vendredi 11 novembre 2011 - par Pharmafox

Responsabilité et culpabilité des laboratoires (3) : Baxter et son héparine contaminée

J'ai récemment pu constater que, dans l’opinion publique, si un médicament provoque un problème de santé, le laboratoire est forcément coupable et doit être condamné. La réalité est beaucoup plus complexe, et je vous propose de revenir sur quelques affaires dont on n’a presque pas parlé en France. Cette série abordera des affaires concernant les effets secondaires des produits, des affaires concernant les essais cliniques et d’autres, comme ce sera le cas de ce troisième volet, des affaires concernant la fabrication des médicaments.

Héparine contaminée : l’affaire

A la mi-Janvier 2008, le laboratoire Baxter est subitement obligé de rappeler des lots d’héparine, suite à des cas de réactions allergiques graves1. Les symptômes observés incluent des difficultés respiratoires, des nausées, des vomissements, des poussées de sueur et de brutales chutes de tension, provoquant des état de choc potentiellement mortels.

350 cas ont été signalés en 2 semaines, comparés à une centaine pendant toute l’année 2007. Dans la majorité des cas, le patient a reçu une forte dose en une fois, si bien qu’on s’interroge d’abord sur un effet d’overdoses.

L’Héparine vendu par Baxter était fournie par une entreprise chinoise. L’usine aurait du être inspectée par les autorités sanitaires américaines (la FDA), mais ne l’a jamais été. Autopsie d’un cafouillage.

A propos de l’héparine

L’héparine est un puissant anticoagulant, donné pour réduire les risques de caillots sanguins. Elle est fabriquée à partir d’intestin de porcs.

Ces intestins sont collectés dans les abattoirs et envoyés dans des ateliers. Les ateliers extraient l’héparine brute et l’envoient dans une usine, où elle est purifiée. L’héparine est alors envoyée aux Etats-Unis, puis testée, stérilisée et emballée2.

Dans cette affaire, l’usine était une joint-venture appartenant pour moitié à l’américain Scientific Protein Laboratories, pour moitié au chinois Changzhou Techpool Pharmaceutical.

Que s’est-il passé ?

L’enquête qui a été menée a mis en évidence que l’héparine était « coupée ». Un des acteurs de la chaine avait ajouté un produit qui réagit de la même façon au cours des tests, le sulfate de chondroïtine. Ce produit n’existe pas en tant que tel à l’état naturel : il a donc certainement été ajouté intentionnellement3. Chose assez surprenante, le produit n’aurait pas été la cause des effets secondaires… Peut-être pas en lui-même, mais avec un médicament « coupé », il fallait des doses plus fortes pour soigner les patients.

En théorie, pour qu’un médicament puisse être vendu aux Etats-Unis, il faut que l’usine dans laquelle il a été fabriqué ait été inspectée par la FDA. Les conditions de certification sont particulièrement strictes : certaines usines ont eu des mises en garde simplement parce qu’il n’y avait pas d’enquête sur les rebus (qui, en temps que tels, étaient pourtant détruits)4.

Mais cette fois, l’usine n’a pas été inspectée…5 La faute à Baxter ? Non.

En effet, Baxter avait demandée à la FDA d’inspecter l’usine chinoise…

La faute à la FDA ? Oui !

En effet aussi incroyable que cela paraisse, la FDA s’est trompée d’usine  !6 (Je vous épargne le détail des excuses pour justifier la bourde).

Sitôt l’affaire révélée, la FDA s’est dépêchée d’inspectée l’usine incriminée… pour découvrir, sans surprise, une longue liste de problèmes.

Dilution des responsabilités

Rapidement, les différents acteurs en présence se sont renvoyés la balle :

  • Baxter et la FDA ont accusé l’usine chinoise ;
  • Le gouvernement chinois a accusé Baxter de se servir de l’usine comme bouc émissaire7 ;
  • Un député (congressman) américain a accusé la FDA de ne pas avoir fait son travail8  ;
  • La FDA a répliqué qu’elle fait ce qu’elle peut, avec les moyens qu’on lui donne.

Faisons un peu de tri.

A décharge de la FDA : le budget de l’agence n’a pas réellement changé depuis les années 70. Depuis, il y a beaucoup plus de laboratoires, beaucoup plus d’usines, beaucoup plus de responsabilités, et beaucoup plus de besoins, parce que c’est une chose d’inspecter une usine à Chicago, c’en est une autre de traverser la moitié de la planète pour trouver un garage à moitié en ruine dans le faubourg d’une mégalopole aux rues portant toutes le même nom et dans lequel on passe les tripes du cochon (ou du chien) au mixer.

