mardi 28 avril 2009 - par Patrick Dussert-Gerber

De l’art de nous prendre pour des couillons...

On les aurait pas, il faudrait les inventer : voici, dans notre secteur Vins et Gastronomie, des dérives ubuesques qui ne devraient prêter qu’à rire si certains ne tentaient pas de leur donner du sens...

1/. La cuisine "moléculaire"
Sincèrement, je commence à être gêné de lire autant d’âneries sur cette fumisterie. On connaît l’art "people-pipeau" (Koons, Warhol, Combas...), on a maintenant des chefs "géniaux" qui nous abreuvent de mousses, d’additifs, d’émulsifiants, tous plus ou moins chimiques et, billes d’Agar-Agar sur le gâteau, le tout est proposé à des prix particulièrement honteux).

Allez, pour vous faire rêver, voici ce qu’on y ajoute : azote liquide bien sûr, lécithine, amidon de maïs (Xanthane...), Alginate de Sodium pour les billes de gélification (dont la dose journalière admissible n’est pas définie, rassurant, non ?), un peu de chlorure de calcium, de l’Agar pour toutes ces écœurantes gélatines, des Citras, Algin, Gluco, et j’en passe... Rien que du naturel.

Une idée de menu :

- à l’apéro, je ne peux que vous conseiller le cocktail moléculaire "litchi pearl" ou le "Vodka-caviar de violette" ou le "Caviar de concombre" (si, si, cela existe, regardez la photo).

- ensuite, une "Meringue à l’azote liquide" pour vous mettre en bouche (demandez une table proche des toilettes), ou ce "Ruban d’encre de Seiche et Réglisse" (2** au Michelin, le type qui fait ça !!!), sinon, optez pour une entrée du chef (trop) médiatique Marx à Pauillac le "Risotto de Soja", par exemple), dont je vous livre sa présentation : " Thierry Marx, chef iconoclaste, a composé une carte à son image : patchwork de cuisine moléculaire à l’avant-garde des textures et des saveurs, et de tradition réinventée. Adepte d’écumes, de fumets et de quintessence, le saucisson est « virtuel », le pavé de blonde d’Aquitaine est empaqueté de papier cristal et la tomate iceberg, juchée sur son cylindre de glace, tombe dans une eau tiède d’herbes potagères semée de pavots en fleur" (menus : 90 à 175 €, pas donné).

Bon (est-ce bien le mot ?), passons.

Commencez à préparer votre sac en papier et à le placer sur vos genoux, on ne sait jamais (le même que celui que l’on vous donne dans les avions), on atteint les choses sérieuses. Tiens, pourquoi pas des "Canellonis translucides aux fraises" (on vous le conseille même avec un Bourgueil, pas sympa pour le vin dirait Jean Carmet).

Vous en voulez encore : le géant, le plus grand, le plus mytho, le "plus grand resto du monde" (mais si, puisqu’on vous le dit : "D’après les critiques spécialisés (spécialisés en quoi ?), c’est la première fois dans l’histoire que quelqu’un a été designé le meilleur genie-chef cuisinier de l’histoire.") : El Bulli pour découvrir un menu dégustation à 165 € (c’est dingue, ces types qui chipotent pour si peu : 165 €, c’est rien pour manger de l’air, allez, les pauvres, vous n’y connaissez rien).

Ah oui, pourquoi ne pas ajouter un "Shampoing d’ail", des "Perles de thym" ou des dés cubiques aux légumes ? Et pourquoi pas : un "Chantilly de Foie gras" (je vous avais prévenu, pour le sac en papier),

Que des trucs de stars, par des stars, on vous le dit. Tiens, en voici un qui se présente lui-même comme « concepteur artistique d’événements culinaires ». Pas moins. Et encore une belle recette : "la sphérification et les ravioles de betterave". Rien de mieux qu’une vidéo pour se mettre en appétit.

