Aux portes de Rennes, des éleveurs produisent un lait naturellement riche en acides gras oméga3. Pour y parvenir, ils exploitent les vertus du lin et de la luzerne, aliments traditionnels.
Dans la nature,
la vache donne le meilleur de son lait lorsqu’elle broute de l’herbe. Les
connaisseurs le savent, le lait d’été fait les meilleurs fromages et le bon
beurre. Aujourd’hui, les scientifiques confirment le bien-fondé de cet
empirisme. La composition des lipides animaux est toujours dépendante de
l’alimentation qu’ils reçoivent, affirment-ils, analyses à l’appui. Le lait des
vaches qui se repaissent d’herbe contient plus d’acides gras « oméga 3 »
que celui de vaches nourries au maïs et moins d’acides gras « oméga 6 ».
La composition de notre alimentation en ces acides gras est déterminante pour
notre santé. Les nutritionnistes recommandent un rapport « oméga 6 / oméga
3 » voisin de 5 et un apport en oméga3 de 2 g par jour pour un adulte
(OMS-AFSSA). De 1960 à 2000, notre
consommation journalière par adulte et par jour est passée de 78g à 105g
d’acides gras, principalement par augmentation des huiles végétales (15%) et
des produits laitiers (6%). Malgré cette augmentation, nous ne consommons que 0,15 à 0,2 g d’oméga3 quotidiennement
et notre rapport alimentaire « oméga3 / oméga 6 » s’est élevé de 5 à
12 pour les acides gras totaux et de 6 à 23 pour leurs précurseurs ! Cette détérioration entraîne de nombreuses
conséquences funestes sur notre santé et serait à l’origine de l’obésité
infantile précoce. Le fameux rapport dans le lait maternel est passé de 5 à 20
en 20 ans ! Celui du profil moyen des lipides végétaux consommés en France
est de 32 ! Et celui du lait d’une vache nourrie au maïs de 8 ! A
l’origine de ce déséquilibre, la surconsommation d’huile de tournesol (au
détriment du colza) et l’industrialisation de l’élevage autour du modèle
maïs-soja.
A Vern-sur-Seiche, dans la banlieue de Rennes, des éleveurs comme Claudine
et Albert Richomme, ont bien compris l’enjeu de santé publique de
l’agriculture. Avec dix autres collègues, ils se sont engagés dans la
production de lait naturellement riche en oméga 3. Pour que leurs vaches produisent
toute l’année cette qualité de lait, Claudine et Albert complètent l’alimentation
de leur troupeau avec un produit à base de lin et de luzerne lorsque l’herbe se
fait rare. C’est-à-dire de fin août à début
avril. La graine de lin contient 190 g d’acides oméga3 au kilo. Une
substitution de 5% du soja au profit d’un produit à 58% d’oméga3 dans les
acides gras totaux permet d’obtenir un lait contenant 1,2 % des lipides sous
forme oméga3 et dont le rapport « oméga3 / oméga6 » est inférieur à
4. La démarche des Richomme s’inscrit dans l’initiative de leur coopérative
Coralis. Dès 2004, elle décide de se lancer
dans la fabrication de beurre demi-sel, riche en oméga 3. Chaque semaine
sous la marque Agrilait, elle en produit une tonne. La relance de la culture du
lin est le fait de l’association Bleu-Blanc-Cœur, reprenant à son compte les
recherches qui ont prouvé les effets positifs des oméga3 sur la fertilité des
animaux, leur immunité et leur vigueur. En 1999, les chercheurs prennent un
virage vers la nutrition humaine et confirment l’excellente assimilation par
l’homme des oméga3 élaborés par les animaux (lait, œuf, viande porcine et
bovine) et leur meilleure saveur, révélée par l’analyse sensorielle.
Ces projets sont
révélateurs du renouveau de l’agriculture vers plus d’autonomie, plus de
traçabilité, plus de responsabilité. Les Richomme ne font qu’appliquer des
principes agronomiques de bon sens que la modernité des années soixante-dix
avait balayé. Depuis une dizaine d’années, la vache folle est passée par là et bien
des éleveurs en ont tiré des leçons. La plus simple, la plus évidente : des
animaux bien nourris donnent de bons produits. Avec une production de
200 000 litres de lait par an, les Richomme sont de petits éleveurs. Mais
heureux. Si la ration de leurs vaches « lin - luzerne » leur coûtent plus
cher que du maïs et du soja, la bonne santé de leur animaux leur évite des
frais vétérinaires. Leur lait est mieux payé. Ils estiment que leur marge brute
est de 5% supérieure à ce qu’elle était avant cette conversion. Au final, le
bilan est positif. Pour le consommateur aussi.