Prières dans la rue à Nantes
"Des prières dans la rue à Nantes", c'est ainsi que le quotidien nantais Presse-Océan a annoncé, non sans sensationnalisme, la tenue, ce 24 avril, dans la capitale bretonne, d'un rassemblement œcuménique des trois principales obédiences chrétiennes à l'occasion de la fête de Pâque. Certes, il n'y a pas eu de messe, et les représentants des Églises catholiques, protestantes et orthodoxes étaient en civil, mais on a chanté force cantiques avant de s'échanger des œufs.
L'initiative n'a pas, on s'en doute, fait l'unanimité. Le ministre de l'intérieur et des cultes n'avait-il pas annoncé quelques semaines auparavant : "La rue n'est pas faite pour prier mais pour circuler" ? Il faut croire, cependant, que le téléphone marche mal entre Nantes et Paris car le conseiller régional UMP Franck Louvrier a tenu à rappeler que "la laïcité n'est pas la négation de la religion" – à moins, bien-sûr qu'il ne parlassent pas de la même chose.
Le député-maire Jean-Marc Ayrault s'en est, lui, tenu, à ce qui est, après tout, la doctrine républicaine, à savoir que "l'espace public n'a pas vocation à être utilisé pour la célébration des cultes". Il avait d'ailleurs eu la même attitude lors de la venue du Tro Breizh : la procession avait dû s'arrêter à la porte du Château des Ducs de Bretagne, qui, jusqu'à plus ample informé, n'a jamais été un lieu de culte.
Étant un mécréant convaincu, cela me convient parfaitement.
La laïcité, sous ses diverses formes, n'est pas née toute armée du cerveau des libre-penseurs du XIXème siècle. Elle est le produit d'une longue évolution qui trouve sa source dans les guerres de religion qui ont ensanglanté l'Europe, et dont les principales étapes ont été l'Édit de Nantes, qui admettaient l'existence de plusieurs religions au sein du royaume, les Traités de Westphalie, qui brisaient les prétentions universelles de l'Église Catholique, l'Édit de Versailles de 1787, autorisant les religions non-catholiques en France et enfin le Premier Amendement à la Constitution Américaine dont Thomas Jefferson disait :
Je contemple avec une révérence souveraine cet acte du Peupla Américain tout entier qui a déclaré que sa "législature" ne "ferait aucune loi instaurant une religion officielle ou prohibant le libre exercice d'une religion", construisant ainsi un mur de séparation entre l'Église et l'État.
Le terme mur de séparation n'était d'ailleurs pas de lui mais de Roger Williams, fondateur de la colonie de Rhodes Island et auteur d'un livre intitulé "The Bloudy Tenent of Persecution for Cause of Conscience" où il défendait la tolérance, non seulement pour les autres branches du christianisme, mais aussi pour les musulmans, les païens et les athées.
La loi de 1905 n'a fait que transposer cet idéal à une situation française fort différente. La domination historique de l'Église Catholique était telle, son imbrication avec les institutions à ce point profonde, qu'il fallait la détrôner, pour établir ce mur. La logique cependant était la même. Les religions prétendent établir une vérité absolue. Quelle que soit la bonne volonté des un et des autres il ne saurait être question de compromis doctrinaux entre elles. La seule manière de les faire cohabiter en toute égalité sur un territoire, c'est de les expulser de l'espace public.
Un État peut être fondé sur une histoire ou une culture – ce qui implique de donner un statut particulier aux cultures et histoires minoritaires que le hasard des combats a placé sur son territoire – il ne peut être fondé sur une religion, sauf à nier la liberté religieuse de ses citoyens. Ce qui est vrai pour un état l'est d'ailleurs aussi pour les peuples et les identités sans état. Que la Bretagne ait été historiquement chrétienne ne signifie pas que l'identité bretonne soit liée d'une quelconque manière au Christianisme. Si les bretons ont individuellement le droit d'être autre chose que chrétiens sans en devenir moins bretons pour autant, c'est que l'identité de la Bretagne (ou de la France) est indifférente à la religion qu'on y pratique.
