vendredi 23 mai - par Sylvain Rakotoarison

Euthanasie 2025 (2) : l’inquiétude des religions

« Derrière une apparente volonté de compassion et d’encadrement, ce texte opère un basculement radical : il introduit légalement la possibilité d’administrer la mort, par suicide assisté ou euthanasie, en bouleversant profondément les fondements de l’éthique médicale et sociale. » (la CRCF, le 15 mai 2025).

Dans mon précédent article sur l'euthanasie, j'expliquais que l'argumentation devait éviter de se référer à une religion, en ce sens que la République doit pouvoir légiférer sans influence d'une religion, et c'est le principe de laïcité qui est traditionnel en France. Sans ce principe, la loi sur l'IVG, par exemple, n'aurait jamais pu être adoptée.

Toutefois, cela ne signifie pas que les religions n'ont pas leur mot à dire. Au même titre que n'importe quel citoyen français, les religions basées en France ont le droit d'avoir réfléchi et de s'exprimer sur ce sujet très important, d'autant plus qu'elles sont bien placées pour en parler car c'est l'objet, pour elles, de nombreux sujets d'étude, la mort, l'accompagnement des personnes mourantes, l'accompagnement des personnes en souffrance, en situation de handicap, etc.

Or, il y a eu un petit événement qui est, semble-t-il, passé complètement inaperçu dans les médias, c'est que l'ensemble des grandes religions présentes en France s'est réuni et a fait un communiqué commun, a pris une position commune sur la proposition de loi en cours d'examen à l'Assemblée Nationale. Et le message, c'est une forte inquiétude pour l'avenir.

Il s'agit de la CRCF qui est la Conférence des responsables de culte en France, fondée le 23 novembre 2010. Elle rassemble les représentants des religions catholique, protestante, orthodoxe, juive, musulmane et bouddhiste. Elle a pour objectif de favoriser le dialogue interreligieux et le dialogue avec les pouvoirs publics dans le respect de la laïcité française. Elle souhaite contribuer ensemble à la cohésion de la société français dans le respect des autres courants de pensée et par la reconnaissance de la laïcité comme fondement de la République. Un tel unanimisme sur l'euthanasie est notable et rare, tant certaines de ces religions ont guerroyé entre elles, ou parfois guerroient encore aujourd'hui.

Un communiqué commun a été signé le jeudi 15 mai 2025 par six représentants religieux : Mgr Éric de Moulins-Beaufort, le président de la Conférence des évêques de France (qui va bientôt céder la place à Mgr Jean-Marc Aveline, le 1er juillet 2025), Pasteur Christian Krieger, le président de la Fédération protestante, Mgr Dimitrios Ploumis, le métropolite de France et président de l'Assemblée des évêques orthodoxes de France, Haïm Korsia, le grand-rabbin de France, Chems-Eddine Hafiz, le recteur de la grande mosquée de Paris, et Antony Boussemart, le coprésident de l'Union bouddhiste de France.
 

Les religions ont voulu alerter solennellement sur « les graves dérives » qu'introduirait la proposition de loi sur "l'aide à mourir". Cinq inquiétudes ont été exprimées à cette occasion.


La première inquiétude est de ne pas vouloir nommer clairement la chose, à savoir l'euthanasie et le suicide assisté qui pourraient s'appliquer. Cette terminologie d'aide à mourir « vise à anesthésier les consciences et affaiblir le débat public ». Cette expression d'aide à mourir réduit la portée très grave de cet acte.

La deuxième inquiétude est la contradiction de fond avec le serment d'Hippocrate dont le principe fondamental est de « soulager sans jamais tuer ». Cette loi serait ainsi ressentie par de nombreux soignants comme « une transgression radicale de leur mission ». Des manifestants ont déjà fait des démonstrations pour lancer cet appel : soigner et pas tuer.

