Pourquoi une journée « hôpital mort » le 24 janvier prochain ?
Dans un peu moins d’un mois, précisément le 24 janvier, l’ensemble des organisations syndicales à l’hôpital ont appelé à une journée « hôpital mort ». Alors que les syndicats d’urgentistes et d’anesthésistes en grève ont menacé en début de semaine de durcir leur mouvement via une grève des soins non urgents le 17 janvier, il apparaît utile de revenir sur le contexte de l’hôpital qui de l’extérieur n’est pas toujours explicite.
Pour exposer les contradictions qui secouent l’hôpital,
le mieux est de se référer à une lettre
de mission en date du 12 octobre 2007 de Nicolas Sarkozy par laquelle il donnait
mission à Gérard Larcher consistant à présider une commission de concertation
sur le thème de l’hôpital en vue d’un « réexamen approfondi de ses missions avec un double objectif de qualité
des soins et d’optimisation des moyens ».
S’agit-il d’une réelle
concertation ou d’une démarche participative dans sa forme mais dont le fond
serait déjà largement tracé d’avance ? A la lecture de la lettre de
mission du président de la République, on s’aperçoit que les axes, sinon les
objectifs, sont clairement définis et qu’en tout état de cause le double
objectif susmentionné paraît largement contradictoire :
- « Les
complémentarités avec tous les acteurs de l’offre de soins doivent être renforcées »
notamment « avec les professionnels de santé libéraux,
pour désengorger les urgences de l’hôpital. »
Commentaire : Il s’agit là d’un véritable défi pour
l’organisation des soins en France qui devrait être organisée autour du
patient. En effet, comment faire en sorte que l’hôpital sorte de sa logique
« hospitalo-centriste » ? Comment faire en sorte que la médecine
de ville accepte de mieux collaborer aux missions de service public que
constitue en réalité la prise en charge des soins ? On peut se demander si
d’emblée la volonté courageuse ainsi affichée n’est pas tronquée par les
limites mêmes de la compétence de la mission et des travaux de la conférence qui
ne porte pas sur le seul hôpital. N’oublions pas que dans de nombreux endroits en France c’est, soit l’hôpital public qui, assurant les urgences, se trouve accueillir aux créneaux horaires les plus sensibles tous les patients qui relèveraient en toute logique d’une prise en charge plus légère, soit le médecin de campagne qui assure un sacerdoce car non seulement il est seul à exercer à plusieurs kilomètres à la ronde mais en plus l’hôpital est éloigné.
- « C’est en ayant, pour
un territoire donné, une appréhension globale des atouts de chacun des
établissements publics et privés que les soins doivent être organisés, et
certaines fonctions mutualisées. »
Commentaire : On comprend d’emblée que l’objectif principal
est fixé par la mutualisation des fonctions et donc des moyens, tant pour le
domaine public que privé. Toute la question pour les patients, lesquels ont
droit à un égal accès aux soins et à des soins de qualité, est de savoir si les préconisations se feront
de manière à maintenir un juste équilibre entre le secteur public et le secteur
privé. A défaut, le risque est grand que la restructuration de notre système
hospitalier ne favorise encore une fois les catégories de la population les
plus favorisées au détriment des autres ou les mêmes régions (quoique sur cet aspect les derniers investissements semblent s’orienter vers les régions les plus défavorisées, mais cela est loin de pouvoir rééquilibrer au niveau national les inégalités d’équipements).
- « Le
développement de l’hospitalisation à domicile et l’articulation entre
l’hôpital et la ville, seront dans les prochaines années des leviers
incontournables de la qualité des prises en charge. »
Commentaire : L’objectif est certes louable et correspond de toute
évidence à une modernisation de la prise en charge des pathologies compte tenu
de l’attente des patients qui ne souhaitent pas forcément rester à
l’hôpital (qui le souhaite vraiment ?). Cependant, en premier lieu, la
motivation de cet objectif clairement affichée dans la lettre de mission (« la diminution des durées moyennes
de séjour et l’accélération des cycles d’hospitalisation ») doit être
expliquée au grand public. Ces deux aspects de l’organisation hospitalière
s’explique à titre principal d’une part, dans les hôpitaux publics, par l’effet
de la rationalisation des coûts et d’autre part, dans les hôpitaux privés à but
lucratif, par la recherche de l’augmentation régulière des profits comme dans
toute entreprise. En second lieu, il faut également savoir que pour réaliser
cet objectif tout en garantissant une « qualité des soins », cela
nécessite des moyens et donc de l’argent. Or, la logique qui sous-tend cet
objectif est encore une fois de faire des économies sur les dépenses de
l’hôpital. Cela semble manifestement contradictoire.
- « L’amélioration
des prises en charge ne se fera pas sans une gouvernance réaffirmée. »
Commentaire : Cet objectif concerne a priori de toute
évidence le seul secteur public dans la mesure où l’éternelle question « y
a-t-il un pilote à l’hôpital ? » ne se pose pas de la même manière
pour les hôpitaux privés. La lecture de la lettre de mission le confirme
d’ailleurs et révèle les vrais objectifs de la mission à Gérard Larcher : « la restructuration de l’hospitalisation
publique, déjà engagée, devra être accélérée ». Seulement, on avance
là aussi sur des faux-semblants. On réaffirme d’un côté la « plus grande autonomie de gestion »
des directeurs, lesquels devront « être
responsabilisés sur leur
capacité à répondre aux besoins de la population d’un territoire » (et en
tant que directeur d’hôpital moi-même, je ne peux que la trouver légitime). On
oublie de dire d’un autre côté que depuis plus de dix ou quinze ans les
gouvernements successifs ont tous réaffirmé haut et fort à grands coups de textes
réglementaires cette « autonomie »
alors que dans le même temps, la réalité de l’organisation hospitalière, de la
tarification et du financement des établissements a conduit ceux-ci à perdre
toute autonomie et ce pour deux motifs faciles à comprendre : d’une part
les modalités d’autorisation des installations coûteuses et des activités par
discipline de plus en plus contraignantes et d’autre part l’amenuisement des
ressources propres en investissement des établissements les conduisant à devoir
emprunter (et donc à obtenir l’aval du ministère de la Santé via l’échelon
régional pour pouvoir emprunter). Cette situation conduit de manière inexorable
les hôpitaux publics à devoir être gérés comme les établissements dépendant de
l’Education nationale dont je ne suis pas certain qu’il s’agisse là du meilleur
exemple de bonne gestion !
