Non, je n’ai jamais participé à une grande bataille, sauf dans mes récits d’Alésia ou d’Ohod. Mes souvenirs militaires se résument à la découverte d’un autre monde que le mien. Dans les montagnes du Rif, un djebel de désert de pierres parsemé de quelques mechtas préhistoriques où vivaient quelques familles pauvres certes mais apparemment heureuses, peut-être parce que la civilisation ne les avait pas encore touchées. Quelques étonnantes villes d’apparence moyen-âgeuses où la terre des alentours semblait spiritualisée par l’appel à la prière que les muezzin se renvoyaient de minaret à minaret, comme en France au temps de l’angélus. Et puis, dans le ciel apparemment serein de l’Algérie, une succession de coups de tonnerre ; des mères éplorées qui témoignent de l’absurdité de la guerre ; un harki qu’on enterre, la nuit tombée, en l’accompagnant de quelques pauvres paroles et d’une poignée de terre que l’on jette dans la tombe.
Qu’elles sont loin, les trop belles images des bibles illustrées de mon enfance ! Abraham faisant paître pacifiquement les troupeaux que Dieu lui avait confiés ; Moïse, le bâton de pèlerin à la main, partant en sauveur à la reconquête de la terre promise ! Bien sûr que je n’ai jamais cru qu’une terre pouvait être promise, mais ce qui m’effare aujourd’hui est que j’aurais pu y croire.
Voyons cela d’un peu plus près ! (extraits d’études que j’ai faites dans les années 80).
I. Dieu dit à Abraham : « Je donnerai ce pays à ta descendance » (Genèse 12, 7)...
... et après la faute de Lot, Il lui renouvela encore et encore sa promesse mais en limitant le territoire à celui qu’il parcourait alors. Car Lot avait commis la faute gravissime de descendre dans la vallée et de s’y sédentariser... autrement dit : la troupe militaire de Lot était descendue pour prendre femmes et prospérer sous forme de colonie.

Abraham, quant à lui, occupait toujours les hauteurs en unités constituées, nomadisant sous la tente du Chêne de Morè à Béthel où il avait dressé deux autels (et - cela va de soi - deux forteresses pour les protéger). De là, il assurait le maintien de l’ordre sur tout le pays de Canaan. La question qu’il faut se poser : le maintien de l’ordre, oui ! mais au profit de qui ? Le contexte du récit et la logique militaire donnent la réponse : au profit du pharaon d’Egypte. Abraham, comme je l’ai dit dans mon article précédent était un conseil de chefs/prêtres et Sarah, son épouse, une troupe de jeunes guerriers d’origine araméenne.
Mais quel est donc ce dieu qui, pour calmer l’impatience d’Abraham, lui renouvelait sans cesse la promesse mais en en repoussant toujours l’échéance ? La réponse est évidente. Il s’agit de Pharaon, dieu d’Egypte. On comprend l’impatience bien compréhensible d’un Abraham qui endurait la dure vie du soldat mercenaire mais qui restait néanmoins fidèle, espérant voir un jour ses mérites enfin récompensés en devenant le propriétaire à part entière de la région qu’il avait sécurisée... et avec l’autorisation d’y fonder des colonies.
De ce simple texte sont nés les graves malentendus qui perdurent encore de nos jours, des malentendus qui prennent leur source dans un écrit au sens voilé et que les descendants ont pris à la lettre, que cela soit les descendants d’Isaac ou ceux d’Ismaël depuis Mahomet. Et n’oublions pas les autres : ceux qui, parce qu’ils sont en Christ, s’inscrivent dans la postérité d’Abraham et co-héritiers de la promesse, selon saint Paul (Ga 3, 29), et aussi les pierres desquelles Dieu peut susciter des enfants à Abraham (Mt 3, 9).
Incroyable parcours d’une pensée religieuse qui a conduit et qui conduit encore (dans certain courant) à cet axiome surprenant : la Terre est à ceux qui prient le Seigneur d’Abraham et que le Seigneur rétribue ainsi en échange ; et en plus de la Terre, tous les biens qu’en toute légalité, les pieux peuvent prendre à ceux qui ne prient pas comme eux.
II. La reconquête de la "Terre promise" par les descendants d’Ismaël ; la bataille de Mouta.