La troisième alerte est le cœur du débat parlementaire puisqu'il consiste à définir les garanties éthiques et procédurales. La CRCF a souligné l'absence d'une procédure collégiale (un seul médecin pourrait autoriser "l'aide à mourir"). De plus, le délai de réflexion serait seulement de 48 heures et mériterait d'être très remonté : « Cette précipitation est indigne d'une décision irréversible et de la gravité de l'enjeu ». D'autres garanties sont en cours de discussion dans l'hémicycle, tout aussi inquiétantes. Ainsi lorsqu'il s'agit de considérer la souffrance psychologique comme pouvant bénéficier de cette "aide à mourir".

La quatrième inquiétude est, à mon avis, la plus grave et la plus irréversible : « L’instauration de ce "droit" risque d’exercer une pression sourde mais réelle sur les personnes âgées, malades ou en situation de handicap. La seule existence d’une telle option peut induire chez des patients une culpabilité toxique, celle d’ "être un fardeau". ». La CRCF a constaté que « dans les pays où l’euthanasie a été légalisée, les demandes ne cessent d’augmenter, et on observe une baisse inquiétante de l’investissement dans les soins palliatifs ». Ainsi, elle a remarqué : « La promesse d’un accompagnement digne tend à s’effacer derrière une option terminale présentée comme solution. ».

Enfin, la cinquième crainte serait « une atteinte à l'équilibre entre autonomie et solidarité ». La proposition de loi « érige l'autodétermination individuelle en absolu ». Ce qui signifierait que « ce choix solitaire risque fort d’occasionner des traumatismes et de blessures durables, notamment dans le cas d’une découverte a posteriori du décès d’un proche aidé au suicide ou euthanasié ». Toutefois, je considère que cette crainte ne doit pas être prise en compte car la loi doit se focaliser avant tout sur le patient lui-même et son intérêt, son bien, et pas sur le ressenti de ses proches qu'il faudrait ménager.
 

Et le communiqué commun de conclure ainsi : « Il faut choisir l’investissement dans les soins palliatifs, la formation à l’écoute, l’accompagnement global des personnes jusqu’à la fin de leur vie. Ce choix est celui de l’humanité contre l’abandon, de la relation contre la solitude, du soin contre la résignation. ».

Cette réflexion, qui va au-delà des religions et qui respecte avant tout une éthique de la société, l'aide aux plus vulnérables, ce qui est le devoir d'un État responsable, a exprimé ces inquiétudes dans un contexte d'une évidence surjouée par les médias. Ce qui est inquiétant, c'est que le débat parlementaire est surtout focalisé sur les seuils des curseurs (des conditions d'application, des garanties d'encadrement) alors que l'enjeu est le principe même de cette autorisation de tuer, de cette transgression. Dans un prochain article, j'évoquerai le débat parlementaire en cours.



Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (22 mai 2025)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Euthanasie 2025 (2) : l'inquiétude des religions.
Euthanasie 2025 (1) : quelle société humaine voulons-nous ?

 

 



21 réactions


  • Gégène Gégène 23 mai 11:34

    D’une, je ne me reconnais en aucune « chapelle » !

    De deux, que pensent les « bonnes âmes » du Rivotril en 2020 ?

    De trois, que penser des gens qui prétendent décider pour autrui ?

    Enfin, qu’en est-il du conflit d’intérêt des personnes travaillant 

    dans les soins palliatifs ?


  • amiaplacidus amiaplacidus 23 mai 12:06

    L’auteur : « l’inquiétude des religions ».

    Pour paraphraser Marcel Pagnol : Vous savez ce que je lui dis aux religions ?


  • ETTORE ETTORE 23 mai 12:38

    N’importe quoi, Rakoto !

    Allez, repliez votre faux, de coupeur de vies !

    Ok, vous prêchi-prêchez pour votre catalepsie mortificatrice, à la mode dans votre cercle de Sorcières, en rond, et à cheval sur bien autre chose que des manches à balais, et pénétrés à la schnouf Colon-Bienne ;

    Aucune confiance à accorder à ces salsifis de la pensée.

    Qui agissent sur la création de l’émotion du moment, et brandissent des textes de loi, qu’ils pourront modifier à souhait, et selon leur entendement.

