mercredi 29 mars 2023 - par Laconique

Les chefs-d’œuvre de la littérature dévotionnelle

Le second millénaire de l’ère chrétienne, qui vient de s’achever, a vu fleurir un grand nombre de traités de dévotion. Tandis que les Pères des premiers siècles s’attachaient à définir le dogme et à mettre en évidence la spécificité du christianisme par rapport aux anciens cultes païens et à la philosophie, les auteurs chrétiens à partir du Moyen Âge ont voulu approfondir la dimension intérieure du christianisme, et proposer à leurs lecteurs des méthodes efficaces pour vivre une authentique spiritualité chrétienne. Cet article se propose de revenir sur quatre traités célèbres entre tous, et représentatifs de l’incomparable fécondité du christianisme en matière de discipline dévotionnelle.

- La Légende dorée, de Jacques de Voragine (1265) : On doit au dominicain Jacques de Voragine, évêque de Gênes, cette compilation en latin de vies de saints, qui sera l’ouvrage le plus diffusé au Moyen Âge après la Bible. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un traité de dévotion, même si l’exemple de tant de martyrs, leur détermination à rendre témoignage au Christ face aux pires châtiments, ont pu nourrir la foi de générations successives d’humbles croyants. Les lecteurs de chaque époque ont sans doute été tout particulièrement sensibles à l’exemple donné par ces jeunes vierges romaines, Cécile, Agathe, Agnès, Lucie, qui ont refusé les riches époux qu’on leur imposait, pour offrir leur vie au Christ, bravant sans faillir le glaive et les bêtes féroces. La Légende dorée enrichit aussi la Bible de nombreux récits pittoresques, sur la Vierge Marie et son époux Joseph, sur l’enfance du Christ, sur le destin des apôtres dans des royaumes lointains et exotiques. Cette somme, sans cesse augmentée de Vies apocryphes, peut être considérée comme une épopée chrétienne, l’équivalent d’Homère pour les chrétiens, dans un style simple, touchant et naïf, visant moins à forcer les intelligences par la puissance des arguments qu’à gagner les cœurs par le récit des miracles accomplis par la Grâce, lorsqu’elle gagne des âmes pures et modestes. L’ouvrage a été abondamment traduit dans toutes les langues, mais la plus belle traduction française est peut-être celle de Téodor de Wysewa (1911), esthète wagnérien de l’époque symboliste, qui a su trouver l’accent approprié pour transmettre la candeur et la noblesse de la foi médiévale. La Légende dorée est en outre réputée pour avoir abondamment alimenté l’iconographie chrétienne médiévale, à travers les vitraux et les livres d’heures.

Citation : « Celui que j’aime est plus noble que toi, le soleil et la lune admirent sa beauté, ses richesses sont inépuisables, il est assez puissant pour faire revivre les morts, et son amour dépasse tout amour. Il a posé un signe sur mon visage, pour m’empêcher d’aimer aucun autre que lui, et il a arrosé mes genoux de son sang. Déjà je me suis donnée à ses caresses, déjà son corps s’est mêlé à mon corps ; et il m’a fait voir un trésor incomparable qu’il m’a promis de me donner si je persévérais à l’aimer » (Vie de sainte Agnès, vierge et martyre).

 

- L’Imitation de Jésus-Christ, de Thomas a Kempis (?) (début du XVe siècle) : L’Imitation de Jésus-Christ est un autre succès fulgurant de l’apologétique chrétienne, ouvrage le plus imprimé après la Bible à partir de la Renaissance. Il s’agit d’un recueil de quatre courts traités indépendants rédigés en latin, diffusé de façon anonyme, même si un consensus a semblé s’établir pour en attribuer la paternité au moine néerlandais Thomas a Kempis. L’ouvrage témoigne d’une nette évolution des mentalités (ici, pas de merveilleux, pas de miracles) et frappe par son austérité, janséniste avant l’heure. Le propos est très sombre, les joies du monde sont présentées comme illusoires, trompeuses, la seule voie de salut pour la créature consiste à se dépouiller d’elle-même et à s’en remettre entièrement à l’amour de Dieu. Le style est d’une limpidité cristalline, animé par un idéal d’une pureté radicale. Tous les autres traités semblent encombrés d’inutiles fioritures à côté de ce mince volume qui ramène sans cesse le lecteur à l’essentiel. L’ouvrage a eu une influence immense, nullement diminuée par le passage des siècles, et l’on peut citer parmi ses lecteurs fervents saint Ignace de Loyola, Pierre Corneille, Lamennais, sainte Thérèse de Lisieux (qui ne s’en séparait jamais et le connaissait par cœur).