Que diable allaient donc faire les musulmans dans cette région de la mer Morte si chargée d’histoire ‘’essénienne’’ ? Une simple expédition punitive ? J’en doute. La forteresse de Macheronte, célèbre pour avoir été la prison de Jean-Baptiste, est dans le prolongement du chemin que suivaient les musulmans. D’après Tabari, ce fut une grande défaite qui eut lieu peu de temps avant la mort de Mahomet. D’après Théophane, elle aurait eu lieu après, mais il s’agit peut-être d’une autre bataille. L’intention des musulmans aurait été de s’emparer par surprise de la bourgade de Mouchéôn – localité non identifiée. S’emparer d’une simple bourgade, je n’en vois pas l’intérêt. En revanche, s’il s’agit de Macheronte, tout s’explique. Les musulmans avaient prévu d’attaquer en masse, le jour où les Arabes honoraient leurs idoles. Il s’agit là d’une opération militaire classique qui aurait très bien pu réussir. J’ai toujours pensé que Macheronte était une forteresse essénienne, chargée d’histoire. La tentative des musulmans de s’emparer de ce point haut, au milieu d’une population qui était peut-être encore dans l’attente d’un Maître de Justice, est un coup de poker qui n’a malheureusement pas réussi. Informé par un Koréishite de son entourage, le vicaire Théodoros qui commandait la région rassembla toutes ses troupes et fondit sur les musulmans qu’il écrasa à Mouta. Ayant été prévenu, il est dans la logique militaire que Théodoros ait arrêté ses adversaires à l’entrée de son territoire. Il est également dans la logique militaire qu’un de ses lieux de garnison ait été Macheronte.
Au retour d’une de ses expéditions du nord, Mahomet aurait interdit de prononcer l’ancien nom de Médine « Celui qui appelle al-Madina Yathrib, qu’il en demande pardon à Dieu ; c’est Tâbah ! c’est Tâbah ! » Cette localité inconnue, ne serait-ce pas Thamna, au pied de Macheronte. Mahomet aurait-il retrouvé le tombeau de Josué… ou l’arche d’alliance de Moïse ? La cherchait-il ? On mesure le choc que cette découverte aurait pu provoquer dans le monde juif et chrétien du Proche-Orient et l’exploitation psychologique que Mahomet aurait pu en faire.
Comment se fait-il, par ailleurs, que Mahomet ait possédé un terrain à Hébron ainsi qu’à Bethléem ? Préparait-il déjà la future reconquête des lieux saints, comme Moïse l’a fait pour reprendre possession de la terre que Dieu avait promise à Abraham et à sa descendance ? Et comme Omar le fera ? En fait, il s’agit là d’une classique stratégie de conquête sur fond de guerres de religion comme l’Occident en a connues.
Cette stratégie se trouve résumée dans une déclaration de Mahomet conservée dans une chronique arménienne : « Aimez seulement le Dieu d’Abraham. Allez vous emparer de votre territoire que Dieu a donné à votre père Abraham, et personne ne pourra vous résister dans le combat, car Dieu est avec vous. »
Dieu (d’Egypte) appela Abraham et lui dit : « Prends Isaac, ton fils unique, et va au pays de Moriyya, sur la montagne que je te désignerai. Là, tu me l’offriras en holocauste (je traduis et j’ajoute : afin que je teste, premièrement ta fidélité à moi Pharaon, deuxièmement l’obéissance de l’araméen Isaac à ton égard). Abraham se trouvait alors à Bersabée. Il partit pour le pays de Moriyya (à ne pas confondre avec le mont Moriyya de Jérusalem). Il y arriva le troisième jour.
Où se trouve ce pays inconnu ? Admettons qu’Abraham et Isaac aient parcouru vingt à vingt-cinq kilomètres le premier jour, la même distance le deuxième jour, et qu’ils soient arrivés en vue de la montagne le troisième jour après une étape matinale de dix à quinze kilomètres, soit une distance totale comprise entre cinquante et soixante-cinq kilomètres. Traçons autour de Bersabée - qui était alors la position qu’il occupait - deux cercles ayant pour rayon ces deux distances, et cherchons une hauteur digne de Dieu à proximité de ces deux circonférences. Cette montagne ne pouvant être du côté de l’ennemi philistin, c’est du côté de la mer Morte, vers ce paysage tourmenté par la présence de Dieu, qu’il faut aller la chercher.
La montagne du sacrifice d’Isaac, ce ne peut être que Massada !

Arrivé au pied de la montagne, Abraham leva les yeux et dit à ses serviteurs :
« Restez où vous êtes. Quant à moi, je vais avec mon fils sur le lieu du sacrifice suprême, sur ce lieu même où Dieu m’a donné rendez-vous pour me mettre à l’épreuve. »
Abraham monta en haut de la montagne haute. En premier lieu, il dressa l’autel du Seigneur. Or, c’était une vieille coutume que d’arroser du sang d’un agneau immolé la première pierre d’un édifice religieux… et militaire, avant d’en commencer la construction. Abraham étendit son fils unique sur l’autel et il sortit son couteau pour l’égorger.
A ce moment précis, un ange (venu d’Egypte, autrement dit : un messager) appela Abraham pour lui retenir son bras et lui dit :
« Abraham ! Abraham ! le Seigneur (d’Egypte)
est au courant de tes malheurs. Il sait que tu as dû rendre aux Philistins une grande partie de tes recrues, et peut-être t’es-tu imaginé que ce qu’il t’avait permis de faire en Egypte, il ne te le permettait plus. Bien que ses troupes se soient considérablement réduites en nombre, ne tue pas Isaac, ton fils unique, ton conseil chéri. Ne détruis pas cette assemblée de jeunes prêtres que tu avais pris soin de bien former pour continuer ton œuvre civilisatrice, car ce qu’ils ont perdu (des soldats)
, ils vont bientôt le retrouver. »
Alors, Abraham releva son fils, et dans le lointain, tous deux aperçurent les vieilles cités du pays sémite.
Lorsqu’ils furent de retour à Bersabée, on annonça à Abraham que Milka, veuve de son frère Hâran, avait engendré à son autre frère Nahor une nombreuse descendance, importante source de recrutement pour l’armée affaiblie d’Abraham, future Rebecca, future épouse d’Isaac.
Note Wikipédia : Des savants musulmans contestent le fait qu’Isaac soit le fils sacrifié d’Abraham. Il s’agirait selon eux d’Ismaël. Parmi les arguments avancés (entre autres) le
Genèse 22.2 :
« Dieu dit : Prends ton fils, ton unique », Isaac ne pourrait point être fils unique d’Abraham puisqu’Ismael - son demi-frère né d’une servante - est plus âgé que lui de quatorze ans selon la Bible.

Note : pour la bonne compréhension de mon article, il y a lieu de comparer ma traduction/interprétation avec les textes originaux qu’on peut lire dans n’importe quelle bible. En ce qui concerne les autres citations, je les ai prises dans l’excellent ouvrage d’Alfred-Louis de Prémare : Les fondations de l’islam.