lundi 30 mars 2015 - par Boogie_Five

Nouveau-né ou encore à naître ?

  Dans les pays occidentaux, l’évènement de la naissance bénéficie d’une moralité universelle indéfectible, et bien des individus, dont un certain nombre de jeunes femmes il est vrai, sont ébaubis à la vue de petits âgés d’un ou deux ans. Après la petite enfance, ce regard commun change jusqu’à devenir assez parcimonieux et même parfois inexistant, comme si la naissance était justement adorée parce qu’elle met en scène une figure impersonnelle, dépourvue d’identité et de singularité, ressemblant à tous : un nouveau-né est mignon, d’où qu’il vienne ; sa relation avec les autres est égale et ceux qui tiennent un rôle autour de lui sont presque interchangeables. Les adultes sont dans l’ensemble peu aimés et la distance s’allonge irrémédiablement entre les individus, la solitude guette et risque d’envahir le quotidien juste avant la mort. Comment expliquer un tel tête-à-queue dans les comportements ? Si ce n’est l’angoisse du temps qui passe ou l’euphorie d’un penchant sexuel inavouable ? N’y aurait-il pas d’autres explications moins psychologisantes ?

  Le nouveau-né représente la virginité, un potentiel de la liberté encore au stade de l’impuissance. C’est parce qu’il n’est pas en mesure de comprendre les phénomènes qui se présentent à lui que les adultes peuvent le manipuler à leur souhait et lui transmettre des illusions qui n’auraient pas de prise sur un adulte. Les enfants sont hypersensibles aux illusions y compris celles qui sont matérialisées, c’est là leur principale caractéristique, avec celle d’être joueur par exemple.

  L’individu, au cours de sa vie, entretient un lien hypnotique avec ses propres illusions passées sous forme de nostalgie ou de réification en les reproduisant lui-même pour son propre usage : j’avais une télévision quand j’étais enfant et j’en achète une à présent car sans elle, je perds une illusion et de plus je ressens une absence désagréable. Quelque part, l’enfant est toujours là dans le corps de l’adulte et les illusions, la perception vis-à-vis d’un objet ou d’un phénomène entretient des correspondances avec des sensations vécues autrefois. Les émetteurs et les récepteurs neurologiques peuvent se modifier avec le temps, mais il est toujours possible de faire le raccordement en prenant plus de temps et situer les strates émotionnelles selon tel ou tel type de phénomène. Mais là justement nous sommes arrivés à une véritable conscience d’adulte, qui se rend compte de la prise de l’illusion sur sa propre conscience et essaye de se comprendre lui-même, et parfois cette découverte vient en projetant soi-même ses propres illusions sur les enfants qu’il essaye d’éduquer. D’autre part, l’illusion peut-être si puissante qu’elle se fourvoie en perversion et bloque l’introspection : le sujet peut croire que l’illusion elle-même est maîtrisable alors qu’il ne fait que produire une extension de cette même illusion. Cela rejoint tout le débat sur l’altérité. Un cheminement dans les rêves les plus fous commencent et souvent au détriment des enfants il faut bien le dire. Il est préférable d’entretenir une certaine distance et de ne pas trop semer la confusion entre les rôles familiaux des uns et des autres, notamment parmi les liaisons incestueuses.

  L’enfant abolit la distance, là réside sa principale faiblesse qui l’empêche de se protéger et peut entraîner les autres à commettre des actes dangereux. Cherchant à tout découvrir et croyant à tout ce qu’il voit, l’enfant est capable de se suicider sans faire de tentatives et sans trop s’interroger sur la valeur de sa vie. Le paradoxe de l’enfant est qu’il ne sera jamais né, ce n’est qu’une forme de passage fuyant et insondable qui absorbe tout ce qui l’entoure. La société encourage ce caractère enfantin, veut des entrepreneurs qui bougent partout et découvrent plein de nouvelles choses. Mais les enfants grandissent vite et deviennent moins joueurs, s’assagissent. Infantilisation et manipulation fonctionnent ensemble et sont faits de la même matière : l’auto-illusion.

  Voilà aussi pourquoi les adultes sont béats devant des tout petits, cela leur fait rêver de tout recommencer, être vierge et innocent de tout. Comme ça, ils n’ont rien à se reprocher, ils espèrent prolonger leurs illusions, même si c’est au détriment des autres. C’est pour cette raison que le contrôle des naissances ne devrait pas être seulement quantitatif, car les enfants sont souvent pris en otage dans des situations d’adultes chaotiques faites de violences, de mensonges et de privations. Tant qu’il ne sera pas compris que l’encadrement de la parentalité doit être aussi important que celui des enfants – avec contrôle sanitaire, policier et judiciaire s’il le faut – les incestes, les violences et les illusions mortifères ne seront pas prêts de diminuer. C’est peut-être mon illusion de croire qu’à l’avenir la part inconsciente du cerveau humain puisse être maîtrisée. Peu importe, ce rêve d’enfant paraissant anodin est aussi ma raison de vivre.




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