Le ticket choc

Dépose minute
Je vais vous conter les désagréments rencontrés par une personne mal voyante avec un réseau de transport urbain. Naturellement, il convient de ne pas citer la ville afin de ne pas faire croire à un complot de ma part. Ceci aurait très bien pu se passer ailleurs.
Madame J, appelons là ainsi pour la préserver d’éventuelles rétorsions toujours possibles dans cet univers mesquin ; Madame J donc a besoin de se rendre en bout d’une ligne fort mal desservie afin de rendre visite à son époux, résident dans une maison de retraite. Un seul bus toutes les heures et pour arranger les usagers, jamais les samedis, dimanches et jours fériés, comme il se doit dans un service à vocation publique.
Par deux fois, elle a rencontré des soucis avec cette compagnie. L’arrêt qu’elle emprunte, non loin de chez elle étant facultatif, du fait de son handicap, elle n’avait pas fait signe au chauffeur de s’arrêter car elle n’avait pu lire le numéro de la ligne ; information totalement visuelle au demeurant. Elle fut bonne pour un retour chez elle et ce jour-là, son mari n’eut pas de visite. Un détail sur le plan comptable, un grosse contrariété pour ces deux personnes. Tout dépend de quel point de vue on se place.
La seconde fois, le chauffeur lui joua un fort vilain tour. L’homme est sans doute un vacataire selon des employés de la maison. Cette ligne, si peu fréquentée, ne mérite pas d’y affecter des titulaires. Il se murmure sans que cela puisse être vérifié qu’elle serait sous-traitée ; la loi du secret, sans doute ! Comme elle était seule à bord et que notre homme semblait pressé, il la dépota, comment dire autrement, sur un rond-point avant que d’emprunter une voie express, hors circuit naturellement afin de pouvoir rentrer au plus vite au dépôt. Une urgence sans doute et une indélicatesse rare aux conséquences qui auraient pu être dramatiques.
Voilà donc madame J, mal voyante, faut-il vous le rappeler, coincée entre zone commerciale et une route très passante, à un rond-point, particulièrement dangereux. C’est donc presque les yeux fermés et sans savoir vraiment où elle se trouvait qu’elle traversa ce carrefour giratoire desservant pas moins de six routes. Tout se passa bien, heureusement pour elle, tandis que notre lascar filait bon train, sans doute vers un rendez-vous secret.
Ensuite, la pauvre, par un temps forcément brumeux, dut parcourir plus de deux kilomètres pour se rendre sur la grande route suivante. Elle se rendit dans un bar afin qu’on lui appelle un taxi, l’usage du téléphone lui étant impossible. Le cafetier, après avoir vainement cherché à joindre un taxi, s’enquit de son problème. Il lui expliqua alors que non loin de son établissement était un arrêt d’une ligne qui la conduirait à proximité de chez elle. Ce qu’elle fit grâce aux explications de cet aimable commerçant.
Enfin rentrée chez elle, elle était particulièrement courroucée par son aventure. C’est ainsi que le lendemain, elle se rendit au centre de la TAO en centre ville (mince, j’ai dit le nom de cette grande compagnie au service de tous). Elle y déposa une plainte en bonne et due forme, relatant son aventure. N’ayant qu’une relative confiance en la maison, je double cette récrimination écrite d’un billet pour rendre public cette affaire.
J’ajouterai que cette dame a effectué une demande afin de bénéficier du transport individualisé réservé aux personnes à mobilité réduite : le TPMR. La mise en place du service suppose un délai d’attente d’environ deux mois. À la mobilité réduite, ces personnes doivent de plus disposer d’une patience élargie. Pareille situation devrait accélérer au moins la seconde demande à défaut de sanctionner l’étrange chauffeur.
Voilà vous savez tout des coulisses du transport urbain en cette cité exemplaire quand il s’aventure à la grande périphérie de la métropole. Il convient d’ajouter que ceci se passe dans une ville qui n’a pas eu le bonheur d’être desservie par le tramway, car nos joyeux responsables ne pensent qu’à la grande ville qu’il convient de ne pas nommer.
Urbainement leur.