jeudi 29 mai 2008 - par Argoul

Etre heureux en trois leçons (Flaubert)


« Etre bête, égoïste et avoir une bonne santé, voilà les trois conditions voulues pour être heureux. Mais si la première vous manque, tout est perdu. » Flaubert, lettre à Louise Colet 13 août 1846. Ne voilà-t-il pas la sagesse de base ? Certes, les gens cultivés se diront que le niveau est plutôt celui du petit-bourgeois content de lui-même, à la Bouvard & Pécuchet. Mais surmontons ce réflexe bégueule ou cépanou pour nous pencher sur la vérité profonde contenue dans ces phrases.

Tout d’abord le contexte. Flaubert répond à sa maîtresse qui lui « dit des choses dures » parce qu’elle est atteinte d’une « lassitude de chagrin ». Il se justifie : « Je suis sûr que tu me crois égoïste ». Il l’est, mais « là-dessus, chacun s’illusionne. Je le suis comme tout le monde, moins peut-être que beaucoup, plus peut-être que d’autres. » La charité de saint Vincent de Paul n’est-elle pas égoïste elle aussi, puisque obéissant à « un appétit de charité » ? N’est-ce pas une forme d’égoïsme que de se faire du bien ? D’obéir à l’un de ses appétits ? « Chacun jouit à sa mode et pour lui seul. » Il y a « les prodigues et les avares. Les premiers prennent plaisir à donner, les autres à garder. » Première leçon : ne pas se fier aux apparences. Les motivations des gens ne sont pas aussi pures qu’elles paraissent, parfois même à leurs propres yeux. Ils « se la jouent » comme disent souvent les ados.

Ensuite le prétexte. Le bonheur est un état physique, physiologique, d’équilibre. Etre bête signifie ne pas trop réfléchir, prendre les choses comme elles viennent, apprécier l’ordinaire – qui ne manque jamais. La bêtise étant la chose du monde la mieux partagée, le bête est heureux parmi d’autres bêtes ; il s’y sent bien, la vue courte, en troupeau. Rires lourds, blagues grasses, connivence entre mâles ou entre épouses, sentiment fusionnel entre militants de la même secte. Rien ne vient troubler la béatitude de bête. La bonne santé, répétition ironique du dicton populaire ("quand la santé va, tout va"), n’est que redondance des deux premiers concepts. L’état physiologique du bonheur est un corps qui fonctionne bien. Seconde leçon : l’égoïsme est une réaction de confort du mouton lambda rassuré dans sa bergerie : on est bien, au chaud, entre nous.

Enfin le texte. « Mais si la première vous manque, tout est perdu. » La première condition, c’est d’être « bête ». Si l’on pense trop, on s’illusionne, on s’inquiète, on n’est plus dans le présent immédiat des choses terrestres. Soit l’on ressasse le passé ("comme tout était mieux avant ! Le niveau ne cesse de se dégrader !"), soit on craint l’avenir (et si… le monde allait venir frapper à notre porte ? … les réformes allaient changer mon confort ? … les jeunes allaient me prendre mon travail ? … le complot des multinationales ? et si…) Cette frilosité réactionnaire est clairement celle du « bourgeois » que Flaubert a toujours poursuivi de sa hargne. Avec une arrière-pensée anticléricale, en ces temps où le goupillon s’alliait volontiers au sabre et où le pape bullait contre la République. « Heureux les bêtes », semble énoncer Flaubert, parodiant l’Evangile, la référence des bien-pensants de son époque (« Heureux les pauvres en esprit, car le Royaume de Dieu est à eux » Mt 5,8). Évangile d’apparence, empressons-nous de le préciser, car Jésus dit clairement « lorsque tu fais l’aumône, ne sonne pas de la trompette devant toi comme font les hypocrites, dans les synagogues et dans les rues, afin d’être glorifiés par les hommes. » (Mt 5,6) Troisième leçon : n’est-ce pas justement le propre de la bêtise de prendre l’apparence pour la réalité et le mot pour la chose ?



19 réactions


  • biztoback 29 mai 2008 11:06

    C’est un bon moyen pour savoir si l’on est bêtes ou pas.

    Je me classerais plus dans les " dépressifs heureux " mais il faut faire attention aux apparences.


  • rocla (haddock) rocla (haddock) 29 mai 2008 11:08

    Très bon titre

     

    Pour être heureux vivons cachés , couchés , surtout vivons achez bien-être mental ,


  • Olga Olga 29 mai 2008 11:55

    Ah Gustave, quelle heureuse suprise ! Ton éducation m’a rendue toute sentimentale. Emma s’en souvient, c’était à Mégara, faubourg de Carthage...

    Nous expliquer comment être heureux. Trois contes n’y suffiraient pas...


  • Deneb Deneb 29 mai 2008 12:11

    Le bonheur est la carotte inventée par le pouvoir, censée faire oublier au bon peuple les coups de bâton de l’oppression quotidienne. Le droit à la recherche du bonheur, inscrite dans la constitution des Etats-unis est une forme de religion moderne, calquée sur l’idéologie chretienne : "bienheureux les pauvres d’esprit". Le fait qu’il soit inscrit à la constitution donne au pouvoir le droit de l’imposer au cas où le bon peuple ne l’a pas trouvé. Il est ainsi notoire que pour être heureux, il vaut mieux ne pas trop chercher à savoir. De même que les pessimistes ne sont que les optimistes avertis, il y a des heureux, puis ceux qui savent.


  • maxim maxim 29 mai 2008 12:41

    nous ne sommes pas heureux et le bonheur n’existe pas ....nous ne faisons que le désirer !


