vendredi 6 mars 2015 - par Boogie_Five

Soumission de Houellebecq : la foi contre la raison

Comment Houellebecq justifie un darwinisme social en se cachant derrière les polémiques sur la religion musulmane en Europe. 

  Deux mois après sa parution, il peut paraître futile de s’attarder sur le dernier livre de Michel Houellebecq tant sont déjà nombreux les comptes rendus, interviews, articles et billets de toutes sortes. Moi-même, je suis lassé de retrouver les mêmes phrases idiotes qui me donnent envie d’arrêter de lire, par exemple, page 73, le personnage principal dit :

« En cas de conflit ethnique je serais, mécaniquement, rangé dans le camp des blancs, et pour la première fois, en sortant faire mes courses, je rendis grâce aux chinois d’avoir su depuis les origines du quartier éviter toute installation de noirs ou d’arabes – et d’ailleurs plus généralement toute installation de non-chinois, à l’exception de quelques vietnamiens. »

 Je ne prendrai pas la peine de savoir si l’auteur est raciste ou d’analyser une obsession quelconque, pour moi tout est dit : les individus se rangent mécaniquement avec telle ou telle race comme des playmobils. Ce qui me contrarie, c’est l’autosuffisance d’une micro-analyse qui n’a pas à se justifier. Chez les auteurs racistes, je préférerais toujours ceux élaborent des grandes théories raciales (les anthropologues du 19ème siècle) ou ceux qui font le portrait historique d’une société coloniale (les auteurs américains de la même époque), car au moins ces auteurs ne s’arrêtent pas à des éléments superficiels et ils ne se pincent pas le nez quand il s’agit de décrire des phénomènes dans lesquels ils ont un parti pris. C’est qui me choque dans ce genre de phrase, plus que le racisme latent de l’auteur, c’est la mesquinerie, la faiblesse de l’engagement et sa futilité péremptoire.

 Ce manque de sérieux en évoquant les questions raciales peut paraître pour de la provocation ou de la légèreté, alors qu’il ne fait qu’ajouter de la confusion à la confusion, rendant le sujet encore plus pataud. C’est pour cette raison que j’écris cette critique, c’est pour éviter les simplifications grossières qui n’ont pas lieu d’être dans la littérature, à moins d’être dans la farce, ce qui n’est pas le cas dans Soumission.

 Cette position de désintéressé dans les questions raciales est lié à un relatif dédain des recherches en sciences humaines et sociales du 20ème siècle, notamment l’histoire, l’anthropologie et l’ethnologie, la sociologie, la philosophie et même une bonne partie de la théologie. Exemple, page 293, un des personnages dit :

« C’est ce qui a conduit la plupart des civilisations, en particulier la civilisation musulmane, à la création de marieuses. C’est une profession très importante, réservée aux femmes d’une grande expérience et d’une grande sagesse. Elles ont bien évidemment le droit, en tant que femmes, de voir des jeunes filles dénudées, de procéder à ce qu’il faut bien appeler une espèce d’évaluation, et de mettre en relation leur physique avec le statut social des futurs époux. […]. »

 Les deux premières phrases ouvrent une réflexion sur l’histoire du marché matrimonial et puis patatras ! Le voyeurisme bas de gamme explique tout le fonctionnement du mariage arrangé. Comment peut-on avancer une stupidité pareille ? La culture, les coutumes sociales, les tracas de la génétique ? Aucune importance ! C’est une règle inflexible qui peut faire l’économie de toute analyse scientifique : les filles bien foutues se marient à des hommes puissants. Toute l’espèce humaine règle sa reproduction sur le modèle d’un harem prestigieux.