Et pourquoi pas un stage : "“Les Bordelais en sont fous. On a aussi bien des laborantins dans l’âme que l’étudiant branché ou le retraité en quête de nouveautés.” Curieux de tout, le cuisinier de l’Atelier des Chefs à Bordeaux, Frédéric Schuller, a lancé les cours de cuisine moléculaire voilà sept mois. Vu son succès, la formule a été adoptée par l’ensemble des Ateliers en France. Ce vendredi 16 janvier, 25 rue Judaïque, le cours a fait le plein comme à son habitude. Au programme : l’Œuf au plat sucré version 2009, le Risotto de champignons et spaghettis de parmesan virtuel et un Tiramisu minute, caviar de chocolat et Amaretto. Deux heures durant, les arpètes jouent aux alchimistes ou au docteur tournesol, c’est selon. Avec seringues et tuyaux, les spérifications classiques ou inversées relèvent d’un jeu d’enfant.”

Ah, des "spaghettis de parmesan virtuel", super !

Sinon, optez carrément pour le "kit moléculaire" (profitez-en pour faire repeindre vos propres toilettes).

2/. Le vin, même combat ?

Pour aller avec cette formidable cuisine, on a les vins qu’il faut : noirs de chez noirs, puants le goudron, tout aussi écœurants, traficotés par les plus innovantes manipulations œnologiques, parfumés par des levures chimiques, enzymes, barriques de bois surchauffées, d’autres macérés dans des copeaux, mélangés à de la sciure, etc, etc. Du plus cher au truc à 2 €, de vrais "produits" de consommation qui n’ont, comme la cuisine moléculaire, de nom que le mot "vin". Voir "Un vrai Bordeaux, sinon rien" (et, concernant certains vins du Languedoc, cet article) ou "Le vin, ce n’est pas une boisson...".

Je suis sympa, je vous renvoie à quelques concurrents pour qu’ils vous donnent les coordonnés de ces producteurs si talentueux (je ne les ai pas, personnellement).

Autre tranche de rigolade. Je cite : "Le point de départ de ces recherches est le concept d’aliments de “liaison”, des aliments qui déterminent la réussite d’un accord, comme l’olive noire qui garantira que l’accord avec une syrah sera réussi, le gingembre qui fera passer à merveille les pinots gris ou la menthe qui invitera à tester un sauvignon blanc."

Ah, une bonne tapenade avec un grand Bandol de Bronzo, idéal pour couler le vin, en effet. Et le gingembre, c’est pas super pour tuer le Pinot Gris ("à quoi ça sert que Schleret y se décarcasse", comme dirait l’autre) ? Encore des bons, non ?

3/. Encore plus fort, le bois, maintenant.

Voici le mail que je viens de recevoir de la Tonnellerie Sylvain :

"Le monde de la viticulture en rêvait, la Tonnellerie Sylvain l’a fait ! Grâce à l’acquisition du Chêne de Morat, fleuron de la forêt de Tronçais, âgé de 340 ans et aux qualités incontestables, Jean-Luc Sylvain propose à ses clients d’élever de grands crus dans des barriques tricentenaires. La Tonnellerie Sylvain crée l’événement avec une collection exceptionnelle de 60 barriques ! Intitulée « Collection Morat 09 » by Tonnellerie Sylvain, ce joyau de la tonnellerie crée déjà un engouement sans précédent chez les propriétaires de grands vins qui pourront ainsi créer des cuvées spéciales en les élevant dans un écrin d’exception luxueux. Après son abattage en 2006, sa transformation en douelles, et un séchage de 36 mois dans le parc, le Chêne de Morat est prêt pour la création des barriques... Les pièces de cette collection unique seront destinées aux propriétés des régions vitivinicoles de la « Vieille Europe » et du « Nouveau Monde ». Une dizaine de barriques seront designées d’artistes, qui apposeront leur touche créative avant d’être mises aux enchères en juin prochain au Régent Grand Hôtel."

On ne sait plus si on doit refréner un fou-rire ou en pleurer.

L’accord semble presque parfait : de l’azote dans votre assiette, de l’encre dans votre verre et du super-bois pour faire macérer des cuvées encore plus "spéciales". Cela laisse rêveur...

