Temps gaspillé et candidatures multiples...
Quand je compare les modes de fonctionnement des systèmes politiques français et britannique, indépendamment des différences institutionnelles évidentes, deux points parmi d’autres me frappent particulièrement.

D’abord le rapport au temps. De l’autre côté de la Manche, en politique , tout va plus vite et est plus bref que chez nous. Constatant sa défaite aux élections municipales, c’est le lendemain matin que Tony Blair remanie de fond en comble son gouvernement, tirant instantanément ses leçons du scrutin. La pratique consistant à laisser au Premier ministre le choix du moment du retour devant les électeurs et la brièveté des campagnes électorales limitent le risque et la durée des fins de règne.
Ensuite, la brutalité du système électoral. Le scrutin uninominal à un tour pour l’élection des députés et la quasi-automaticité de la désignation comme Premier ministre du chef du parti arrivé en tête, même s’il n’a qu’une minorité des voix, obligent d’emblée les électeurs au pragmatisme du vote utile, s’ils veulent que leur voix serve à quelque chose.
Bien entendu, le système politique britannique n’est pas exempt de pathologies, dont on a vu encore la manifestation dans la période récente, avec par exemple la toute-puissance du Premier ministre qui peut s’incruster dans sa fonction, même si la majorité de l’opinion et une large fraction de son propre parti souhaiteraient qu’il passe la main, ou la mise sur la place publique de la vie privée des ministres.
Mais, par comparaison, le temps utile pour l’action gouvernementale effective est incroyablement restreint dans notre pays : dix-huit mois de débats préélectoraux et électoraux pour l’élection présidentielle, six moix d’inter-règne, d’élections législatives et de mise en place du nouveau gouvernement, soit au total deux années sur les cinq d’un quinquennat pendant lesquelles la machine gouvernementale tourne au ralenti, ceci sans compter avec la tradition républicaine de réserve avant et après les élections municipales ou régionales. Notons aussi l’inaptitude de nos dirigeants politiques à tirer vite et efficacement les conséquences de leurs échecs électoraux.
Que dire aussi du gaspillage d’énergie et d’argent que représente notre système d’encouragement à la multiplicité des candidatures à la fonction de président de la République ? Y contribue non seulement l’élection à deux tours, mais surtout son mode de financement public. On ne peut d’ailleurs qu’être stupéfait qu’autant de personnes à une époque donnée se sentent qualifiées et légitimes pour occuper une telle position. Il est vrai que la plupart d’entre elles utilisent leur démarche de candidature comme un moyen d’accroître leur notoriété et de promouvoir leurs idées, sans croire un instant à leurs chances de succès. Le score que certaines d’entre elles peuvent parfois enregistrer est même lié au fait que beaucoup de ceux qui votent pour elles savent qu’elles n’ont aucune chance d’être élues, se donnant ainsi le plaisir d’un vote protestataire sans risque. Le problème est que le nombre de ces candidatures au premier tour, comme on l’a vu, ne met pas le pays à l’abri d’une mauvaise surprise, dont la configuration pourrait encore être aggravée par rapport à celle du 21 mai 2002.
Pour remédier à ces deux maux et éviter en outre que la désignation des candidats ne soit que le fait des militants peu représentatifs des partis, Guyf dans un commentaire à une précédente note, propose un système à trois tours, dont le premier constituerait en quelque sorte des primaires institutionnelles. Guyf lui-même doute que sa suggestion puisse être mise en oeuvre à court terme. Au demeurant, sans même transposer la solution britannique du scrutin à un tour, d’autres mécanismes pourraient être imaginés pour aboutir au même résultat, mais leurs chances d’être adoptés sont tout aussi faibles. Il n’est donc pas indispensable de s’y attarder.
Sans que ce soit une réponse intellectuellement satisfaisante, la seule perspective réaliste est sans doute de voir le processus de concentration des partis, amorcé par François Mitterrand avec le Parti socialiste et poursuivi par la création de l’UMP, se consolider et se renforcer, de telle sorte que la capacité de dispersion et de nuisance des candidatures de témoignage se réduise progressivement. Ce processus sera favorisé si ces deux partis trouvent le moyen de s’ouvrir à plus de diversité en leur sein ou, à défaut, de constituer des pôles de regroupement de plus en plus crédibles. Il sera aussi encouragé si le mouvement d’adhésions qui semble s’être amorcé dans la période récente à leur profit se poursuit durablement. Il le serait enfin également si l’argent du contribuable était plus parcimonieusement distribué aux candidatures marginales.
De deux partis de gauche et de droite, de plus en plus puissants et organisés, on peut espérer qu’ils sachent, comme leurs homologues britanniques et allemands, gérer le temps et la sélection des candidats d’une manière qui permette de garantir une meilleure continuité du gouvernement du pays, et de favoriser une plus grande rationalité des choix des électeurs.