    En l’état actuel, c’est signer un libre seing, à des barbares, dont les idées malsaines, tournent comme les jupes des derviches, mais l’extase de la vision, se limite à leurs propres intérêts.

    La religion ? Ils n’en ont rien à battre, ils ONT LA LEUR  !

    C’est simplement, un écueil de naufrageurs, qu’ils entretiennent à grand soin, pour justifier le pillage des vies, pour un gain qui ne dit pas son nom !


  • Seth 23 mai 13:26

    Toutefois, cela ne signifie pas que les religions n’ont pas leur mot à dire. Au même titre que n’importe quel citoyen français, les religions basées en France ont le droit d’avoir réfléchi et de s’exprimer sur ce sujet très important,  smiley

    CERTAINEMENT PAS !!!!!!!  smiley


    • rogal 23 mai 14:31

      @Seth
      « le droit d’avoir réfléchi ». Impayable, ne trouvez-vous pas ?


    • Seth 23 mai 14:42

      @rogal

      Comment ? Vous douteriez que les grenouilles de bénitier ne passent pas au moins la moitié de leur temps à « réfléchir » ? Je vous trouve bien dur avec ces personnes pourtant connues pour leur ouverture d’esprit et leur progressisme...  smiley


    • amiaplacidus amiaplacidus 23 mai 17:43

      @rogal
      J’ai un miroir dont le tain est de bonne qualité et qui réfléchi depuis plus de 50 ans.


    • Seth 24 mai 13:45

      @amiaplacidus

      Oui. Même l’eau vaguement vaseuse du bénitier à condition que certains ne s’y lavent pas les mains réfléchit aussi.  smiley


    • Eric F Eric F 25 mai 09:45

      @Seth
      Bien sur que si, les religions comme tout courant de pensée peuvent s’exprimer, mais il n’ont pas le pouvoir de décision.


    • Eric F Eric F 25 mai 09:56

      rectif : ’’mais elles n’ont pas le pouvoir de décision’’


  • ZenZoe ZenZoe 23 mai 16:27

    Ouais ouais, l’opinion des religions et les ’’graves dérives sociétales’’, parlons-en.... Parlons des prêtres pédophiles, des évêques complices, parlons de Bétharram... Quant à l’islam, mieux vaut d’ailleurs ne pas en parler du tout !


    • Seth 23 mai 17:04

      @ZenZoe

      Quelles que soient les question, les religions doivent être systématiquement bannies de toute discussion.

      Ici, Les croyants se comportent comme ils l’entendent en fin de vie, c’est leur choix, mais toute décision doit être prise selon la pensée neutre des non-croyants qui ont choisi de décider de la fin de leur vie hors de toutes pensées religieuse qu’ils ne partagent pas. Et si les grenouilles de bénitier avait le moindre respect pour la personne, ils s’en tiendraient à sa décision, il appartient à Dieu de juger et non à des larves.

      C’est pourtant pas bien compliqué à saisir !


    • Fergus Fergus 23 mai 20:43

      Bonsoir, ZenZoe

      Et de la Sainte Inquisition, et des Magdalene Sisters, etc.

      Je ne reconnais à aucune religion le droit de me dicter ce que je dois faire et penser en quelque domaine que ce soit !


    • Seth 24 mai 14:02

      @Fergus

      Bof, l’inquisition n’est pas si terrible que ça si l’on en croit le Torquemada crooner et les nonnes Esther Williams de Mel Brooks :

      https://www.youtube.com/watch?v=NUMkcBctE7c.  smiley


  • njama njama 24 mai 10:29

    En admettant que le Sénat entérinerait cette loi de fin de vie, la difficulté qui se présentera sera de trouver des « assistants »...oui mais QUI ? pour appliquer la loi ?

    Une demande d’aide active à mourir (suicide assisté) ne devrait-elle pas être considérée comme un symptôme d’état morbide qui relève du domaine somatique, et de la psychiatrie.
    L’objection de conscience existe, elle n’est pas faite pour les bêtes... les soignants pourraient signifier individuellement ou collectivement leur objection à cette pratique, contraire à l’Éthique médicale. 
    Les lois n’étant jamais rétroactives, par principe, Article 2 du Code civil "La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif", les soignants ne sauraient être tenus « contractuellement » vis à vis de leur employeur, de l’appliquer... vu qu’il ne s’agit pas d’un « soin ».