  • Olga Olga 29 mai 2008 13:18

    Même pas vrai !

    Et le bonheur de lire Gustave, c’est du pâté en croûte ? (Je ne sais pas ce que j’ai aujourd’hui, je mets des accents circonflexes partout...)

    Trêve (tiens encore un) de plaisanterie. Le bonheur est une chose tellement relative, que l’on peut difficilement soutenir qu’il n’existe pas. Chacun peut trouver son bonheur, en fonction de ce qu’il attend de la vie. Pour certains c’est un sommet inatteignable, pour d’autres c’est une "réalité" quotidienne.


    • Deneb Deneb 30 mai 2008 07:16

      Olga, le terme de bonheur a perdu toute la poésie par laquelle il brillait jadis. De nos jours il est le plus souvent utilisé pour promouvoir une banque, une assurance etc. Mes petits plaisirs de la vie, comme l’amour, ou de voir reussir mes enfants, je n’arrive pas les associer à ce mot creux, abusé et détourne par l’industrie publicitaire


  • Gül 29 mai 2008 14:39

    J’ai adoré cet article, merci beaucoup. Certains qui se déchaînent sur ce même site devraient venir prendre ici, une rapide leçon d’humilité !

    Cordialement.

     


    • Dame Jessica Dame Jessica 29 mai 2008 17:16

      @ Gül

      Que je regrette de vous avoir manqué sur ce fil Rose la bien nommée ! J’aime l’idée que nous ayons de l’attrait pour les mêmes sujets, cela me conforte dans l’idée que j’ai de vous et de quelques autres belles personnalités qui fréquente ce lieu...J’espère vous croisez bientôt trés chère et dans l’attente,

      mes hommages à la Rose des Roses !


  • alberto alberto 29 mai 2008 15:15

    Bien l’article !

    Et d’ailleurs, la sagesse populaire, n’a-t-elle pas épinglé l’épithète "heureux" au costume de l’imbécile ?

    Bien à vous.


  • Alexandre 29 mai 2008 16:17

     Flaubert aurait pu ajouter : un inébranlable contentement de soi, lui qui doutait constamment de sa prose.

    La photo est très contestée. Ce n’est sûrement pas lui. Celui-ci a l’ait trop bête, égoïste et en bonne santé.


  • Dame Jessica Dame Jessica 29 mai 2008 17:13

    @ L’auteur

    En tant qu’intime de Gustave,que je fréquente depuis fort longtemps et avec lequel j’ai eu de savoureuses et passionnantes conversations, je crois vraiment qu’il goûterait fort le ton et l’élégance de votre article...Je ne parle pas même du fond, d’une vérité criante et d’une ironie fine comme une dentelle d’Alençon, qu’il se ferait une joie (c’est un homme de fort bonne compagnie savez-vous sous ses dehors légérement guindés) de reprendre à son compte et de diffuser épistolairement au plus grand nombre afin que cette jolie leçon de "savoir être heureux" ne soit pas perdue... En ce qui me concerne, cher auteur, elle est apprise et bien apprise, vous y avez, avec tant de talent, soupoudré le sucre de votre humour qu’elle se déguste sans fin véritable, juste pour le plaisir et la beauté du geste...Je vous remercie, ce n’est pas tous les jours que Gustave fait une apparition sur Agoravox et je l’y ai retrouvé avec grand plaisir !


  • breizhim 29 mai 2008 17:13

    On ne peut dire d’un homme qu’il est heureux comme dire qu’il est bête ou gentil.

     

    Le bonheur est un état éphemère et non un trait de caractère. Un moment privilegié dans la vie que tout homme cherche à atteindre quand il en a l’occasion. Moteur principal selon moi de la motivation. Un homme ’heureux’ ne connaitrait jamais la difficulté, que ce soit émotionnel, matériel ou autre facteur possible de stress. Je ne crois pas en tel homme ( ... sauf sous injection constante d’endorphine. Mais s’en rendrait-il compte au fil du temps ? Non.).

    Le bonheur est comme un nectar infiniment apprecié de tous, qui se déguste sur le moment. Mais on peut avoir un château Petrus, boire la bouteille au goulot en éradiquerait les subtilités.


  • Selmi Selmi 29 mai 2008 19:25

    VRAI : NICOLAS REMPLIT LES TROIS CONDITIONS

    ET IL NAGE DANS LE BONHEUR !

     


  • W.Best fonzibrain 29 mai 2008 23:51

    C’est une maladie naturelle à l’homme de croire qu’il possède la vérité." Blaise Pascal


  • vinvin 30 mai 2008 02:45

    Bonjour.

     

    Bien moi, je ne suis ni bete, ni égoiste, donc si j’ ai bien compris le bonheur m’ est interdit, c’ est ça ?

     

    D’ après des tests que j’ ai fait, j’ ai un Q.I de 75, et un Q.E, de 165.

     

    Alors je fais quoi avec ?..........

     

    Mon Q.I et mon Q.E, ne m’ ont apporté que de la poisse :

    Dépressif depuis l’ enfance :

    Tantative de suicide en 1993 :

    Nourris a 75% avec des anti-dpresseurs et somnifères :

     

    par moments je detste les cons qui se foutent royalement de TOUT, mais a d’ autres moments je les admirent aussi, car si je pouvais moi aussi me foutre de TOUT, je n’ aurais pas tous les problèmes que j’ ai eu, et que j’ ai encore, ainsi que sur le plan de la santé.

     

    Cordialement.

     

    VINVIN.

     

     


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