 En prenant le sens commun, celui des gens de la rue, comme argument d’autorité, l’auteur présente ses analyses sur l’évolution de l’espèce humaine pour justifier une vision de la nature irrationnelle et complétement dépassée, avec un économisme béat qui n’atteint même pas la complexité d’un système esclavagiste le plus primaire. L’auteur est empêtré dans son propre langage et croie, avec un scepticisme avec lequel il se fait justice, qu’un surplus de croyance religieuse pourrait le tirer de l’embarras. Un des personnages dit, page 251 :

« Et à l’échelle du milliard d’années-lumière, il se commence à se constituer un ordre : les amas galactiques se répartissent pour former un graphe labyrinthique. Exposez ces faits scientifiques à cent personnes prises au hasard dans la rue : combien auront le front de soutenir que tout cela a été crée par hasard ? »

 Ensuite, l’auteur cite les exemples de Newton et d’Einstein qui se tournent vers Dieu après leurs découvertes pour appuyer son assertion : le hasard ne peut pas exister. Plus loin, page 253, le dialogue continue :

« N’y a-t-il pas au fond quelque chose d’un peu ridicule à voir cette créature chétive, vivant sur une planète anonyme d’un bras écarté d’une galaxie ordinaire, se dresser sur ses petites pattes pour proclamer : « Dieu n’existe pas » ? […] – Présomptueux, oui c’est le mot ; il y a au fond de l’humanisme athée un orgueil, une arrogance invraisemblable. Et même l’idée chrétienne de l’incarnation, au fond, témoigne d’une prétention un peu comique. Dieu s’est fait homme… […] »

 Ensuite, le personnage dit qu’il y aurait une intelligence gigantesque qui aurait un projet en réalisant l’Univers et d’autre part l’humanisme athée est trop réducteur comme vision du monde pour faire face au retour de la religion.

 Plusieurs remarques à ces propos :

 Croire que tout ce qui est hors de portée de la connaissance – ici l’infinité du cosmos – est forcément déterminé par une volonté transcendante se révèle bien plus présomptueux que de croire au hasard qui est donné à l’homme. Inconnu n’est pas forcément extraordinaire et ceux qui prétendent le contraire tendent souvent à justifier leur démesure ou leur égoïsme sans bornes. Quand Einstein ou Newton refusent le hasard et se tournent vers Dieu, ils refusent d’admettre les limites de leur propre connaissance et essayent maladroitement de justifier leur volonté de savoir qu’ils n’arrivent plus à satisfaire. Ils ne font que changer de branche scientifique, passent des sciences de la nature aux sciences humaines ou alors changent de fonction, tout en retrouvant un certain goût de la tradition des grands hommes savants.

 Il en y assez d’entendre que les athées n’ont aucune croyance et spiritualité et seuls les religieux peuvent prétendre à une forme supérieure d’intelligibilité de la croyance. Je connais des religieux qui n’ont aucune spiritualité, pratiquent très peu et le font sous obligation avec la famille, affichent juste ça comme carte d’identité tout en faisant la leçon aux autres. Ce sont bien souvent des religieux qui méprisent leurs propres croyances, cher Houellebecq. Ce que vous devez comprendre, c’est que la religion est avant tout un système politico-juridique qui s’adapte aux différentes cultures. C’est la foi qui est transcendante, et les athées peuvent autant l’éprouver qu’un religieux, la différence étant que les athées ont plus de liberté pour choisir et imaginer l’objet de leur foi. Vous avez choisi un darwinisme social de seconde catégorie, c’est votre choix, mais n’entraînez pas l’ensemble de la pensée humaniste dans ce caniveau du 19ème siècle, pour en faire un simple faire-valoir de l’islam modéré du 21ème siècle. Ce serait injuste à la fois pour les musulmans et les athées. 



10 réactions


  • César Castique César Castique 6 mars 2015 17:01

    « ...les individus se rangent mécaniquement avec telle ou telle race comme des playmobils. »



    Mécaniquement non, il y a des intellectuels et des mondialisants qui se forcent à résister, mais tous les gens normaux se répartissent subconsciemment en fonction du clivage « NOUS-EUX », par lequel ils s’identifient entre eux et se distinguent des autres - dont certains auxquels ils ne voudraient ressembler à aucun prix -, sans que ce soit forcément sur la base d’éléments, spectaculaires et superficiels, comme la couleur de la peau ou certains détails du visage.


    « Chez les auteurs racistes, je préférerais toujours ceux élaborent des grandes théories raciales... »


    Ce sont eux qui ont tout foutu en l’air en prétendant apporter des éléments de classement « scientifique », dont l’infirmation a ouvert la voie à une bande d’allumés qui en ont déduit l’unité du genre humain et se sont lancés dans de chimériques et suicidaires projets de société universelle. Ils sévissent encore de nos jours.

