des inscrits et amène à relativiser les scores de popularité ou les sondages. Et le RN, qui semblait s’imposer comme la principale alternative à Macron, sort également affaibli : il ne parvient pas à mobiliser les électeurs, et le grand écart avec les résultats de 2015 va amener à questionner la pertinence de la normalisation de la ligne politique du parti depuis 2017. La droite peut se penser plus forte en vue de 2022, mais ce n’est pas si évident. Xavier Bertrand avait réuni près de 1,4 millions d’électeurs, 32,8% des inscrits, lors de sa victoire en 2015. Cette année, il gagne avec moitié moins de voix ! En outre, tous les sortants étant reconduits, son sort est seulement celui de douze autres présidents de région sortants. En fait, cette reconduction des sortants est trop uniforme pour être enthousiaste.
En outre, la droite a affronté les polémiques liées au cavalier seul de Renaud Muselier, qui a choisi de s’allier dès le premier tour avec la majorité présidentielle, faisant de lui le seul président de région sortant à ne pas arriver en tête au premier tour. La gauche n’a pas traversé cette campagne de manière sereine non plus, avec les polémiques sur l’alliance avec La France Insoumise, qui a poussé Jean-Paul Huchon et Manuel Valls à dire publiquement qu’ils voteraient Pécresse au second tour. Sans affinité pour ces hiérarques socialistes, il faut tout de même reconnaître qu’ils sont beaucoup plus proches idéologiquement de la présidente sortante d’Ile de France que de Bayou et Autain. Plus globalement, Mélenchon sort à nouveau affaibli, lui, premier opposant en 2018, devenu 6ème candidat dans les sondages, dont le caractère et les sorties communautaristes ou fantaisistes inquiètent une part grandissante des électeurs.
Il semble surtout que dans un paysage politique d’où rien ne surnage, et où tous les partis politiques nationaux sont largement déconsidérés, finalement, les sortants de ces élections locales n’avaient en face personne qui pouvait motiver un changement. Et parce que les élus locaux sont plus populaires que les élus nationaux, il y avait une forme de logique à ce qu’en l’absence de motivation pour changer, les votants privilégient les sortants. C’est le paradoxe de cette élection : parce que les Français ont probablement majoritairement envie de tout changer dans le paysage politique, et sont aussi insatisfaits par l’opposition, institutionnelle (PS, LR, qui ont tant déçu), comme plus radicales (LFI, RN, qui suscitent beaucoup de rejet), les sortants finissent par être réélus, en partie par défaut. Quand une très grande envie de changement profondément insatisfaite peut aboutir paradoxalement à une absence de changement…
En somme, le message envoyé par les Français me semble finalement très clair : le refus de voter est une expression de l’insatisfaction vis-à-vis de l’ensemble du paysage politique, majorité et oppositions. Après, on peut tenter d’en tirer des leçons en matière de rapport de force, mais il semble que ce ne sont que des châteaux de carte que les citoyens pourraient aisément balayer à tout moment. Et si la seule leçon, c’était que tout, ou presque, pourrait finalement advenir dans l’année à venir ?