samedi 9 juin 2012 - par Pharmafox

Des biphosphonates

Voici un sujet délicat et controversé que celui des biphosphonates. Ces médicaments, référence à l’heure actuelle pour le traitement de l’ostéoporose, ont de nombreux détracteurs. La dernière étude publiée remettra-t-elle le dogme en cause ?

Qui sont-ils ? 1

 L’os est un tissu qui se renouvelle en permanence. Le corps humain contient des cellules qui fabriquent de l’os « neuf » (les ostéoblastes) et d’autres qui résorbent l’os ancien (les ostéoclates). Chez les patients qui souffrent de fragilité osseuse, en particulier ceux atteintes d’ostéoporose, cet équilibre est perturbé : l’os est résorbé plus vite qu’il n’est fabriqué. Les biphosphonates agissent en inhibant l’activité des ostéoclastes, c’est dire en ralentissant la perte d’os.

 Apparu sur le marché dans les années 90, ils en sont rapidement devenus des produits phares. Les plus connus sont le Fosamax (acide alendronique) de Merck, le Boniva (acide ibandronique) de GlaxoSmithKline et Roche, l’Actonel (acide risedronique) de Sanofi et ou encore le Zometa (acide zolédronique) de Novartis.

 Les biphosphonates ont démontré une efficacité certaine et reconnue. Ils réduisent notamment le risque de fracture chez des patients ayant déjà connu des fractures. Ils sont de plus utilisés avec succès pour le traitement de certains cancers touchant les os.

 

 Effets secondaires reconnus

 Les effets secondaires immédiats sont bien connus : de par leur structure chimique, une partie des biphosphonates (dont ceux cités plus haut), attaquent l’estomac, provocant irritations et ulcères gastriques. De même, on observe une érosion de la paroi de l’œsophage, qui peut dégénérer en cancer. En revanche, il ne semble pas y avoir de hausse du risque de cancer gastrique. 2

 Plus impressionnants sont les cas d’ostéonécrose du maxillaire : l’os de la mâchoire qui pourri. J’invite les amateurs d’images peu ragoutante à faire une recherche sur google, ils seront servis. Les dents tombent, l’os finit par apparaître. 60% des cas en été observé chez les patients qui venaient de subir une intervention dentaire, mais des cas spontanés sont aussi apparus. Sont généralement touchés les patients traités pour un cancer, la dose de produit utilisée étant beaucoup plus forte que pour l’ostéoporose. Plusieurs laboratoires ont été condamnés pour ne pas avoir averti les patients de ce risque, voire de l’avoir sciemment dissimulé. Des centaines de plaintes ont été déposées, avec quelques condamnations à la clé :

  • Novartis a été condamnée en 2009 à payer 3,2 millions de dollars à une patiente, 3, 800 000 dollars à une à une autre en 2010. 4
  • Merck a été condamnée la même année à version 8 millions de dollars à un patient. 5

De son côté, Roche a fait scandale en prévenant les prescripteurs britanniques, mais pas américain, d’un risque accru chez les patients qui prendraient un biphosphnate en même temps que de l’Avastine (un autre médicament). 6

 Enfin, plusieurs cas de douleurs osseuses et articulaires et de maladies oculaires ont été rapportés.

 

 Effets secondaires controversés

 Un premier effet rapporté, mais qui n’est pas encore reconnu, concerne les fibrillations auriculaire (un effet cardiaque), qui ont été observées comme effet secondaire des acides zalédronique et alédronique (et dont on ne me fera pas croire que toute la famille n’y est pas associée) effet qui pourrait découler des variation du taux de calcium dans le sang. 7,8,9 La FDA avait annoncé une étude approfondie en 2007, mais en a conclu que le lien n’était pas établi. 1

 En puis, il suffit de réfléchir quelques instants pour comprendre les risques liés à ces médicaments : si l’os vieilli et plus fragile n’est plus résorbé, il ne peut laisser la place à de l’os neuf. Au lieu d’un os solide, le patient se retrouve avec un os mixte, un gruyère dont les trous seraient comblés de ciment. C’est sans doute la cause des ostéonécroses de la mâchoire.

 Ainsi, plutôt que d’avoir des os fragiles tout de suite ou des os sains, le patient a des os qui deviennent de plus en plus fragile, mais sur plus de temps. C’est le paradoxe des biphosphonates : ils provoquent de l’ostéoporose à long terme. Un temps contesté par les laboratoires via leurs sbires, 10 le lien a été validé par la FDA en 2010 et l’EMEA en 2011. Une toute nouvelle étude vient le confirmer. 11 Les auteurs démontrent que s’il est pris pendant plus de 3 ans :

  • Le biphosphonate ne sert plus à rien
  • Il augmente le risque de fracture atypique du fémur.

 Notons à décharge que celles-ci restent très rares.