    • Boogie_Five Boogie_Five 6 mars 2015 17:54

      Oui, c’est justement cela que je reprochais à l’auteur, d’être trop simpliste. Moi-même je suis métis et je suis inclassable voyez-vous. Quand au clivage nous/eux, il se base le plus souvent sur des dynamiques territoriales. La guerre entre nations est bien plus fréquente que la guerre ethnique et ces deux formes de guerre peuvent se recouper. 


      Oui, les théories racialistes sont en lien avec l’impérialisme, le colonialisme et elles ont justifié les génocides. Mais dans leurs recherches ces scientifiques ont trouvé des éléments positifs qu’ils ont classé à tort dans le domaine de la biologie, quand il s’avère que ce sont des faits sociaux et culturels. Ce n’est pas leur idéologie que je préfère, mais leur démarche d’en savoir plus, même si ils se trompent sur l’interprétation de ce qu’ils observent. Houellebecq ne prend même pas la peine de reprendre cette démarche, il ne fait que rapporter des propos dignes du café du commerce, en se cachant derrière un projet littéraire. Entre celui qui crée cette idéologie et celui qui la suit bêtement sans réfléchir, alors oui je confirme je préférerais toujours écouter celui qui en est le créateur, même si il est bien plus dangereux. C’est peut-être une question d’honneur, je pense. 


    • La mouche du coche La mouche du coche 8 mars 2015 09:33

      C’est génial parce que cet article est juste nul. Il est une chose super positive que de voir que les athées n’ont plus aucun argument pour justifier leur position. Ils se battent mollement. La France va devenir musulmane et Houellebecq aura in fine raison, voilà ce qui compte. Tout va bien. smiley


  • Laconique Laconique 6 mars 2015 20:41

    Soumission est un roman non seulement péremptoire, mais en plus assez paresseux (les deux vont souvent ensemble).


  • Leroi 7 mars 2015 08:40

    « C’est pour cette raison que j’écris cette critique, c’est pour éviter les simplifications grossières qui n’ont pas lieu d’être dans la littérature, à moins d’être dans la farce, ce qui n’est pas le cas dans Soumission. »
     
    Bien sûr que Soumission est un farce. C’est curieux de ne pas sentir cela.
    Ceci dit, pour moi, le roman, est de loin le plus faible de Houellebecq.


  • Lou8 7 mars 2015 12:36

    Houellebecq est un vendu, son dernier caca pseudo littéraire en est une preuve flagrante ...


  • Blé 7 mars 2015 13:44

    Soumission, voilà un livre que je n’achèterai pas, Houllebecq est loin d’être un auteur, il faut bien vivre alors il « produit » un produit médiatique.

    La religion musulmane pose un problème à une petite minorité qui malheureusement détienne les média en france et de ce fait font d’un évènement de la taille d’un petit poi un « problème » gigantesque au point d’ignorer la pauvreté, le chômage, la faim qui pour le coup ne connaissent pas la couleur de la peau, ni la religion des français.

    La foi n’a jamais été contre la raison, ce sont les individus possédant la science infuse et le goût du pouvoir qui créent des conflits voire plus pour satisfaire leur égo et très souvent pour s’enrichir


    • Xenozoid 7 mars 2015 14:00

      @Blé

      ce sont les individus possédant la science infuse et le goût du pouvoir qui créent des conflits voire plus pour satisfaire leur égo et très souvent pour s’enrichir

      ce sont les même qui utilise la « foi » pour asseoir leur pouvoir, et les mêmes qui morfle,rien de nouveau


  • christophe nicolas christophe nicolas 7 mars 2015 14:32

    Même pour la raison, il faut avoir la foi, la foi dans la raison.


    Vous avez bien la foi dans votre Professeur lorsqu’il vous apprend. C’est idem pour Dieu.

    Rejetez la foi, c’est rejetez le Professeur ou plutôt sa méthode car Dieu est animé de Bonté et votre professeur d’école à un petit coté sadique, classement... Il est un petit peu jaloux de Dieu.

    Pour Dieu, les grands professeurs sont des élèves et ils ne sont pas très sages depuis deux siècles.

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