mercredi 5 décembre 2012 - par Pharmafox

Pfizer affronte le passif de Wyeth

Pfizer est citée dans une série de nouvelles dans lesquelles l’image du laboratoire est entachée : marketing illégal, mensonges, délit d’initiés… Autant de malversations qui trouvent leur source chez Wyeth, filiale rachetée en 2009. Cela dit Pfizer n’a besoin de personne pour sortir des sentiers légaux.

Du marketing illégal

Commençons par le plus condamnable, au moins sur le plan moral.

Depuis plus de deux ans, Wyeth est poursuivi pour le marketing illégal du Rapamune. Le Rapamune (rapamycine) est un immunosuppresseur, produit que l’on donne après une transplantation rénale pour éviter le rejet de la greffe.

L’utilisation du Rapamune doit être conjointe à celle de cyclosporine et de corticostéroïdes. Après 2 à 4 mois, la cyclosporine doit être arrêtée pour éviter un empoisonnement des reins. Or, certains groupes de patients ont un système immunitaire plus résistant, et des études complémentaires étaient nécessaires avant de savoir si on peut leur prescrire cette thérapie. C’est notamment le cas des patients afro-américains.

Or, sans avoir jamais fait d’essai clinique adapté, Wyeth a fait une promotion ciblée de son Rapamune pour les patients afro-américains ! Wyeth a en particulier démarché deux hôpitaux dont la population de patients est essentiellement constituée d’afro-américains. De plus, deux lanceurs d’alerte, alors représentants chez Wyeth, ont dénoncé que leurs dirigeants les incitaient à vendre le produit pour les greffes cardiaques, pulmonaires, hépatiques, pancréatiques… Autant d’indications non autorisées ! Et les médecins qui acceptaient de prescrire le produit étaient grassement récompensés. (1) Pire, la FDA avait déjà admonesté Wyeth pour ces pratiques, à deux reprises ! (2)

L’affaire est si choquante que même le congrès a diligenté une enquête. (3)

La cause était perdue. Pfizer a donc accepté de régler le litige à l’amiable pour 491 millions de dollars. (2) Détail non-négligeable, le laboratoire reconnait sa culpabilité. (4) Ce n’est pas anodin pour deux raisons :
•  Dans la plupart des cas, le laboratoire ne reconnait aucune culpabilité, ce qui revient à enterrer l’affaire ;
•  Cela ouvre laisse la porte ouverte pour contester le prix payé par Pfizer pour racheter Wyeth. Pfizer pourra attaquer les anciens dirigeants de Wyeth pour tromperie et exiger des anciens actionnaires de rendre une partie du pécule obtenu. Pas folle la guèpe.

Le Rapamune n’est pas le seul produit pour lequel Wyeth était poursuivie : un premier accord vient d’être signé pour le marketing illégal du Protonix (55 millions de dollars), et Pfizer cherche à clore les autres poursuites liées à ce produit. (4)


Des mensonges servis aux actionnaires (5)

Fin des années 2000, Wyeth s’inquiète de son avenir. En effet, son médicament phare, l’Effexor, doit tomber dans le domaine public en 2010 et il lui faut un remplaçant.

Le principe actif de l’Effexor s’appelle la venlafaxine. C’est un antidépresseur qui agit sur les récepteurs de sérotonine et de noradrénaline Dans le corps humain, la venlafaxine se transforme en différents produits, dont le principal s’appelle la desvenlafaxine et est beaucoup plus puissant. D’où l’idée : pourquoi ne pas vendre directement la desvenlafaxine, puisqu’elle est plus puissante ? Dès lors, Wyeth multiplie les essais cliniques pour démontrer que la desvenlafaxine (PristiQ), c’est mieux que la venlafaxine.

Le problème, c’est que la plupart des médecins ne sont pas dupes et considèrent que c’est du pareil au même, puisque la venlafaxine devient de toute façon desvenlafaxine. En revanche, le PristiQ est beaucoup plus cher que l’Effexor, dont le prix s’effondrera avec l’arrivée de versions génériques.

Le problème est que beaucoup d’argent a déjà été dépensé pour le PristiQ, et qu’il convient de rentrer un peu dans ses frais. D’ailleurs, les actionnaires grondent. On cherche alors d’autres applications que la dépression ou l’anxiété. L’idéal, ce serait de proposer un produit nouveau sur un marché où ses concurrents de la même famille sont absents. Ce sera les bouffées de chaleur liées à la ménopause. Pour critiquer une stratégie similaire sur le Cymbalta d’Eli Lilly, cousin de l’Effexor, le journaliste d’investigation Philip Dawdy parlera de « couteau suisse ». (6)

Les dirigeants de Wyeth peuvent rassurer leurs actionnaires : tout ira bien.

Ou pas.

En effet, la FDA ne veut pas du PristiQ pour traiter les bouffées de chaleur : les faibles bénéfices ne justifient pas la prise de risque (risques cardiaques et risques hépatiques).

Cette fois, les actionnaires sont en colère : on les a maintenus dans l’ignorance, on leur a menti. Ils portent plainte. Finalement, Pfizer a mis fin à la procédure à l’amiable, moyennant un chèque de 67,5 millions de dollars.

Toujours est-il que ce n’est pas moi qui pleurerait sur les actionnaires, en l’occurrence un fonds de pension. Si seulement cette somme était prélevée sur le bénéfice net ! Non, ce seront les salariés et les patients qui paieront la note, pour les imprécisions des dirigeants que ces mêmes actionnaires avaient mis en place.