 Pour traiter l’ostéoporose

 Comme je le répète souvent, peu importe les effets secondaires, l’important est de les connaître pour mieux les contrôler, pour identifier à quel moment il faut arrêter le traitement. Les pires effets sont généralement observés lorsque le produit, quelqu’il soit, est utilisé à mauvais escient, ou alors à très forte dose, ce qui augmente d’autant les risques.

 J’interrogeais plusieurs médecins de mes connaissances et tous m’ont répondu peu ou prou la même chose : lorsque l’on averti les patients d’un risque, ils ne font que semblant d’écouter. L’un des exemples les plus criant, c’est le nombre de femmes enceintes qui fument.

 L’industrie pharmaceutique a eu le tort de mentir ou de taire ces terribles effets que je cite. Les condamnations sont amplement justifiées, et d’autres suivront certainement. Pour autant, certains plaignants ont été déboutés car leurs arguments n’ont pas été considérés comme valides.

· Ainsi, une victime qui prenait du Zometa a prétendu qu’elle n’aurait jamais fait extraire ses dents si elle avait su que cela provoquerait une ostéonécrose : le juge a répondu que les informations étaient à sa dispositions, et que quoiqu’il en soit, les dents devaient être extraites, qu’il ne fallait pas non prendre les gens pour des cons et surtout pas les juges, et que tant pis pour elle si elle n’a pas bien lu la notice du produit. 12 Dans d’autres cas, en vertu de la présomption d’innocence, les victimes ont été déboutées pour n’avoir pas pu prouver que Merck a mal informé des risques d’une part, que cela aurait fait changer le médecin d’avis d’autre pas. 13

Je trouve que toutes décisions, tant celles favorables aux laboratoires que celles favorables aux victimes sont bonnes : les unes rappellent la responsabilité de chacun, et en premier lieu celle des médecins et des patients, les autres sanctionnent les comportements malhonnêtes et criminels.

Je doute que les biphosphonates aient sauvé des vies, mais ils améliorent sans aucun doute et tous les jours la vie de milliers de patients, qui ont gagné des années avant une fracture des poignets, de la colonne ou de la hanche, avant de mourir. Des milliers de patients qui peuvent continuer à vivre une vie normale, presque autant que François Hollande, c’est dire.

 

Non, les biphoshonates ne sont pas une panacée, pas plus que le sont les traitements alternatifs, SERM (Combriza, Evista, Arzoxifène…) et Protelos. Ils sont des munitions dans un arsenal, et comme telles, provoquent des incidents, surtout lorsqu’ils sont mal utilisés.

 

1. Biphosphonates, Wikipedia

2. Oral bisphosphonates and risk of cancer of oesophagus, stomach, and colorectum : case-control analysis within a UK primary care cohort, Green J & Co, BMJ, 2010

3. Supreme Court Denies Novartis’ Appeal of Zometa Suit, Bernstein Liebhard, 31 Mai 2011

4. Novartis Loses Test Case, fitsnews, 22 Novembre 2012

5. Merck to fight $8M Fosamax verdict, Tacy Staton, Fierce Pharma, 28 Juin 2012

6. Roche Sends ‘Dear Doctor’ Letter, But Not In The US, Ed Silverman, Pharmalot, 9 December 2012

7. Once-yearly zoledronic acid for treatment of postmenopausal osteoporosis, Black DM & Co, New England Journal of Medicine, Mai 2007

8. Use of alendronate and risk of incident atrial fibrillation in women, Heckbert SR & al., Archives of internal Medicine, Avril 2008

9. Alendronate and atrial fibrillation, Cummings SR & al., New England Journal of Medicine, Mai 2007

10. Association Between Long Term Fosamax Use And Femoral Stress Fracture Is Challenged, Tom Lamb, Drug Injury Watch, 18 Septembre 2012

11. Increasing Occurrence of Atypical Femoral Fractures Associated With Bisphosphonate Use, Meier RPH & Co, Archives of Internal Medicine, 2012

12. Novartis Wins Another Lawsuit Over Zometa Risks, Ed Silverman, Pharmalot, 2 Novembre 2011

13. Merck Wins First State Court Trial Over Fosamax, Ed Silverman, Pharmalot, 14 Février 2011

http://www.pharmalot.com/2011/02/merck-wins-first-state-court-trial-over-fosamax/

 

 



2 réactions


  • wawa wawa 9 juin 2012 16:00

    merci pour cette synthèse.
    une indication complémentaire de certains diphosphonates :
    limitation de l’osteolyse des métastases osseuses


  • Kookaburra Kookaburra 9 juin 2012 18:43

    Effectivement, j’ai un ami qui en prend pour un mélanome osseux. Il croit qu’a petite dose il n’y a pas de risque. Je n’en sais rien, mais à première vue, affirmer que le médicament est inutile et dangereux me semble trop catégorique.


Réagir