Ces députés (presque) insensibles au lobbying...
Lorsque l'on évoque les impacts du lobbying industriel, nos députés n'ont de cesse de revendiquer leur indépendance d'esprit. En substance, "il ne suffit pas de nous inviter en week-end dans des châteaux et financer nos activités pour orienter nos actions". Nous avons déjà eu l'occasion de dénoncer à plusieurs reprises l'existence de "clubs" de parlementaires comme le Club Hippocrate, créé et présidé par le député PS Gérard Bapt, et financé par la firme pharmaceutique GlaxoSmithKline ou encore le "Club Avenir de la Santé", également financé et géré par Glaxo.
Avec Servier et Sanofi, GSK est incontestablement l'une des firmes les plus influentes auprès de nos élus. Rappelons que le club Hippocrate rassemblait plus d'une centaine de parlementaires sous l'oeil bienveillant de la firme britannique. Le Club Avenir de la Santé a de son côté influencé pendant plus de vingt ans tout le tissu législatif.
Mais ces actions ne se limitent pas à l'hexagone.
Nos cousins belges viennent de faire les frais d'élus très certainement moins inflexibles que les nôtres. Dans un article intitulé "Comment GSK s'est taillé une loi fiscale sur mesure", le journal Le Vif (Groupe L'Express) dénonce une énième campagne de lobbying de la firme GSK pour faire passer une loi qui lui a permis d'économiser... 405 millions d'euros d'impôts. "réunions discrètes avec le top du gouvernement hors syndicats, étude confidentielle mettant la Belgique en concurrence avec six autres pays, menaces de délocalisation..." La firme GSK a même poussé le cynisme jusqu'à faire rédiger elle-même la Loi par son propre cabinet d'avocat :
"Rédigée par un grand cabinet d’avocats payé notamment par GSK, la loi a été votée à la Chambre sans aucun débat de fond, noyée dans une loi-programme de 42 pages."
L'article du Vif dénonce la "Plateforme R&D", un lieu stratégique de tout premier plan pour l’industrie pharmaceutique qui y bénéficie d’un accès privilégié aux très hautes sphères politiques et administratives.
"C’est une plateforme qui fonctionne de manière tout à fait informelle. Il n’existe aucune base légale, aucune description officielle, aucun budget. Il s’agit d’un lieu de contact entre le gouvernement et le secteur pharma." (...) "Une des idées lancées au sein de cette plateforme a été la réduction de la taxe de société sur les revenus de brevets." Nous apprenons que GSK a pu déduire 2,6 milliards et ainsi ne pas payer 892 millions d’euros d’impôts entre 2008 et 2011...
Heureusement, ce n'est pas en France que de telles obscures influences sur le gouvernement pourraient se produire. A défaut d'être transparents, nos hommes politiques sont au moins intègres !
Et en France, le chantage à l'emploi en période de crise ne serait pas très réglo de la part d'une entreprise pharmaceutique dont le Directeur Général, Hervé Gisserot, deviendra prochainement le prochain numéro 1 du LEEM (Les Entreprises du Médicament).
Tu touches au Seretide, je ferme une usine !
Le samedi 27 octobre, nous apprenions que "le député UMP de l'Eure, Bruno Le Maire, a évité que le Seretide, médicament fabriqué à Evreux, soit substitué. Cent emplois étaient en jeu."
Cent emplois étaient en jeu. Au moins la messe est dite !
Le journaliste nous indique qu'"une nouvelle menace sur l'emploi a pesé cette semaine sur le site ébroïcien, qui emploie plus de 1 100 salariés."
"C'est à l'Assemblée nationale, où est débattu le projet de loi de finance de la Sécurité sociale, qu'un amendement visant à faire des économies a bien failli se solder par la perte de cent emplois dans la capitale de l'Eure. Ainsi, une députée avait proposé de remplacer le Seretide par d'autres produits inhalés similaires."
Un amendement qui sera finalement retiré après l'intervention de Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé. Bruno Le Maire, député de l'Eure est également monté au créneau pour s'opposer à l'amendement et défendre l'emploi du site ébroïcien de GSK.
L'article poursuit :
Les produits de substitution préconisés par l'amendement seraient moins chers que le Seretide, médicament de référence pour le traitement de l'asthme et de la broncho-pneumopathie chronique obstructive : « Ces produits ne seraient pas fabriqués par GSK, ni même en France probablement », alertait un représentant du personnel.
Apprécions le "ni même en France probablement". En clair, le véritable problème est que ce produit ne serait pas fabriqué par GSK. Pour renforcer ses dires, ce représentant du personnel agite la menace de délocalisation.
Heureusement, nos élus se sont rués à la rescousse de la firme.
A l'Assemblée Nationale, Bruno Le Maire n'a pas fait dans la dentelle :
"Cela me préoccupe d’autant plus que, dans ma circonscription – je le dis pour être totalement transparent –, une grande entreprise du secteur pharmaceutique emploie plus de 1 300 personnes. Cette entreprise, GlaxoSmithKline, ou GSK, fabrique des médicaments comme le Bécotide ou le Sérétide. Substituer à ces médicaments produits en France des médicaments génériques produits en Inde ou dans d’autres pays pose des questions très sérieuses en matière d’emploi."
Comme prévu, l'amendement a donc été rejeté.
Lois fiscales en Belgique, mesures anti-génériques en France, si des mesures globales permettant de défendre l'emploi sont louables, elles deviennent détestables lorsqu'elles ne sont qu'un prétexte à servir les intérêts économiques de grandes firmes industrielles. Les employés de ces centres ne servent que de monnaie d'échange, de simple outil de négociation, pour permettre à Big Pharma de continuer son business.
Pour protéger notre démocratie, il est essentiel de rendre transparents l'ensemble des liens d'intérêts des députés et des sénateurs avec toute entreprise privée, qu'elle soit française ou étrangère.
Sources
Mediator : les parlementaires mis en cause , Le Figaro, 25/02/2011
Le Club Avenir de la Santé : 23 années de lobbying pharmaceutique intensif, Agoravox, 09/12/2011
Comment GSK s'est taillé une loi fiscale sur mesure, Le Vif, 23/11/2012
Eure : GSK a encore eu chaud !, Paris-Normandie, 27/10/2012
Assemblée nationale - XIVe législature - Session ordinaire de 2012-2013 - Compte rendu intégral - Deuxième séance du vendredi 26 octobre 2012
Ces élus qui se font subventionner par les firmes pharmaceutiques ..., Agoravox, 17/09/2011