Le corolaire, que peu, il est vrai, osent regarder en face, c'est que si la Bretagne se convertissait dans son entièreté à l'Islam, elle serait peut-être différemment bretonne mais certainement pas moins bretonne.
Je parle de l'Islam, car c'est l'installation de cette religion dans notre société qui repose la question d'une laïcité que ne contestaient plus que quelques soldats perdus du Christ-roi, aussi folkloriques que minoritaires. On notera d'ailleurs à ce sujet, que les riposteurs laïques si prompts à dénoncer les "prières illégales" musulmanes n'ont rien dit sur les cantiques nantais.
Selon que vous portiez soutane ou djellaba, les jugements d'Anne Zelenski et de Christine Tassin vous rendront blancs ou noirs.
La loi de séparation des églises et de l'état de 1905 protégeait l'exercice des cultes en dispensant de déclaration, les cérémonies publiques se tenant dans les locaux prévus à cet effet (article 25). Les processions et autres manifestations extérieures d'un culte sont, elles, soumises au droit commun, c'est à dire qu'elle doivent être déclarée et autorisées au préalable... exactement comme n'importe quelle manifestation trotskiste (article 27). Le Conseil d'État avait d'ailleurs précisé dans l'arrêt Saint-Florent du 26 décembre 1913 :
"si, en vertu des pouvoirs de police qui lui ont été conférés, le maire peut réglementer les cérémonies, processions et autres manifestations religieuses extérieures, il doit, dans l'accomplissement de sa mission, garantir le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions que commande l'intérêt de l'ordre public, et ne peut porter atteinte aux traditions locales que dans la mesure strictement nécessaire au maintien de l'ordre"
Prier dans la rue est donc parfaitement légal, mais ce n'est pas toujours approprié. Quand des musulmans prient dans la rue, faute de lieux de culte convenables à proximité, ils ne font qu'exercer leur liberté religieuse, même si tout doit être mis en œuvre pour remédier à la situation. Lorsqu'ils déroulent des tapis de prières pour appuyer telle ou telle revendication, ils ne font d'exercer leur droit de manifester. D'autres le font en brûlant des pneus, en déversant du purin ou en récitant des chapelets. Il n'y a pas lieu de s'en émouvoir.
En revanche qu'une religion disposant de locaux adéquats – et même sur-dimensionnés – gracieusement fournis par la collectivité, accapare le domaine public pour ce qu'il faut bien appeler une célébration est pour le moins inapproprié. Pour reprendre les mots de Jean-Marc Ayrault, "l'espace public n'a pas vocation à être utilisé pour la célébration des cultes", en tous cas, pas sans nécessité.
Naturellement, derrière ces polémiques, ce cache le refus de voire évoluer le paysage religieux français. La loi de 1905 a été voté à une époque où la religion catholique était très largement majoritaire dans la population. Les laïcs de chocs, comme par exemple Émiles Combes, lui opposait une mystique du progrès substituant au Royaume de Dieu un utopique Royaume de l'Homme basé sur la science et la raison triomphante. On oublie aujourd'hui à quel point cette lutte a été violente. Ainsi Pie IX proclamait en 1864 dans son Syllabus que penser que "L'Église doit être séparée de l'État, et l'État séparé de l'Église" ou que "L'Église n'a pas le droit d'employer la force ; elle n'a aucun pouvoir temporel direct ou indirect "
Au cours de cette lutte les deux adversaires se sont mutuellement usés. Parce qu'elle était associée au pouvoir, l'Église s'est affaissée sous les attaques de mouvements d'émancipation qu'elle n'a pus, sus ou voulus rallier. Elle n'est plus aujourd'hui que l'ombre d'elle même, réduite à un noyau dur de fidèles et sans influence sur une population qui n'a plus avec elle qu'un vague lien culturel. La religion laïque des Libres-Penseurs n'a pas triomphé pour autant. Le goulag et les camps de concentration ont semé le glas des grandes utopies politiques. Hiroshima, Tchernobyl et Fukushima ont ébranlé la foi dans la toute puissance de la science. L'épuisement des ressources l'abattra bientôt en venant nous rappeler que sans énergie abondante et bon marché il n'y a pas de haute technologie possible.
