vendredi 26 mars 2010 - par Bruno de Larivière

L’insomniaque est un obèse qui s’ignore !

En se limitant à une énumération des causes de l’insomnie, le risque est fort est de tomber dans une question - réponse stérile : à chaque problème, une solution ? L’insomnie est d’abord un symptôme...

Les Français dorment mal. Des millions d’entre eux se plaignent d’insomnies régulières et répétées. Il y a un peu plus d’un an, Geographedumonde s’est penché sur ce problème de santé publique mieux connu grâce à l’Institut national du sommeil et de la vigilance (Insv). J’ai essayé alors d’isoler le symptôme, au lieu d’insister sur quelques causes certes incontestables : la sédentarité, l’abus d’écrans, ou la consommation d’excitants... Si l’on estime que l’insomnie coûte cher à la collectivité, il faut admettre que la variété des situations empêche d’envisager des solutions toutes prêtes. Comme s’il existait quelque part un remède caché jusque là, une lotion remisée dans une armoire de grand-mère capable de guérir des millions de malades. Au lieu de replacer ce mal français dans un contexte plus général, la presse suggère que les dérangés du sommeil vivraient précisément en France, et non ailleurs. Je ne reprendrai pas ici l’ensemble de mon argumentaire précédent [Ne pas confondre insomnies et inepties]. 

Que révèle le nombre des insomniaques, si ce n’est l’âge moyen de la population ? L’espérance de vie s’accroît en effet, alors que la qualité du sommeil tend à se détériorer. Les activités de la journée peuvent déborder sur la soirée et perturber l’endormissement, voire même provoquer un réveil précoce. Mais le stress professionnel ne date pas d’hier. En revanche, les temps de trajet augmentent régulièrement, et grignotent le temps libre, réduisant parfois à néant les fins d’après-midi. Plus on passe de temps dans les transports, moins il en reste pour le coup de feu de la fin d’après-midi : enfants à prendre en charge, courses éventuelles, travaux ménagers divers, préparation du repas, etc. Bizarrement, ce rythme trépidant de la fin de journée ne trouve pas grâce aux yeux des observateurs. Ceux-ci préfèrent les causalités directes. Qui jouit de plaisirs frelatés en subit les conséquences. L’alcool, le tabac et le café stimulent effectivement le travailleur fatigué. La télévision et l’ordinateur complètent incontestablement le tableau. J’aurai dû ajouter les facteurs psychologiques : les statistiques sur la dépression parlent d’elles-mêmes [source]. 

Agnès Santi a repris il y a quelques jours son cheval de bataille, c’est-à-dire le raccourcissement des nuits, évaluée à sept heures en moyenne pendant la semaine (données Invs) : une heure et demi de moins qu’en 1960. Cette fois les agresseurs extérieurs n’occupent le devant de la scène que pour introduire les réponses, comme la contre-guérilla répond à la guérilla. Le lecteur suit alors une démarche par élucidation, à l’imitation du généraliste établissant son diagnostic. Le malade supposé se piquant de médecine remplace grâce au Monde son médecin traitant. A l’heure de l’automédication, chacun possède le recul nécessaire, cela va sans dire. Argan a trouvé meilleure méthode, en voulant marier sa fille à un homme de l’art.

« ARGAN.- Ma raison est, que me voyant infirme, et malade comme je suis, je veux me faire un gendre, et des alliés médecins, afin de m’appuyer de bons secours contre ma maladie, d’avoir dans ma famille les sources des remèdes qui me sont nécessaires, et d’être à même des consultations, et des ordonnances. /TOINETTE.- Hé bien, voilà dire une raison, et il y a plaisir à se répondre doucement les uns aux autres. Mais, Monsieur, mettez la main à la conscience. Est-ce que vous êtes malade ? / ARGAN.- Comment, coquine, si je suis malade ? si je suis malade, impudente ? / TOINETTE.- Hé bien oui, Monsieur, vous êtes malade, n’ayons point de querelle là-dessus. Oui, vous êtes fort malade, j’en demeure d’accord, et plus malade que vous ne pensez ; voilà qui est fait. Mais votre fille doit épouser un mari pour elle ; et n’étant point malade, il n’est pas nécessaire de lui donner un médecin. /ARGAN.- C’est pour moi que je lui donne ce médecin ; et une fille de bon naturel doit être ravie d’épouser ce qui est utile à la santé de son père. » [Le Malade imaginaire / Acte I Scène V]

