Le bâtisseur de tous nos possibles
Quand le sacré est en chacun de nous.
Nous arrivons dans une maison pleine d'un immense vide. Celui qui fit tant et tant ici, qui bâtit de ses mains ce cadre de vie magnifique est parti pour l'autre rive. La famille, les voisins, les amis, les disciples se sont donnés rendez-vous pour une cérémonie civile d'adieu. J'ai le sentiment que nous faisons intrusion dans la douleur et l'intimité des très proches. Bientôt, il n'y paraîtra plus de cette impression parfaitement déplacée ici.
La bétonnière est en marche, des hommes s'affairent, ils vont sceller le départ du défunt en terminant ce mur de pierres qu'il n'achèvera jamais. Au-delà de la force du symbole, chacun veut apporter sa pierre, laisser une trace durable à celui qui cimenta tant de relations. Étrange enterrement !
Tous de venir autour de ce muret. Le geste de la poignée de terre sur le cercueil s'est métamorphosé en un signe fondateur. Le symbole peut paraître dérisoire, il donne du sens, il permet d'accéder à ce qui va suivre. Pas besoin d'église puisque nos avons la pierre sur laquelle se bâtira notre émotion commune.
Puis le mur achevé, le peuple des amis se regroupe dans la grange. Ni fleur ni couronne, ni bougie, ni croix. Une absence tutélaire qui impose le respect et le recueillement. La grande salle est pleine. Les places manquent même. Un poids, une interrogation, l'angoisse d'une cérémonie informelle, l'inconnu d'un rituel qui s'invente. Les premiers instants se font lourds !
Un souffle de clavecin, quelques mots de sa femme suffiront à rentrer dans le sublime d'un adieu sans larme ni prière. Les gorges seront nouées, les yeux embrumés. Pourtant, chaque mot prononcé, chaque phrase lue ou improvisée sera étonnamment empreinte de la marque de celui qui est parti.
Les interventions se succèdent, des textes, des poèmes, des hommages, des récits de vie, des anecdotes, des sourires aussi. L'assistance se consent des rires, elle applaudit pour faire sauter le bouchon qui pesait en chacun. Ce n'est plus douloureux, c'est une résurrection textuelle. « Il » est présent derrière chaque intervention, nous devinons la marque qu'il a laissée.
En français, en italien, en irlandais, en anglais toutes les langues se donnent la main pour dresser un portrait de lumière et de tolérance, d'ambition et de raison. Pas une seule fois le propos ne manque de souffle, pas un instant l'assistance ne relâche son attention.
Chaque mot prononcé porte son empreinte comme s'il émanait de lui. Il a influencé les siens, ses proches, ses voisins, ses amis. Il fut transmetteur d'un message qu'il n'a pas mesuré, qu'il a diffusé sans retenue. Jacques a enseigné le sens de l'humain, c'est ce message si simple qui est repris de bien des manières, avec des sensibilités différentes dans une harmonie incontestable.
Bien au-delà de la pompe du sacré, des mesquineries et des grimaces des églises, des illusions factices, l'individu est au cœur de cette célébration. Pas seulement celui qui est parti, son message dépassa toujours sa simple personne. Il a montré à tous le chemin, il a donné à tous ceux qui l'ont connu la force de progresser, le bonheur de grandir en suivant son exemple.
C'est de ce miracle si simple que se noua un moment d'une rare qualité. C'est ainsi que nous devrions dire adieu à ceux que nous aimons, c'est ainsi qu'il nous faudrait prendre en main ce départ définitif qui ne doit pas appartenir à des croyances sans humanité. Nous ne sommes que poussière, nous retournerons à la poussière. Des étoiles doivent néanmoins briller dans les mots qui accompagnent notre dernier voyage, elles sont en chacun d'entre nous ! C'est ce que Jacques nous a enseigné, vous pouvez vous aussi faire vôtre ce chemin qu'il nous a montré !
Condisciplement sien