Citation : « Heureux celui qui comprend ce que c’est que d’aimer Jésus, et de se mépriser soi-même à cause de Jésus. Il faut que notre amour pour lui nous détache de tout autre amour, parce que Jésus veut être aimé seul par-dessus toutes choses. L’amour de la créature est trompeur et passe bientôt ; l’amour de Jésus est stable et fidèle. Celui qui s’attache à la créature tombera comme elle, et avec elle ; celui qui s’attache à Jésus sera pour jamais affermi. Aimez et conservez pour ami celui qui ne vous quittera point alors que tous vous abandonneront, et qui, quand viendra votre fin, ne vous laissera point périr. Que vous le vouliez ou non, il vous faudra un jour être séparé de tout. »

 

- Les Exercices spirituels, d’Ignace de Loyola (1548) : Les Exercices spirituels sont l’ouvrage majeur de saint Ignace de Loyola, prêtre espagnol, militaire durant sa jeunesse, converti après une grave blessure sur les champs de bataille, fondateur de la Compagnie de Jésus (ordre des jésuites). Pendant sa convalescence, il lit de nombreux ouvrages religieux, dont La Légende dorée de Jacques de Voragine, et décide de rompre avec sa vie passée pour mener une existence d’ermite et d’ascète. C’est durant son séjour dans une grotte de Catalogne, près de la ville de Mansera, qu’il commence la rédaction des Exercices spirituels, lesquels constituent un recueil de prescriptions ascétiques (concernant la nourriture, le sommeil, etc.), mais aussi et surtout un manuel de méditation sur les évangiles et la vie du Christ. Tous les événements de la vie de Jésus, et en particulier ses souffrances, sont proposés comme objet de méditation au croyant, selon un calendrier très précis, d’une rigueur toute militaire, étalé sur quatre semaines. La contemplation des actes de la vie du Christ, entrecoupée de prières et de « colloques » avec Dieu, permet au fidèle de pénétrer de façon plus intime dans les mystères de la foi chrétienne, et de les incorporer à sa propre existence, à des fins de purification et d’accès au salut. L’ouvrage de saint Ignace est devenu un classique de la spiritualité, et il a profondément marqué de grandes figures de la Compagnie de Jésus comme le théologien Hans Urs von Balthasar ou le pape François.

Citation : « L’usage de ces exercices doit toujours être exactement proportionné aux dispositions de celui qui les fait. Celui qui les donne doit donc prendre garde, et s’accommoder à la portée de l’âme qu’il dirige. De plus, il faut avoir égard à son âge, à la capacité de son esprit, à l’étendue de ses connaissances, à la force et à la faiblesse de son tempérament ; en un mot, il ne faut rien négliger. On fera toujours plus de tort qu’on ne procurera d’avantage et de profit à toute âme qu’on voudra élever au-dessus de sa capacité, quelle qu’elle soit. »

 

- Le Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge, de Louis-Marie Grignion de Montfort (1712) : C’est au prêtre breton Louis-Marie Grignion de Montfort (1673-1716), fondateur de la Compagnie de Marie (Pères montfortains), que l’on doit ce fameux traité de dévotion mariale. L’ouvrage, à la suite de saint Bernard de Clairvaux, propose une spiritualité centrée sur la figure de la Vierge Marie, qui représente la voie la plus facile et la plus sûre pour accéder à son Fils : « Nous avons besoin d’un médiateur auprès du Médiateur même, et la divine Marie est celle qui est la plus capable de remplir cet office charitable. » Le pape saint Jean-Paul II a été marqué de façon décisive par la lecture de ce traité dans sa jeunesse, il y a notamment trouvé sa devise : « Totus tuus ego sum, et omnia mea tua sunt » (« Je suis tout à Vous, et tout ce que j’ai vous appartient »).

Citation : « Si nous craignons d'aller directement à Jésus-Christ notre Dieu, soit à cause de sa grandeur infinie, soit à cause de notre bassesse et de nos péchés, implorons hardiment l'aide et l'intercession de Marie notre Mère. Elle est bonne, elle est tendre, il n'y a rien en elle d'austère ni de rebutant, rien de trop sublime et de trop brillant. En la voyant, nous voyons notre pure nature. Elle n'est pas le soleil qui, par la vivacité de ses rayons, pourrait nous éblouir à cause de notre faiblesse, mais elle est belle et douce comme la lune, qui reçoit sa lumière du soleil et la tempère pour la rendre conforme à notre petite portée. »

 

 Sources :

