jeudi 5 octobre 2017 - par C’est Nabum

À en perdre la tête

À Marc

Un appel en fin de soirée, une nouvelle brutale tombe et vous coupe le souffle. Un ami n’est plus, parti soudainement sans que rien ne puisse présager de la chose. La veille il était en pleine forme, heureux de vivre, fidèle à ce qu’il avait toujours été et là, vous vous rendez-compte qu’il vous faut désormais employer l’imparfait - ce temps radical du passé révolu - pour évoquer celui qui n’est plus !

Une hémorragie cérébrale, fulgurante, irréversible et celui qui s'apprêtait à partir au travail, abandonna la partie, la mort cérébrale étant au bout du voyage en hélicoptère. Plus d’espoir pour un corps qui lui, n’a pas encore abandonné la partie, fonctionnant à l’état de larve et maintenant en état des organes qui peuvent sauver d’autres personnes.

Dans la douleur folle du choc, son épouse tient le cap de leurs principes communs, elle accepte les prélèvements d’organes, transformant son drame personnel en un magnifique cadeau d’espoir pour des inconnus. Je reconnais bien là l’esprit de ce couple et malgré la sidération, je souris à ce geste ultime qui ressemble si fort à celui qui vient de tirer sa révérence. Chapeau bas l’ami !

La mort n’est pourtant pas encore officielle et il convient d’en parler comme un défunt. C’est étrange la vie, celle qui sauve des vies par la disparition d’un être de générosité et de conviction. Il y a alors ce curieux mélange de fierté et de désolation pour cette fin qui se fait renaissance, pour ce départ qui n’en est pas tout à fait un. Il s’en va certes, mais il demeurera encore quelques temps ou bien plus longtemps ici ou là sans qu’on le sache vraiment.

Cadeau sublime, il n’est pourtant pas la pratique commune. Bien des familles viennent s’opposer à ce qu’elles vivent alors comme une amputation, un vol, un sacrilège. La religion, la douleur, la stupéfaction de l’instant, le désir de conserver intact le corps sont autant de raisons invoquées. Je ne puis rien en dire tant il est impossible d’établir des plans sur la comète avant que d’avoir été confronté à ce choix terrible.

Ce que je sais, c’est que pour lui, ce choix a été fait en conscience par les siens et qu’il doit en être fier. Je le vois souriant, ce visage toujours rieur restera ainsi la dernière image. Un clin d’œil à la destinée, l’apothéose d’un parcours tourné vers les autres, l’amitié, le partage, le don de soi pour des causes et des belles actions. Chapeau bas l’ami, tu en as perdu la tête mais certes pas ton âme, toi le vil mécréant qui part en un geste de grande humanité.

Puis ne peuvent que survenir ensuite les considérations personnelles, les regrets inévitables de n’avoir pas su le voir plus souvent, établir un lien plus fort avec celui qui passait ainsi, en pointillés. L’existence nous fait souvent manquer les êtres précieux, ce n’est que lorsque c’est trop tard que nous découvrons notre négligence, notre méprise. Il ne sert à rien de s’en lamenter, combien d’autres amis sont ainsi écartés de ce tourbillon absurde que sont nos existences ?

Je ne puis que l’honorer par ce texte qui a au moins le mérite d’évoquer un sujet que l’on n'aborde jamais ou bien trop rarement. S’il m’advenait pareille mésaventure, j’aimerais tout comme lui offrir ce qui peut encore servir dans cette vieille carcasse usée. Je n’ai jamais pris la peine de remplir le moindre papier, mon aversion des formalités sans doute ; voilà donc un écrit qui servira à lever toutes les interrogations quand la camarde viendra me quérir pour m’emporter sur l’autre rive.

Pour l’ami, je devine que c’est le Cher qu’il franchira ainsi, sur le bateau viking qu’il avait construit avec ses amis. Bon voyage dans l’au-delà. Si ton corps a laissé quelques éléments dans cette vallée de larmes, ton esprit en sort grandi. Je te salue où que tu sois, tu as toute mon affection et ma profonde admiration.

Greffement sien.



9 réactions


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine7 5 octobre 2017 11:05

    Il est dit qu’à chaque décès correspond une naissance. Voir le film : La Double vie de Véronique. J’avais un ami juif qui s’appelait : Marc et était né en octobre. 