On commencera d’abord (première étape) par s’interroger : est-ce que je ne dors pas bien ? Une fois isolé le mal insidieux, on pourra « identifier les causes de l’insomnie, souvent multifactorielle  » (deuxième étape). La journaliste se permet une parenthèse à mi-chemin. Méfions-nous des sédatifs. Il font dormir, mais perturbent les cycles du sommeil. Il me semblait que des personnes avalent ce genre de médicament justement pour se prémunir des insomnies ? Joël Paquereau, président de l’Invs sollicité par Pascale Santi recommande plutôt de tenir un livret du sommeil. A chaque fois qu’un insomniaque ne réussit pas à s’endormir, il doit consigner par écrit la durée de son insomnie. Pour en relever la fin, on suppose que le conjoint devra rester bien éveillé. Comment feront les célibataires ?

Troisième étape, enfin, le malade consulte un spécialiste. Le président de l’Invs dirige justement le centre du sommeil à Poitiers. L’article s’achève donc sur une batterie de conseils pratiques (problème complexe / solutions simples) réunis par Pascale Santi auprès d’une psychiatre présidente du réseau Morphée. Adieux extravagance et polissonneries. « Il faut lutter contre les mauvaises habitudes, comme par exemple regarder la télévision ou écouter la radio au lit avec un plateau-repas ou un ordinateur sur les genoux. [...] Le temps passé au lit doit être consacré au sommeil. Le lit doit être le lieu pour dormir et la chambre doit garder ce côté intime, protecteur. [...] Il faut oublier de penser à son sommeil, car souvent les personnes s’inquiètent de ne pas s’endormir, et vouloir dormir peut être un stimulant pour maintenir l’éveil.  »

Cette ultime observation implique un effort surhumain : ne penser à rien de particulier à l’heure du coucher. J’admets toutefois que les sujets d’actualité ouvrant sur le néant ne manquent pas en France. En tant qu’enseignant, je m’insurge en tout cas contre la conclusion de Joël Paquereau. « Comme pour la nutrition, il faut agir sur la prévention, au niveau scolaire. Peu d’enseignants s’intéressent à ce sujet. Pourtant, presque tous les enfants se disent fatigués le lundi matin. C’est pourquoi nous recommandons de garder le même rythme de réveil et de coucher le week-end que la semaine.  » Je me moque régulièrement de mes étudiants affalés sur leurs tables. Leurs réponses varient plus ou moins, mais le fond demeure : la vie commence après les cours ! Qu’y puis-je ?

Dans La Croix, [Quelles sont les conséquences de la diminution du temps de sommeil des Français ?] le président de l’Invs rompt avec les méthodes de la causalité. Jusqu’à preuve du contraire, un dîner copieux prive les convives de l’envie de dormir et repousse par voie de conséquence l’heure du coucher. Joël Paquereau passe outre, associant insomnie et obésité. Il faut frapper les esprits, manifestement : « Cette diminution du temps de sommeil a aussi un impact sur l’organisme. Par exemple, elle facilite la prise de poids, car lorsqu’on dort, il y a une inhibition de la sensation de faim. Aux États-Unis, des études ont montré que le surpoids est en partie lié à ce phénomène. Des problèmes de régulation métabolique peuvent aussi se déclarer : le taux de sucre dans le sang augmente. » Si le sort s’en mêle, un diabète peut même se déclarer. Contre toute évidence, le spécialiste inverse les facteurs. Ce ne serait plus la corpulence qui rejaillirait sur le sommeil, mais l’inverse. Ainsi, le proverbe populaire s’applique, et le praticien se contente d’une paraphrase. Qui dort dîne. La suite s’impose. Qui dort peu mange trop. Concernant les troubles de l’alimentation, parmi lesquels se range l’obésité, on dénombre plusieurs causes, mais pas un seul remède miracle...

PS./ Geographedumonde sur l’obésité : Cocooning et engraissement, et Si tu es pauvre, fais du sport…

Incrustation : le sommeil chez Dali.

 




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