jeudi 17 janvier 2013 - par Pharmaleaks

Affaire des pilules : chiffres fallacieux et coupables désignés

L'Etat s'est exprimé à plusieurs reprises par la voix de Marisol Touraine ou du Professeur Dominique Maraninchi, Directeur de l'ANSM, dans l'affaire des pilules de 3° et 4° générations. De nombreux chiffres ont été distillés à la presse, semant une certaine confusion. Alors, gestion approximative de la crise ou réelle volonté de brouiller les cartes ?
 

L'article du Monde du 5 janvier

"Les effets secondaires sévères concernent les accidents thrombo-emboliques veineux, phlébites qui dans 1 % à 2 % des cas pourraient se compliquer d'évolution fatale par embolie pulmonaire. Ceux-ci peuvent exister en l'absence de prise de pilule : pour 5 millions de femmes sans pilule, ce risque est estimé de 250 à 500 cas par an.

Chez 2,5 millions de femmes prenant des pilules de deuxième génération, situation en France en 2012, il est estimé à 500 cas par an. Chez 2,5 millions de femmes prenant des pilules de troisième ou quatrième génération, il est estimé à 1 000 cas par an. Nos prises de décision et celles de la ministre sont basées sur ces données."


Bon ! Mais alors concrètement, sachant que le risque était connu depuis 1995, combien de décès inutiles ? Un bilan difficile à établir dans cette soupe de chiffres.

L'article du JDD du 11 janvier sème la confusion

13 décès enregistrés depuis 1985

La ministre de la Santé a également plaidé pour une meilleure surveillance des effets secondaires des contraceptifs et pour améliorer "leurs mécanismes de notification".
Depuis 27 ans, l'agence du médicament a enregistré 567 déclarations d'accidents liées aux pilules - toutes générations confondues - parmi lesquels 13 décès : 1 pour la première génération, 6 pour la 2e, 4 pour la 3e et 2 pour la 4e. Parmi les effets indésirables notifiés, 43% sont liés à la pilule de 2e génération - sur le marché depuis les années 70 - tandis que les pilules de 3e génération - apparues dans les années 90 - affichent également 43% des effets secondaires.


Rappelons que ces chiffres concernent une période de 27 ans, contrairement aux chiffres publiés dans Le Monde qui sont "par an". Changement radical de la manière de communiquer sur les dégats de la pilule, ça sent le recadrage ministériel.

13 morts sur 27 ans, découpés par type de pilule, 1 ici, 1 là-bas, c'est autrement plus rassurant !

Ces chiffres seront ensuite systématiquement et docilement repris par la presse comme en témoigne cet article de l'Express : Pilule contraceptive : combien de morts en France ?.

La voix de son maître.

Les données sources

Pour tenter d'y voir plus clair, rendons-nous sur le site de l'ANSM. La nouvelle "AFSSAPS-post-Mediator-le-changement-c'est-maintenant".

Toutes les données sont disponibles ici, il n'y a qu'à lire :

Au total, 13 cas de décès par événement thromboembolique veineux rapportés chez des femmes recevant une contraception orale combinée ont été enregistrés dans la base nationale de pharmacovigilance en France (depuis 1985). Dans 12 cas, ces femmes présentaient d’autres facteurs de risque.

En dehors des décès, 567 notifications ont été rapportées dans la base nationale de pharmacovigilance. On note, parmi celles-ci, une fréquence importante de femmes présentant des facteurs de risque autres que la prise d’un COC.

Ces données montrent un nombre de décès et de thrombose veineuse sous COC bien inférieur aux données estimées par la pharmaco-épidémiologie qui permettent la meilleure approche du risque. Ces deux outils de la pharmacovigilance sont complémentaires.


La base nationale de pharmacovigilance n’est pas spécifiquement conçue pour surveiller la fréquence de ces effets indésirables ni leur impact sur la population française. Ceci est d’autant plus vrai que l’on sait qu’il existe pour tous les systèmes de vigilance une sous-déclaration notoire. Celle-ci a été estimée dans une approche globale à environ 10 % (un cas sur 10 serait signalé) mais ce taux est éminemment variable en fonction de plusieurs paramètres...