- En matière de ressources humaines « faire émerger les conditions de
l’attractivité de l’hôpital » notamment « pour la réalisation de l’activité
privée à l’hôpital » et par « le développement de l’exercice mixte et les partenariats
public-privé ».
Commentaire : L’ambiguïté des propos frôle ici la provocation. En
tant qu’ancien directeur des ressources humaines, je peux répondre de suite que
pour être attractif, un employeur doit garantir à ses salariés des conditions tant financières qu’organisationnelles attrayantes. Or manifestement,
l’hôpital n’offre ni l’une ni l’autre. Et je ne vois pas comment cet objectif
sera réalisé dans un contexte où le personnel ne peut qu’accumuler des jours
RTT en s’entendant dire dans les négociations nationales actuelles que l’on
peut peut-être espérer en être indemnisé « partiellement ». Cela
veut-il dire que les personnels auraient travaillé gratuitement pour partie
de leur temps ? Je n’ose imaginer ce qu’il adviendrait si, au même moment,
tous les personnels hospitaliers qui ont accumulé des millions de jours
RTT écrivaient à leur employeur et demandaient soit le solde financier des ces
jours soit de partir en congés payés comme ils en auraient le droit ! Mais
ça serait la banqueroute ! On comprend mieux la farouche volonté du
ministre de la Santé de rassurer les personnels hospitaliers. Elle a ainsi réaffirmé fortement que les 700 millions d’euros qu’elle a prévu d’affecter au
paiement de ces heures supplémentaires étaient « disponibles, sanctuarisés ».
« C’est une somme vérifiable », insiste-t-elle pour « rassurer
les personnels ». Aurait-elle peur de l’impact d’une perte de confiance ?
Alors, oui, je décrypte mieux l’indication du président de la République qui
montre au président de la commission, comme le ferait un maître vis-à-vis à de
son élève, la résolution du problème de l’attractivité en développant « l’exercice mixte et les partenariats
public-privé ». Mais là encore, ce qui n’est pas écrit, et pour cause,
c’est en faveur de qui se fera ce développement. Or la défense du secteur public nécessite de l’argent public !
- « En
matière de recherche biomédicale (...) les centres hospitaliers et
universitaires » devront « se repositionner dans les domaines de l’enseignement et de la
recherche » pour autant « l’enseignement et la recherche ne pourront rester l’apanage des
CHU ».
Commentaire : Est-ce à dire que les CHU devront renoncer à leur rôle
de proximité, ce que nous appelons dans le jargon la bobologie mais qu’il faut
bien prendre en charge ? Les circonstances de la mort dans la
nuit de la Saint-Sylvestre d’un homme hémiplégique à son domicile à Brest
avec une heure et demi de délai pour que le médecin urgentiste puisse parvenir
sur les lieux risquent de compliquer sérieusement cet objectif.
Le
dossier de la conférence de presse en date du 21 décembre de la commission
Larcher, d’ailleurs disponible sur le site du ministère de la Santé, permet lui
aussi de décrypter ces contradictions. En effet, s’il met en avant que « l’existence
d’un service hospitalier public et privé de qualité constitue pour notre pays
un atout important sur le plan économique et social et un facteur d’attractivité »
bénéficiant d’une « grande confiance
de la part de la population », c’est aussitôt pour indiquer que ce « système est toutefois assez coûteux »,
que ceci s’explique par « l’organisation
de notre système de santé : une large couverture par l’assurance maladie, un
libre choix du patient, un cadre libéral de l’exercice de la médecine de ville,
ainsi que des normes exigeantes en matière de sécurité ». C’est aussi
pour indiquer que le nombre de lits d’hospitalisation en France ou la densité
médicale y sont plus élevés qu’ailleurs.
La lecture abrupte de ces
phrases doit faire froid dans le dos notamment si on en renverse la logique. Pour que
notre système de santé se rapproche de la moyenne des pays de l’OCDE en termes
de coût, faudra-t-il limiter la couverture de l’assurance maladie, et au détriment
de quelle catégorie de population (la mise en place des franchises semble avoir
donné le sens...), faudra-t-il restreindre le libre choix du patient (mais
alors comment faire pour garantir le droit à l’accès à des soins de qualité
quel que soit son lieu d’habitation et sa condition sociale ?), faudra-t-il
convenir que le cadre libéral de l’exercice de la médecine de ville pèse sur la
mission de service public que constitue la prise en charge des soins (n’oublions
pas qu’une partie non négligeable de la représentation nationale sont médecins
de formation et de métier et constitue de fait un puissant lobby), faudra-t-il
revenir sur l’application rigoureuse de normes de sécurité (dont on s’aperçoit
tout de même au vu de l’actualité sur les risques sanitaires, notamment dans les
disciplines les plus exigeantes, médecine nucléaire par exemple, que tout n’est
pas non plus parfait) ?
Nul doute que les
conclusions de la commission Larcher sont attendues avec impatience par le
monde hospitalier.