    Comme ce n’est pas la vocation des hôpitaux, un proche du futur défunt ?

    Option : demander aux députés qui ont voté POUR cette proposition de loi, et aux sénateurs de se porter volontaires pour pousser la seringue ou faire avaler la potion létale... au principe de « c’est celui qui l’ dit, qu’il fait ! »


    • Fergus Fergus 24 mai 11:47

      Bonjour, njama

      Il n’y aurait pas le moindre problème pour « trouver des « assistants » » !
      En Suisse, il y a plusieurs associations qui se chargent de fournir le produit létal.
      Il en irait de même en France (après validation de l’état du demandeur par un collège de médecins). Nombre de militants de l’ADMD seraient d’ailleurs d’ores et déjà volontaires pour assurer ce service.
      Les médecins ne seraient pas concernés par cette phase de l’aide à mourir !

      « L’objection de conscience existe »
      Oui, et c’est une excellente chose. Mais elle ne concernerait que les médecins appelés à pratiquer une euthanasie sur des malades réduits à un état végétatif irréversible (ou de très rares cas assimilables).

      « demander aux députés qui ont voté POUR cette proposition de loi, et aux sénateurs de se porter volontaires pour pousser la seringue ou faire avaler la potion létale »
      Commentaire à côté de la plaque : dans le suicide assisté, c’est le malade, et lui seul, qui s’administre le « produit létal »  !


    • Seth 24 mai 12:10

      @Fergus

      Concernant cette fameuse « objection de conscience » médicale, on parle déjà de son existence dans l’IVG.


    • Eric F Eric F 25 mai 09:54

      @Fergus
      D’accord avec votre remarque concernant le rôle des associations, comme en Suisse.

      Un sujet d’interrogation, c’est le cas de personnes commençant à perdre irréversiblement leurs aptitudes intellectuelles et voulant mourir avant de sombrer davantage, mais que l’on jugerait alors avoir une insuffisance de discernement pour que leur demande soit jugée juridiquement recevable. Là on est dans l’entre deux avec une demande d’euthanasie qui serait exprimée par anticipation.


    • Aristide Aristide 25 mai 12:21

      @Fergus

      Nombre de militants de l’ADMD seraient d’ailleurs d’ores et déjà volontaires pour assurer ce service.

      Vous en êtes ?
      Confier ce « service » sous la simple condition d’être membre d’une association ???? 

      Pour ce qui est des amendements, un député dont Ruffin a soutenu la proposition a proposé que dans les conditions d’accès à l’aide à mourir soit ajouter « que la personne a eu accès aux soins palliatifs ». On comprend que cet amendement qui obligerait l’Etat, à mettre la priorité dans la mise en place de centre de soins palliatifs pour la moitié des personnes qui n’y ont pas accès, a été rejeté !!! C’est moins cher, et c’est tellement humain ....


  • Fergus Fergus 24 mai 16:49

    Excellente nouvelle (Le Monde) :

    "Les députés ont approuvé, samedi 24 mai, la création d’un délit d’entrave à l’aide à mourir, caractérisé par le « fait d’empêcher ou de tenter d’empêcher » de « pratiquer ou de s’informer » sur ce sujet, tout en renforçant la peine encourue. (...).

    Ce délit sera constitué en cas de perturbation de « l’accès  » aux lieux où est pratiquée l’aide à mourir, « en exerçant des pressions morales ou psychologiques », « en formulant des menaces ou en se livrant à tout acte d’intimidation » à l’égard des patients ou des professionnels de santé. Il est similaire au délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse (IVG).

    Les députés ont également alourdi la peine prévue, qu’ils ont portée à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende, pour la calquer sur celle concernant l’IVG. L’article, [a été ] adopté par 84 voix contre 49."


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