Sarko, l’écolo contrarié

Mardi 29 décembre, le Conseil Constitutionnel a rendu publique sa décision numéro 2009-599 d’annuler la taxe carbone. Une décision qui a surpris toute la classe politique, à commencer par le gouvernement, dans la mesure où la section des finances du Conseil d’Etat (la plus haute juridiction administrative du pays) n’avait émis aucune réserve particulière à l’égard de ce dispositif législatif.
Les juges constitutionnels, saisis par les députés socialistes le 22 décembre dernier, ont ainsi estimé dans le considérant numéro 82 (nous soulignons) :
« Considérant que des réductions de taux de contribution carbone ou des tarifications spécifiques peuvent être justifiées par la poursuite d’un intérêt général, tel que la sauvegarde de la compétitivité de secteurs économiques exposés à la concurrence internationale ; que l’exemption totale de la contribution peut être justifiée si les secteurs économiques dont il s’agit sont spécifiquement mis à contribution par un dispositif particulier ; qu’en l’espèce, si certaines des entreprises exemptées du paiement de la contribution carbone sont soumises au système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans l’Union européenne, il est constant que ces quotas sont actuellement attribués à titre gratuit et que le régime des quotas payants n’entrera en vigueur qu’en 2013 et ce, progressivement jusqu’en 2027 ; qu’en conséquence, 93 % des émissions de dioxyde de carbone d’origine industrielle, hors carburant, seront totalement exonérées de contribution carbone ; que les activités assujetties à la contribution carbone représenteront moins de la moitié de la totalité des émissions de gaz à effet de serre ; que la contribution carbone portera essentiellement sur les carburants et les produits de chauffage qui ne sont que l’une des sources d’émission de dioxyde de carbone ; que, par leur importance, les régimes d’exemption totale institués par l’article 7 de la loi déférée sont contraires à l’objectif de lutte contre le réchauffement climatique et créent une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. »
Le contrôle a priori du Conseil constitutionnel est ici particulièrement sévère, car en quelques phrases particulièrement bien choisies, la haute juridiction torpille le discours présidentiel sur la taxe carbone et en souligne le caractère mensonger visant à masquer en réalité une mesure fiscalement injuste.
En septembre dernier, l’arbitrage rendu dans ce dossier par Nicolas Sarkozy, avait suscité des doutes : la taxe était trop faible pour être efficace ; elle était trop forte pour être indolore ; elle était également injuste en raison des nombreux régimes d’exonération partielle ou totale qu’elle prévoyait.
Le Conseil constitutionnel vient donc de démonter la supercherie élyséenne. Il s’agit pour Nicolas Sarkozy d’un revers cinglant après son échec au sommet de Copenhague. Il ne reste plus au président de la République qu’à occuper le ministère de la parole en affichant sa détermination. D’écolo flamboyant, Sarkozy est devenu l’écolo contrarié. Le décor qu’il avait mis en place, à force de communication, s’est effondré.
Car l’objectif de la taxe carbone n’était pas tant de lutter contre le réchauffement climatique, que de le faire croire aux Français en faisant pour cela supporter aux ménages et aux catégories sociales les plus modestes l’essentiel de la charge fiscale. Mais il y a encore quelques semaines, le simple fait de le dénoncer vous rangeait inévitablement dans le camp des complices du réchauffement planétaire et des démagogues déconnectés de la réalité.
A ce titre, on se doit de rappeler que le 28 août dernier, Ségolène Royal avait été la première à dénoncer la manoeuvre de Nicolas Sarkozy et à exiger le retrait de la taxe carbone, ce qui lui avait valu d’être critiquée, notamment par les écologistes Cécile Duflot et Daniel Cohn-Bendit. Royal avait insisté sur le fait que la taxe carbone était un impôt qui pénaliserait principalement les personnes les plus modestes et les ruraux. Or, l’impôt, dans son principe, n’est pas une punition, mais une contribution aux charges communes qui doit reposer aussi sur un esprit d’équité. Un impôt n’est pas un but en soi, mais un instrument. Cela n’a aucun sens de parler fiscalité si l’on n’a pas défini auparavant les objectifs économiques et sociaux à atteindre et si on refuse d’en mesurer l’impact sur le contribuable.
A quelques heures du passage à l’année nouvelle, on se dit que s’il faut formuler un voeu, c’est bien que l’on daigne enfin écouter honnêtement ce que dit l’ancienne candidate socialiste aux présidentielles plutôt que de réagir négativement à toutes ses déclarations.
Ce faisant, la taxe carbone n’est pas morte. Ce sont uniquement ses modalités d’application qui ont été remises en cause par le Conseil constitutionnel. Le gouvernement devra donc soumettre un nouveau projet qui tienne compte cette fois des constatations du Conseil constitutionnel. Mais revoir le régime des exonérations ne sera pas simple. Politiquement en tout cas, il s’avèrera très délicat (on pense notamment au secteur du transport routier). François Fillon et Eric Woerth estiment toutefois qu’il seront en mesure de présenter un nouveau texte lors du Conseil des Ministres du 20 janvier prochain. Mais ce calendrier suscite déjà des doutes au sein même de la majorité.
On plaint les crânes d’oeuf de la direction générale des impôts qui devront trouver, en moins de trois semaines, les moyens techniques de pallier l’incompétence du gouvernement.
(article publié initialement sur http://www.gabale.fr)