 - La Légende dorée

 - L’Imitation de Jésus-Christ

 - Les Exercices spirituels

 - Le Traité de la vraie dévotion à la Sainte Vierge



11 réactions


  • Bernard Dugué Bernard Dugué 29 mars 2023 11:47

    Bonjour,

    Un article qui élève l’esprit sans se perdre dans les développements sans fin. C’est clair, concis et synthétique. Ce rappel des textes un peu oubliés saura plaire à un érudit chrétien ou un lettré religieux. Je retiens l’imitation de Jésus-Christ, un livre qui a eu un retentissement colossal dans les sociétés de la Renaissance

    Mon livre de théologie s’achève, j’en donne une présentation tronquée ici avec un cadrage historique

    https://bernard-dugue.over-blog.com/2023/03/dieu-et-la-science-l-homme.un-livre-qui-cherche-un-editeur.html


    • Gollum Gollum 29 mars 2023 12:08

      @Bernard Dugué

      Mon livre de théologie s’achève, j’en donne une présentation tronquée ici

      C’est plus que tronqué. En fait on n’arrive même pas, après lecture, à se faire une idée quelque peu balbutiante de quoi il pourrait être question. À part votre obsession de la Trinité.

      Pour rappel vous n’avez pas besoin d’éditeur, on peut publier un bouquin facilement chez lulu.com, Amazon ou Apple...

      Mais pour une raison que je m’explique mal vous continuez à refuser ce genre d’outil.

      Sinon je suis assez éberlué de vous voir faire l’éloge, vous à tendance gnostique, de textes de dévotions d’une platitude à faire bailler d’ennui..


    • Bernard Dugué Bernard Dugué 29 mars 2023 13:23

      @Gollum
      Elle est volontairement tronquée parce que je n’ai pas à diffuser les options et voies suivies dans un livre pas encore publié. Mon texte effectue un cadrage historique et une mise au point sur la théologie naturelle, de Paley à Bonnassies
      Vous êtes d’un mépris que je n’ai connu rarement. Obsession de la trinité ? Mais je suis chrétien et j’affiche la couleur. Vous me disqualifiez, rabaissez, comme si mon livre n’était qu’un caprice d’auteur. Ce livre aura des conséquences importantes mais par a priori, vous le placer au niveau du plumitif. Je suis gnostique dans tous les écrits où il y a une gnose.
      Vous n’avez pas compris qu’en rabaissant autrui, sans bienveillance, vous ne vous grandirez pas. Il y a une sorte de méchanceté en vous. Je ne peux rien


    • Gollum Gollum 29 mars 2023 14:18

      @Bernard Dugué

      je n’ai pas à diffuser les options et voies suivies dans un livre pas encore publié.

      Quand même.. Quelques biscuits afin de mettre en appétit serait bienvenu... Or ici il n’y a rien d’autre qu’un cadrage historique sans véritable intérêt.

      Vous êtes d’un mépris que je n’ai connu rarement.

      Vous savez, vous avez cette réputation là aussi... et peut-être plus que moi au passage..

      Obsession de la trinité ? Mais je suis chrétien et j’affiche la couleur.

      Bon ok, c’est bien ce que je reprocherais aux chrétiens c’est de ne connaitre que le nombre 3.. 

      Vous me disqualifiez, rabaissez, comme si mon livre n’était qu’un caprice d’auteur.

       ?? Je n’ai rien dit sur le contenu du bouquin on n’arrive même pas à s’en faire une idée claire...

      Ce livre aura des conséquences importantes

      Qu’en savez vous ? Si vous vous sentez méprisé ne serait-ce pas parce que vous avez le melon clairement manifesté par cette simple phrase ?

      Je vous fiche mon billet quant à moi qu’il restera probablement dans les poubelles de l’histoire à la vue de vos textes écrits et sortis ici même sur Avox.

      Vous n’avez pas compris qu’en rabaissant autrui, sans bienveillance, vous ne vous grandirez pas. 

      J’ai été assez soft dans ma critique. Je répète : votre introduction à votre livre n’éclaire en rien sur le contenu de celui-ci et n’incite pas à en apprendre plus puisque vous ne faites pas l’effort pour...

      Il y a une sorte de méchanceté en vous.

      Ma méchanceté ne concerne que ceux qui le méritent quelque part..
      Regardez mes contacts avec d’autres (JP Ciron par exemple) et ce n’est pas la même musique.

      Je ne vous ai pour ma part jamais insulté comme vous l’avez fait dans notre dernier échange, souvenez vous. Vous m’aviez traité de sinistre personnage (https://www.agoravox.fr/commentaire6523089à la suite d’un post très soft, certes ironique, mais justifié. Mais là aussi vous aviez été vexé et étiez parti en mode persécution...