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine7 5 octobre 2017 11:12
    La Rose et le Réséda

    Celui qui croyait au ciel
    Celui qui n’y croyait pas
    Tous deux adoraient la belle
    Prisonnière des soldats
    Lequel montait à l’échelle
    Et lequel guettait en bas
    Celui qui croyait au ciel
    Celui qui n’y croyait pas
    Qu’importe comment s’appelle
    Cette clarté sur leur pas
    Que l’un fut de la chapelle
    Et l’autre s’y dérobât
    Celui qui croyait au ciel
    Celui qui n’y croyait pas
    Tous les deux étaient fidèles
    Des lèvres du coeur des bras
    Et tous les deux disaient qu’elle
    Vive et qui vivra verra
    Celui qui croyait au ciel
    Celui qui n’y croyait pas
    Quand les blés sont sous la grêle
    Fou qui fait le délicat
    Fou qui songe à ses querelles
    Au coeur du commun combat
    Celui qui croyait au ciel
    Celui qui n’y croyait pas
    Du haut de la citadelle
    La sentinelle tira
    Par deux fois et l’un chancelle
    L’autre tombe qui mourra
    Celui qui croyait au ciel
    Celui qui n’y croyait pas
    Ils sont en prison Lequel
    A le plus triste grabat
    Lequel plus que l’autre gèle
    Lequel préfère les rats
    Celui qui croyait au ciel
    Celui qui n’y croyait pas
    Un rebelle est un rebelle
    Deux sanglots font un seul glas
    Et quand vient l’aube cruelle
    Passent de vie à trépas
    Celui qui croyait au ciel
    Celui qui n’y croyait pas
    Répétant le nom de celle
    Qu’aucun des deux ne trompa
    Et leur sang rouge ruisselle
    Même couleur même éclat
    Celui qui croyait au ciel
    Celui qui n’y croyait pas
    Il coule il coule il se mêle
    À la terre qu’il aima
    Pour qu’à la saison nouvelle
    Mûrisse un raisin muscat
    Celui qui croyait au ciel
    Celui qui n’y croyait pas
    L’un court et l’autre a des ailes
    De Bretagne ou du Jura
    Et framboise ou mirabelle
    Le grillon rechantera
    Dites flûte ou violoncelle
    Le double amour qui brûla
    L’alouette et l’hirondelle
    La rose et le réséda

    Louis Aragon 

    Extrait de 
    « La Diane Française »
    édition Seghers



  • Loatse Loatse 5 octobre 2017 11:58

    Ceux que nous chérissions ont clos leurs yeux lassés,
    Et dorment en un coin du sombre cimetière.
    Ils sont ensevelis à jamais sous la pierre,
    Mais ils vivent toujours, car les doux trépassés
    Au soleil éternel ont rouvert leur paupière.

    Non, ils ne sont pas morts. Ils vivent désormais
    Dans un lieu plus serein, une sphère plus ample.
    En laissant derrière eux un immortel exemple,
    Ils ont, un jour, atteint le sommet des sommets
    D’où leur œil, enivré d’infini, nous contemple.
     
    Ainsi que des oiseaux ils se sont envolés
    Vers un ciel plus clément, vers un bord plus fertile.
    Ils ont enfin trouvé l’impérissable asile.
    Pour aller revêtir les manteaux étoilés,
    Ils ont laissé tomber leurs vêtements d’argile.


    Ils nous aiment toujours, ils nous suivent partout.
    Ils sont restés pour nous les compagnons fidèles,
    Attachés à nos toits comme les hirondelles.


    Et parfois nous croyons entendre tout à coup
    Le timbre de leur voix et le bruit de leurs ailes....


    (extrait de « la mort n’existe pas » - W. Chapman)


  • juluch juluch 5 octobre 2017 13:51

    Désolé pour cette perte Nabum......  smiley


  • zygzornifle zygzornifle 5 octobre 2017 15:21

    Ha j’ai cru que c’était un article sur Louis XVI et Marie Antoinette ......


  • ZenZoe ZenZoe 6 octobre 2017 09:33

    J’ai vu partir beaucoup de proches, de différentes manières, certaines longues et douloureuses. Et finalement, je me demande si une hémorragie foudroyante n’est pas une des « meilleures » manières de quitter le monde, juste après la mort pendant le sommeil. Un peu comme arracher un sparadrap brusquement, une douleur et hop, c’est déjà fini, on ne s’est rendu compte de rien.
    Mon commentaire est assez bête, je le reconnais, mais on se console comme on peut d’une perte, en se répétant sans cesse « il n’a pas souffert » comme si cela pouvait atténuer notre propre douleur...

    Mes condoléances en tout cas et chapeau à la famille de votre ami. Pas facile de laisser dépecer un être que l’on a aimé.


Réagir