P.S. Pour info : "Santi Santamaria, récompensé du prix littéraire Premio de Hoy en début de semaine pour son livre La cocina aldesnudo (La cuisine à nu), milite pour la cuisine méditerranéenne traditionnelle et redoute que les chefs "ne deviennent les bouffons du 21e siècle". Malgré "un grand respect" pour Ferran Adrià, le chef de Can Fabes se demande s’il faut se sentir "fiers d’une cuisine, moléculaire ou techno-émotionnelle, avalisée par Ferra Adrià et ses adeptes, qui remplit ses plats de gélifiants et émulsifiants de laboratoire". Pour le chef de Can Fabes, la consommation de metilcellulose, un gélifiant d’origine végétale, peut être "préjudiciable" pour la santé. Il rappelle ainsi que cette substance est "déconseillée pour les enfants de moins de 6 ans". Il s’agirait, d’après lui, "d’un sujet de santé publique". La metilcellulose, comme les émulsifiants et épaississants, permet aux chefs adeptes de la cuisine moléculaire de réaliser des gels, émulsions et autres originalités. Ces ingrédients, conçus pour la cuisine, sont en vente librement dans le commerce. Et c’est justement ce qui inquiète Santi Santamaria. "Les recettes qui circulent sur Internet et qui invitent les cuisiniers à prendre des risques me font peur" dit-il, avant d’ajouter que "les clients des restaurants devraient connaître la composition exacte des plats qu’on leur sert". Voir la suite...



4 réactions


    • brieli67 29 avril 2009 11:44

      Dans un magazine culinaire paru en avril-mai 2009, je lis un article sur la Coulée de Serrant :

      "Le vigneron a choisi de lui appliquer strictement tous les principes de la biodynamie. Ses raisins sont gorgés de sèves naturelles, le terroir s’exprime pleinement, la nature incante sa magie sans entrave. Sans aucun apport chimique ni de synthèse, ses vignes approchent souvent les 90 ans et se portent comme des charmes. L’enherbement est naturel, le désherbement est assuré par un troupeau de moutons. Le compost fourni par une dizaine de vaches nantaises. Des ruches assurent la bonne pollinisation de la flore locale. Les maladies de la vigne sont essentiellement prévenues et guéries par des tisanes« .

      Jusque là, on se dit simplement qu’il y a faute du journaliste :
      -  »gorgés de sèves naturelles«  : jusqu’à présent, je n’ai pas vu comment faire autrement
      - la nature »incante« sa magie ? il faudra que je réfléchisse longuement à l’usage de cette expression
      - pas d’apport chimique ni de synthèse : là aussi, il faudra qu’on m’explique
      - la vigne se porte comme des charmes : et si les charmes se portaient comme la vigne ?
      - des maladies prévenues par des tisanes... allons.

      Mais le mieux est à venir : la dernière phrase est la suivante :

       »Même le soufre provient de volcans"

      Ici, les chimistes se gondolent, et ils peuvent s’arrêter de lire.

      Pour les autres, il faut prendre le temps d’expliquer que le soufre, élément chimique que l’on se procure sous la forme d’une poudre jaune, sert à « mécher » les tonneaux : on le brûle, afin de produire du dioxyde de soufre, lequel protégera les vins (mais donnera parfois mal au crâne, quand on voit des vins blancs). Seul hic, ce dioxyde de soufre, produit par la réaction du soufre avec l’oxygène, est formé par le méchage en quantités incontrôlées ! Je n’invite d’ailleurs personne à respirer du dioxyde de soufre : on s’intoxique. En très petites quantités, le dioxyde de soufre est autorisé comme additif, mais son usage est de plus en plus réglementé, parce que l’on se dit qu’il y a mieux à faire. Entre cela et le sulfate de cuivre utilisé pour traiter les vignes, je vois bien « la nature qui s’exprime pleinement » (rigolade). Et puis, tant qu’on y est, pourquoi ne pas accepter en biodynamie, par exemple, l’arsenic : c’est un produit « naturel », comme le soufre, puisqu’il existe sous forme native dans le sol ; et, tant qu’on y est à marcher sur la tête avec la biodynamie, pourquoi ne pas mettre dans les vins de l’hydrogène arsenié, que l’on obtiendrait à partir de l’arsenic (mais utilisé comme gaz de combat pendant la Première Guerre mondiale) ?

      Publié par Herve This à l’adresse


  • Radix Radix 28 avril 2009 19:42

    Bonjour

    Faites comme moi restez dîner à la maison !

    Radix


  • Patrick Dussert-Gerber Patrick Dussert-Gerber 29 avril 2009 16:23

    Votre texte sur la Coulée de Serrant est édifiant et fort bien documenté. Je partage votre avis, naturellement. Il y a autant de marketing-people pour le bio que pour une bibine de prestige.


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