Un délit d’initié

Sur la prochaine affaire, Wyeth est surtout à percevoir comme un dommage collatéral. Le laboratoire ne s’est rendu coupable d’aucune malversation, mais est cité dans la presse suite aux indélicatesses d’un expert, ce qui rejailli toujours négativement sur le groupe.

L’affreux de service est un éminent professeur de neurologie de l’université du Michigan, Sil Gilman. Wyeth et son partenaire Elan lui ont confié la gestion d’un essai clinique sur un produit contre la maladie d’Alzheimer, le Bapineuzumab (à mes souhaits). Alzheimer est un graal pour l’industrie pharmaceutique, car, comme je l’avais déjà écrit, (7) le premier qui trouve un vrai traitement sera en position de monopole pour plusieurs années sur ce marché. La conséquence logique est que chaque laboratoire qui a un candidat-médicament prometteur est surveillé de près par les spéculateurs financiers, qui n’hésitent pas à parier de grosses sommes sur la réussite des essais cliniques.

Or, l’essai confié au docteur Gilman est un échec. Un gros échec : en effet, le produit favorise les œdèmes vasogéniques. Les actions Elan décrochent de 40%, celles de Wyeth de 13%. (8) la recherche se poursuit, mais les investisseurs n’y croient plus.

Pour autant, tout le monde n’est pas perdant. Un fonds d’investissement, SAC Capital a en effet empoché 276 millions de dollars au passage. Comment ? Selon les enquêteurs, en rencontrant discrètement le dr. Gilman, qui travaillait avec le fonds comme expert médical. Le dr. Gilman aurait alors révélé que l’essai a raté. SAC Capital se dépêche de revendre ses actions Wyeth et/ou Elan. L’échec est ensuite rendu public, le cours s’effondre, mais SAC a limité ses pertes (l’article parle de « pertes financières évitées »). Il est même possible que le délit aille plus loin encore : sachant ce qui va se passer, SAC vend des actions qu’elle n’a pas, attend que le cours s’écroule et les achète après-coup à un prix bien inférieur (« bénéfices illégaux »). C’est ce que cherche à établir l’enquête. (9)

Pour note, les recherches sur le Bapineuzumab ont été définitivement abandonnées l’été dernier, après de nouveaux échecs. (10)


Dans les pas de J&J

Il ne faudrait pas croire pourtant que tous les problèmes de Pfizer lui viennent de Wyeth. En effet, Pfizer est tout à fait capable de malverser toute seule, comme je l’avais écrit dans un autre article sur Pfizer. (11)

J’avais également décrit comment J&J avait réussit à épargner à son directeur général de témoigner devant un juge, puis avait fait sauté le procès. (12)

Et bien voici que Pfizer en fait autant. Presque à l’identique.

Pfizer fait place à de nombreuses plaintes à cause de son Chantix (ou Champix en France) : le médicament agit sur le cerveau, et on peut facilement imaginer les effets secondaires, en particulier les envies suicidaires.

C’est ainsi qu’un homme s’est suicidé il y a 5 ans. Sa famille a porté plainte contre Pfizer qui n’avait pas prévenu les patients des risques. En effet, en connaissance de cause, il aurait été plus facile de surveiller les signes de dépression. Ce sont environs 2600 cas similaires qui attendent d’être jugés aux Etats-Unis.

L’accusation appelait donc à témoigner le directeur général de Pfizer, Ian Read, ainsi que deux autres cadres. La cour était prête à accorder la demande. Les avocats de Pfizer y opposaient l’existence de témoignages vidéo, et, partant, un abus de pouvoir. (13)

Au final, Pfizer a préféré régler le litige à l’amiable…. (14) Et doit tout recommencer dans le cadre d’une autre plainte. (15)


1 : CIVIL ACTION NO : 05-6609, United States District Court – Eastern District of Pennsylvania, 24 Mai 2012

2 : Pfizer Sets Aside $491M For Rapamune Marketing, Ed Silverman, Pharmalot, 1er Novembre 2012

3 : Congress Probes Wyeth For Allegedly Targeting Blacks, Ed Silverman, Pharmalot, 11 Juin 2010

4 : Pfizer to Plead Guilty in Rapamune Settlement, Peter Loftus, NASDAQ, 27 Novembre 2012

5 : Hot Flash ! Pfizer Pays $67.5M To Settle Pristiq Suits, Ed Silverman, Pharmalot, 13 Novembre 2012

6 : Cymbalta, The Swiss Army Knife Of Drugs, Philip Dawdy, Furious Seasons, 30 Juin 2012

7 : Ce que vous avez manqué cet été : AstraZeneca, Eli Lilly, Johnson & Johnson, Pharmafox, AgoraVox, 7 Septembre 2012

8 : Elan, Wyeth tumble on Alzheimer's study, Val Brickates Kennedy, Market Watch, 30 Juillet 2012

9 : Délit d'initiés sans précédent de 276 millions de dollars aux Etats-Unis, Romandie News, 20 Novembre 2012

10 : Bapi Is A Bust : Pfizer & J&J Alzheimer Med Fails, Ed Silverman, Pharmalot, 7 Août 2012

11 : Pfizer : au dessus des lois ?, Pharmafox, AgoraVox, 30 Juillet 2011

12 : Pendant ce temps chez J&J…, Pharmafox, AgoraVox, 10 Octobre 2012

13 : Pfizer Tries To Keep CEO From Chantix Trial, Ed Silverman, Pharmalot, 12 Octobre 2012

14 : Pfizer Settles First Case Over Chantix And Suicide, Ed Silverman, Pharmalot, 18 Octobre 2012

15 : Pfizer CEO Must Testify in Chantix Trial, Lawyer Says, Jef Feeley et Margaret Cronin Fisk, Bloomberg, 16 Novembre 2012
 




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