  • Decouz 29 mars 2023 14:45

    Ce n’est pas que la question du nombre 3, il y a aussi les quatre branches de la croix, les cinq plaies etc, c’est que la trinité chrétienne n’est qu’une forme parmi tous les ternaires existants dans les différentes spiritualités.

    Il faudrait préciser « littérature dévotionnelle chrétienne », puisque la voie amoureuse existe ailleurs, en Inde par exemple, la bhakti.


    • Decouz 29 mars 2023 14:56

      @Decouz
      L’hindouisme donne une classification des différentes voies, la dévotion, la connaissance, l’action, elles ne sont bien sur pas exclusives les unes des autres, Shankaracharya et Ibn Arabi ont écrit des poèmes amoureux, elles correspondent à différents caractères.
      La forme dévotionnelle, on pourrait dire sentimentale, a reçu un accent particulier dans le christianisme, comme d’ailleurs dans les formes où il y a une personne à l’origine, Khrishna ,Bouddha...à la différence des formes plus rituelles, juridiques ou gnostiques.


    • Gollum Gollum 29 mars 2023 15:03

      @Decouz

      puisque la voie amoureuse existe ailleurs, en Inde par exemple, la bhakti.

      Absolument. Il serait peut-être bon d’indiquer aussi que le christianisme de masse institutionnel n’est rien d’autre que Bhakti.

      Et que les autres voies sont censées ne pas exister. (on connait la rengaine : pas de gnose, pas d’ésotérisme, pas d’enseignement caché..)

      D’autre part la Bhakti en Inde est faite pour les masses. Et elle est assez dévaluée par rapport aux autres voies plus prestigieuses. Notamment le Jnana Yoga.

      Bref, c’est une voie démocratique et non pas d’élite. Ce qui ne l’empêche pas d’être efficace par ailleurs.

      nombre 3, il y a aussi les quatre branches de la croix, les cinq plaies etc

      Oui. Mais les chrétiens sont assez mauvais en symbolique des nombres même si Augustin s’est penché sur le célèbre 153 de la fin de l’Évangile de Jean. 

      Du reste, pas un exégète moderne ne serait capable de faire une exégèse du 666 de l’Apocalypse. Les clés en ont été perdues..


    • Jonas Jonas 29 mars 2023 23:13

      @Gollum « Oui. Mais les chrétiens sont assez mauvais en symbolique des nombres même si Augustin s’est penché sur le célèbre 153 de la fin de l’Évangile de Jean. »

      La Bible n’est pas la Talmud, ni la Kabbale ésotérique.


    • Gollum Gollum 30 mars 2023 09:03

      @Jonas

      Merci d’être là. Vous illustrez à merveille ce discours des chrétiens de masse comme quoi il n’y aurait pas d’ésotérisme au sein des textes chrétiens.

      Or pas de bol pour vous cet ésotérisme existe bel et bien il est même bien visible à travers les nombres évoqués. 

      Il se trouve que 153 comme 666 sont des nombres triangulaires (voir Wikipédia), celui de 17 pour 153 comme de 36 pour 666.

      Ces nombres étaient abondamment utilisés chez les pythagoriciens. Les retrouver ici au sein de textes chrétiens montrent une influence des pythagoriciens sur les évangélistes..

      Enfin Jean, pour trouver la signification de 666, nous dit qu’il faut s’appuyer sur la sagesse et l’intelligence.

      Or sagesse et intelligence sont deux séphiroth de l’arbre des séphiroth de l’Arbre de la Kabbale. La sagesse à droite, l’intelligence à gauche.

      Certes l’Arbre de la Kabbale est postérieure en terme de chronologie mais on sait bien l’importance des traditions orales se véhiculant sous le manteau...

      Enfin le Tétramorphe zodiacal se trouve au chapitre 4 de l’Apocalypse avec les célèbres 4 animaux : Lion, Taureau, Homme (ange), Aigle. Ce Tétramorphe a été pompé sur les visions d’Ézéchiel (n’est-ce pas Jonas ? smiley )..

      Notons ici que l’on commence par le Lion en référence au Lion de Juda, tribu royale au sein des 12 tribus. Le Lion étant signe royal en astrologie.

      Mais je sais que vous allez continuer à ruer dans les brancards.. Grand bien vous fasse.. smiley


  • Samson Samson 29 mars 2023 14:53

    Merci pour cette tribune !

    Une mention toute particulière à la profession de foi reprise au §23. « Principe et Fondement » des Exercices Spirituels de Saint Ignace de Loyola, dont tant la concision que l’implication et l’exigence logique relèvent du pur chef d’œuvre. smiley


  • Jonas Jonas 29 mars 2023 23:10

    Merci Laconique, pour cet article.


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