Longue vie à GlaxoSmithKline !
Le tristement célèbre Docteur Mengele est décédé en 1979 au Brésil. Cependant, après avoir quitté ce qui restait de l’Allemagne nazie, il avait longtemps vécu en Argentine, où il avait poursuivi ses expériences sur des cobayes humains. Mengele disparu, d’autres semblent avoir pris la relève.
Les dernières nouvelles 1
GlaxoSmithKline vient d’être condamnée en Argentine pour avoir testé illégalement un vaccin, le Synflorix (contre la pneumonie), sur 14.000 bébés.
Je précise : le test n’était pas illégal en soi. Ce qui n’allait pas, c’est la façon dont il a été mené. Le laboratoire n’a pas correctement informé les parents des bébés des risques encourus. Les parents ont donc donné leur accord, qui n’avait rien d’un consentement éclairé.
14 bébés sont morts des suites du vaccin. Les mêmes pratiques ont été appliquées au Panama et en Colombie.
La justice argentine a jugé l’affaire et condamné GlaxoSmithKline à verser 177.000 euros. Une paille : cela représente un peu plus de 12.600 euros par bébé décédé, ou encore 12,60 euros par « cobaye ».
GSK s’en sort à très bon compte, mais cela ne lui suffit pas : l’entreprise fait appel de la décision.
Nous retiendrons surtout l’exploitation sordide d’une population défavorisée. Les médecins (recrutés par GSK) profitaient de l’illettrisme des parents pour les inciter et les forcer à inscrire leurs enfants pour l’essai clinique.
Tester sur les pauvres
Ce type de pratique hautement condamnable n’est pas nouveau 2 : en 2001, Pfizer est sous le feu des projecteurs pour un affaire similaire. L’entreprise a testé son Trovan sur des enfants nigérians, dont 5 sont décédés. Le scandale qui aurait commencé à sourdre dès 2000, aurait inspiré à John Le Carré son roman, The Constant Gardener (en partie au moins).
Le principe est de jouer sur le très fable niveau de développement du pays :
- Pauvres, les parents / les patients voient dans le test une source de revenus (les patients sont en effet indemnisés) ;
- Illettrés, ils sont incapable de lire les protocoles d’accord et signent le formulaire sans en connaître le contenu ;
- Non-diplômés, ils font confiance aux médecins qui leur conseillent de participer au test, médecins qui reçoivent un salaire du laboratoire pour recruter des patients ;
- Pauvres (encore et toujours), ils n’ont pas les moyens d’attaquer le laboratoire en justice en cas de problème.
A côté de cela, il faut prendre en compte la qualité des structures étatiques, qui sont parfois plus occupées à se faire remettre des valises de billets, de la presse locale et un taux de mortalité parfois élevé, qui permet de ne pas toujours de soupçonner le médicament. Un noir de plus ou de moins, qui verrait la différence ?
Heureusement pour les patients, et malheureusement pour les laboratoires, ces malversations ne passent plus aussi inaperçues, notamment parce que les progrès de la médecine ont permis de réduire le taux de mortalité infantile dans les pays en question. Dès lors, 14 bébés qui meurent, après avoir pris leur médicament, ça se voit.
Pour note, plus de 10 ans après, Pfizer n’a toujours pas soldé l’affaire du Trovan.
On aurait pu penser que le scandale enverrait un signal fort à l’ensemble de l’industrie pharmaceutique. Mais l’affaire GSK nous prouve le contraire. En fait, je suis persuadé que de nombreux laboratoires ont une politique du « jusqu’ici ça va » : ils continuent de tester des médicaments sur des cobayes humains qui ne sont pas au courant de ce qu’ils risquent. Il n’y a que quand les choses tournent mal que le scandale éclate.
Presse outrée ! Parents brisés ! Patients martyrisés ! mais Glaxo récompensée !
Dans un tel contexte contexte, on a du mal à comprendre la nouvelle suivante : ce 1er janvier 2012, la reine d’Angleterre a anobli Andrew Witty, le directeur général de GSK. 3 Est-ce un ultime avatar de la guerre des Malouines ?
D’aucuns argueront que les faits reprochés à GSK datent de 2007, époque à laquelle M. Witty n’était « que » président pour les produits pharmaceutiques en Europe (948.000 livres de salaire annuel, excusez du peu). 4 Il est vrai que le PDG à l’époque était un Français (par définition le mal absolu), Jean-Pierre Garnier, et que le seul fait qu’un anglais prennent la place occupée par un français est en soi un service rendu à la couronne, que l’on parle de l’industrie pharmaceutique, du Québec ou de la couche d’Aliénor d’Aquitaine.
Mais quelque soit la façon dont on tournera les choses, aujourd’hui Andrew Witty est GSK. Et ce salaire mirobolant avait bien été rendu possible par les tests en Argentine, d’autant qu’à ce niveau de responsabilité « Sire » Witty ne pouvait ignorer ce qui se passait. A travers lui, c’est le laboratoire qui est mis à l’honneur.
Quel message est envoyé là ? Tuez des bébés, vous serez récompensés ? Pas les bébés phoques, ça fait des années que le Canada (qui partage la même reine que le Royaume-Uni) le fait sans scrupule, mais des bébés humains (ou presque humains comme l’aurait dit ce médecin que je citais en introduction).
Presse française
J’ai été surpris de voir la première information, celle sur l’Argentine, reprise dans la presse française. Celle-ci est pourtant frappée d’un étrange mutisme sur des scandales comme l’Avandia ou le Risperdal, et préfère se focaliser sur une poignée de simplettes qui ont cru qu’un bonnet supplémentaire allait leur changer la vie en les rendant aussi attirantes qu’une rondelle de salami.
J’ai d’abord pensé que c’était culturel. Les argentins étant des gens sympathiques qui mangent des tortillas, portent des ponchos, ont le Machu Pichu, parlent l’italien et battent l’Allemagne en coupe du monde de football, on leur devait bien ça. Certes, les tortillas, c’est le Mexique, le Machu Pichu, c’est le Pérou et l’Argentine (où l’on parle espagnol) a battu la France au rugby en 2007, mais le travail des journalistes n’est plus d’informer les gens, mais seulement de leur donner de l’information.
En y regardant de plus près, c’est exactement ce qu’ils ont fait. Ils ont donné une information, prise telle quelle, dans se poser de questions. Prenons l’article, n’importe lequel, tous sont identiques : il s’agit de la dépêche AFP. S’il faut une source, prenons un grand quotidien national. 5
1° Le nom du laboratoire n’apparaît pas dans le titre ;
2° Le nom du produit incriminé n’apparaît pas ;
3° Il n’est fait aucune mention des 14 bébés décédés.
Des sources alternatives (blogs, sites spécialisés et autres), donnent heureusement une information de bien meilleure qualité.
Au-delà de ça, je n’ai vu aucune mention à l’anoblissement de Sire Witty. Quel dommage à l’heure où l’on promet de faire le ménage dans les conflits d’intérêt entre le monde politique et le monde pharmaceutique !
A quand un grand ménage chez les journalistes ?
1. GSK lab fined over vaccine tests that killed 14 babies, Buenos Aires Herald, 3 Janvier 2012
2. Trovan, Wikipedia
3. Glaxo's Andrew Witty gets New Year knighthood, Louisa Peacock, The Telegraph, 31 Décembre 2011
4. Andrew Witty, Wikipedia