Donc pour résumer, à ce stade de l'histoire, nous avons des données extrapolées issues de la pharmaco-épidémiologie qui sont probablement les plus représentatives du risque, et les données issues des déclarations des médecins à la pharmacovigilance, largement sous-estimées et en aucun cas représentatives de la fréquence des effets indésirables. Ces secondes données n'ont qu'un seul intérêt : montrer les défaillances du système de pharmacovigilance.

Dans un premier temps le directeur de l'ANSM communique sur les données réalistes issues de la pharmaco-épidémiologie. Dans un second temps, la ministre communique sur les données de la pharmacovigilance qui, aux dires mêmes de l'ANSM, ne permettent pas de chiffrer quoi que ce soit.

Lorsque l'Express (ainsi que de nombreux autres journaux) nous sert les "13 morts" du ministre, ce n'est ni plus ni moins que se prêter au jeu de l'Etat en désinformant ses lecteurs. Il était tellement facile de vérifier les données sources accessibles dès la page d'accueil du site de l'ANSM qu'on ne peut pas imaginer qu'il ne s'agisse que d'une simple négligence de la part de journalistes aguerris.

La ministre avait besoin de rassurer, elle a lancé une véritable opération de communication et de désinformation.

Et arrive le Figaro !

Pendant que Dominique Maraninchi se remet du camouflet que lui a infligé la ministre, le Figaro publie de nouveaux chiffres largement compatibles avec les données de pharmaco-épidémiologie, en dévoilant les résultats d'une étude chiffrant à 47 les effets indésirables graves liés à la pilule en 14 ans, dont 2 morts, sur un échantillon de 800 000 habitants, soit 165 morts et 3900 effets indésirables graves sur toute la population pendant 14 ans.

Ces données s'appuient sur des cas réels extrapolés depuis un échantillon largement représentatif de la population générale (800 000 habitants) à toute la population.

"C'est la faute aux médecins qui ne déclarent pas assez ! Et encore moins lorsqu'ils ont l'impression d'avoir fait une erreur !"

Cette position qui n'engage que le Figaro et qui est tacitement partagée par la ministre et l'ANSM est largement discutable. L'augmentation du risque d'AVC ou d'embolie pulmonaire est enseigné dans les facultés de médecine et de pharmacie depuis toujours. Ce n'est un scoop que pour quelques journalistes. Même si ce n'est pas bien, c'est comme ça : les médecins ne sont pas de bons élèves lorsque l'on parle de pharmacovigilance. Ce n'est pas nouveau non plus. "Et vu que le risque de phlébite, d'embolie pulmonaire ou d'AVC est largement connu, à quoi bon signaler une fois de plus des choses évidentes ?" Faut-il améliorer la pharmacovigilance ? Certainement. Est-ce que ça aurait changé quelque chose ? Non. Le problème est connu depuis longtemps. Les chiffres étaient disponibles depuis des années !

Par ailleurs, en dénonçant une trop large prescription des pilules de 3ème et 4ème générations, l'Etat cherche à nouveau à culpabiliser les médecins.

Orienter les discussions (et la presse) sur la simple pharmacovigilance et culpabiliser les médecins n'est qu'un leure.

La littérature scientifique a alerté la communauté scientifique depuis 1995. Les données épidémiologiques sont disponibles depuis très longtemps. Comme nous le signalions dans un article précédent, il est très rare en médecine de naviguer avec un tel consensus. La récente étude danoise qui portait sur 1,6 million de femmes ne nous a rien appris que nous ne savions déjà.

Les autorités de santé le savaient également. Encore dernièrement, lors de la Commission d'AMM du 17 novembre 2011, un "évaluateur de l'AFSSAPS" dont le nom ne figure malheureusement pas dans le compte-rendu déclarait à propos de l'étude danoise :