Ce qui reste c'est l'indifférence, l'individualisme et le consumérisme.
L'irruption de l'Islam trouble le jeu, mais pas parce qu'il est étranger – il descend d'une branche judaisante du christianisme, celle qui a inspiré l'Épitre de Jacques. Le Bouddhisme ou la Wicca sont bien plus exotiques.
Le problème de l'Islam ce n'est pas le contenu de sa doctrine, c'est que ses adeptes, ou du moins un fort pourcentage d'entre eux, prennent ses prescriptions au sérieux.
Certes il affirme vouloir convertir la terre entière, mais n'oublions pas Matthieu 28 : 19 -20 " Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, et enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du monde"
Certes, il prescrit le jeune mais n'oublions pas le Concile de Laodicée, Canon 50 "le jeûne ne noit pas être rompu le cinquième jour de la dernière semaine de carême [...] mais on doit jeûner pendant toute la saison du carême"
Certes, il prescrit de couvrir la tête des femmes, mais n'oublions pas Corinthiens 11 : 5 – 6 " Toute femme, au contraire, qui prie ou qui prophétise, la tête non voilée, déshonore son chef : c'est comme si elle était rasée. Car si une femme n'est pas voilée, qu'elle se coupe aussi les cheveux. Or, s'il est honteux pour une femme d'avoir les cheveux coupés ou d'être rasée, qu'elle se voile. "
Quant à la séparation de Dieu et César, n'oublions la bulle Unam Sanctam de 1302 "Les paroles de l'Évangile nous l'enseignent : cette puissance comporte deux glaives [...] Tous deux sont au pouvoir de l'Église, le glaive spirituel et le glaive temporel. Mais celui-ci doit être manié pour l'Église, celui-là par l'Église. [...] Le glaive doit donc être subordonné au glaive, et l'autorité temporelle à l'autorité spirituelle. [...] Nous déclarons, nous proclamons, nous définissons qu'il est absolument nécessaire au salut que toute créature humaine soit sujette au Pontife Romain."
L'Islam séparait, d'ailleurs traditionnellement la loi divine, dont l'interprétation appartenait aux seuls clercs, de l'action du prince qui ne pouvait que l'appliquer, ce qui restreignait l'arbitraire royal. La doctrine iranienne du Wilayat al Faqih, c'est à dire du gouvernement des clercs, est une innovation récente
Enfin, pour ce qui concerne le "communautarisme", rappelons le canon 37 de ce fameux Concile de Laodicée "Il n'est pas permis de recevoir des restes des repas des juifs ou des hérétiques, ni de manger avec eux."
La réalité c'est qu'il n'y a rien dans l'Islam qui n'ait été amplement pratiqué par l'Église Catholique de Pie IX et du Cardinal Bellarmine, à ce détail prés que l'Islam n'a pas de clergé monolithique et qu'on peut donc discuter avec les gens raisonnables sans encourir les foudres vaticanes, quitte à ce que ce soit pour constater civilement un désaccord.
Le front du refus des islamophobes ne fait que rendre cette discussion plus difficile en exacerbant les oppositions et les réactions épidermiques de part et d'autre, tout en faisant rentrer, par la petite porte et en creux, les notions de France fille ainée de l'Eglise ou de Feiz ha Breiz dont on croyait pourtant s'être débarrassé depuis des décennies.
Quant aux manifestations de piété sur la voie publique... je crois que sur ce sujet nous devrions tous écouter ce que disait un certain rabbi Yoshuah il y a deux mille ans en Galilée :
Lorsque vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites, qui aiment à prier debout dans les synagogues et aux coins des rues, pour être vus des hommes. Je vous le dis en vérité, ils reçoivent leur récompense.
Mais quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dans le lieu secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.