"Ces données confirment ce que l’on connaissait déjà, qui a donné lieu à l’actualisation du RCP de Jasmine. Pour les contraceptifs oraux de troisième et quatrième génération qui contiennent de la Drospirénone, le risque veineux thrombo-embolique est deux fois plus élevé qu’avec les contraceptifs oraux de seconde génération. (...) Ces nouvelles données amènent à se poser des questions sur l’utilisation des contraceptifs oraux de troisième et quatrième génération dans la stratégie de la contraception des femmes. Il convient de mettre particulièrement en avant le risque avéré en rapport avec les bénéfices allégués des pilules de troisième et quatrième génération. Il faut également réfléchir aux pratiques d’utilisation en France car 40 % des femmes françaises sous pilule prennent des pilules de troisième génération. Il faut se reposer la question du positionnement thérapeutique dans la contraception des pilules de troisième et quatrième génération, sachant que de nouvelles pilules de quatrième génération vont arriver sur le marché, mais qu’elles ne contiennent pas de la Drospirénone. Nous serons particulièrement attentifs à surveiller le risque thromboembolique veineux de ces pilules." (...) "Des extensions d’indication sont en cours d’évaluation pour les pilules à base de Drospirénone. Le surrisque fait partie des points pris en considération. Ce sur-risque pose problème par rapport à d’autres pilules."

Jean Doucet lui répondra : "Ce sera vraisemblablement à l’ordre du jour d’un futur groupe de travail, mais ce n’est pas le cas pour le moment."

L'évaluateur de l'AFSSAPS ne faisait que répéter les alertes de la Haute Autorité de Santé de 2007, etc.

L'Agence se disculpe en expliquant qu'elle avait déjà prévenu les médecins en 2001, mais en vain. Les juristes de l'ANSM nous trouveront bien un bout de courrier ou de fax envoyé aux médecins pour se couvrir. Nous sommes tout de même loin de l'efficacité des campagnes pour la promotion des médicaments génériques ou pour diminuer la prescription des antibiotiques !

Le problème ne se situe donc pas au niveau des médecins mais bel et bien une fois de plus au niveau des autorités de santé qui n'ont pas fait correctement leur travail ! C'est trop facile de s'en prendre aux médecins !

Dernier épisode de la saga : l'intervention de Gérard Bapt

Dans le Quotidien du Médecin du 16 janvier 2013, Gérard Bapt vient à la rescousse de Marisol Touraine. Dans un article intitulé "Effets indésirables des pilules non déclarés : Bapt s'interroge sur l'implication des médecins", il commence par reprendre les chiffres fallacieux des 13 morts sur 27 ans, dénonçant la sous-déclaration. Chacun remarquera que les données de la pharmaco-épidémiologie présentées par Dominique Maraninchi ou celles du Figaro sont déjà passées à la trappe. Et dans sa tribune, il attaque les médecins !

Son intervention illustre à elle-seule tout le dispositif de communication et de désinformation mis en place par l'Etat pour se couvrir.

Dans ce scandale des pilules de 3ème et 4ème génération, l'Etat cherche à se couvrir par une campagne de désinformation : chiffres fallacieux et coupables désignés. Or, le premier responsable, ce sont les structures de l'Etat qui comme pour le Vioxx, l'Avandia ou le Mediator n'ont pas fait correctement leur travail de surveillance.

Au fait ! Dans toute cette affaire, nous n'avons pas vraiment entendu les représentants des firmes pharmaceutiques. Dommage !

Références

Pilule de 3e génération : "Il faut éviter une crise de confiance", Le Monde, 5 janvier 2013

Pilule : Touraine veut restreindre les prescriptions, JDD, 11 janvier 2013

Pilule contraceptive : combien de morts en France ?, L'Express, 11/01/2013

Pilule : 47 accidents graves dans une région française, Le Figaro, 14/01/2013

Quelles sont les données sur le risque thromboembolique veineux issues de la base nationale de pharmacovigilance ?, ANSM

Quelles sont les données sur le risque thromboembolique veineux issues des études de pharmacoépidémiologie ?, ANSM

Commission d’AMM du 17 novembre 2011 - VERBATIM, ANSM

"Effets indésirables des pilules non déclarés : Bapt s'interroge sur l'implication des médecins", Le Quotidien du Médecin, 16/01/2013



1 réactions


  • Ruut Ruut 18 janvier 2013 16:01

    Pourquoi les pilules de seconde génération qui semblent les moins dangereuses ne sont pas prescrites de base ?

    Quel est l’intérret des pilules de 3 et 4 eme générations face a celles de seconde ?
    C’est ces réponses qui m’intéresse.

    Pourquoi utiliser nos adolescentes comme cobaye ?


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