A charge des autorités chinoises : elles aussi auraient dû inspecter l’usine, après tout. Ah oui, les chinois ont reconnu qu’ils n’avaient pas inspecté l’usine : il n’y avait aucune raison, puisqu’elle fabriquait des produits chimiques (héparine brute), pas des médicaments9. Du reste, l’agence chinoise (NFDA, oui, ca ressemble) est loin d’être aussi exigeante que son homologue américaine. Un responsable logistique m’avait raconté comment cela se passe (se passait ?). 24 heures avant l’inspection, le directeur de l’usine reçoit un coup de téléphone de son commissaire politique l’avertissant. Aussitôt, on arrête tout le travail, on range, on nettoie, on désodorise, on imprime à la chaine des rapports d’activité impeccables. L’inspecteur arrive, voit que tout est en ordre, et repart, le plus vite possible pour profiter de sa soirée à la maison. Et ca, c’était quand l’inspecteur n’est corrompu plus directement10.

Et pour Baxter ?

Il est évident que le coupable est celui qui a ajouté le sulfate de chondroïtine. Ce n’est d’ailleurs pas nécessairement dans l’usine chinoise que cela s’est passé, mais peut-être dans l’un des ateliers qui la fournissait.

Si cela dédouane en partie Baxter, du moins sur le plan légal, on peut toujours s’interroger sur la responsabilité morale :

  • Pourquoi a-t’il fallu attendre 19 morts pour que Baxter utilise des techniques plus poussée pour tester son héparine ?
  • Pourquoi Baxter n’a-t’elle pas été elle-même inspecté en profondeur l’usine de son fournisseur11, comme le font d’autres laboratoires et comme cela se fait dans d’autres industries (je pense en particulier à l’industrie automobile) ?
  • Pourquoi Baxter a-t’elle fait venir son héparine du bout du monde ?

Je vais vous faire une révélation qui va m’attirer quelques critiques : tout cette affaire s’explique en partie parce que l’héparine de Baxter est un générique. Tout était donc bon pour réduire les coûts de fabrication et vendre le produit le moins cher possible.

  • Y compris utiliser des méthodes d’analyse superficielles12 ;
  • Y compris s’épargner 2 inspections annuelles à Shanghai et sans compter les inspections des ateliers (2 par an, c’est un minimum) ;
  • Y compris prendre le risque d’un produit trafiqué, parce que, même après lui avoir fait prendre une jonque pleine de rats pour traverser le Pacifique, l’héparine chinoise est moins chère que de l’héparine américaine.

 

1. Baxter Stops Making Heparin Over Side Effects, Ed Silverman, Pharmalot, 11 Février 2008

2. Heparin's Deadly Side Effects, Bill Powell, Time, 13 Novembre 2008

3. Contamination de l'héparine chinoise en 2008, Wikipedia

4. Apotex Creeps Out Of The FDA Dog House, Ed Silvermann, Pharmalot, 20 Mai 2011

5. China Plant Played Role In Drug Tied to 4 Deaths, Anna Wilde matthews et Thomas M Burton, Wall Street Journal, 14 Février 2008

6. FDA : Heparin Debacle Was An ‘Isolated Incident’, Ed Silverman, 18 Février 2008

7. China : Baxter Is Obstructing Heparin Probe, Ed Silverman, Pharmalot, 6 Mai 2008

8. Congressman To FDA Commish : ‘Resign’, Ed Silverman, Pharmalot, 15 Février 2008

9. Chinese Heparin Plant Was Never Licensed, Ed Silverman, Pharmalot, 16 Février 2008

10. Non, pas de source, juste un témoignage rapporté, inutile de m’attaquer là-dessus, d’autant que cette affaire a fait prendre conscience aux autorités chinoises que si elle veulaient que le pays reste une source d’approvisionnement, il faudrait épurer un peu la situation, qui a du changer depuis.

11. Baxter And Heparin Liability : Foreseeable Risk, Ed Silverman, Pharmalot, 25 Mars 2008

12. FDA Found Contaminant In Heparin Production, Ed Silverman, Pharmalot, 5 Mars 2008



2 réactions


  • christian pène 11 novembre 2011 17:51

    Baxter c’est le laboratoire qui a déclaré qu’il serait hors d’atteinte (irresponsable) si son vaccin H1N1 était inefficace et dangereux ? or cela ne peut se faire sans qu’un acte ait été signé avec le « ministre » de la « santé » ..........et des sports Bachelot....

    mais à New York , on peut lire 7th avenue , la profession de mauvaise foi de PFIZER.....

    C’est ça DES labos pharmaceutiques.......le souci avant tout de leur santé fianancière


  • Robert GIL ROBERT GIL 11 novembre 2011 20:20

    voici des petits problemes a propos des medicaments :

    Premier problème : les études cliniques qui permettent de savoir si un nouveau médicament est plus efficace qu’un placebo (ou un médicament déjà sur le marché) sont toujours réalisées sous la seule responsabilité des firmes pharmaceutiques…

    Deuxième problème : les commissions officielles qui vérifient et jugent des résultats de ces études sont composées de médecins et de chercheurs qui ont tous des contrats avec l’industrie pharmaceutique…

    Troisième problème : le prix des nouveaux médicaments ne dépend absolument pas de leurs avantages pour les patients mais d’une décision prise in fine par le ministre lui-même. Là encore, ce système permet toutes les corruptions…

    Quatrième problème : la formation permanente des médecins (et, de plus en plus, leur formation initiale) est presque totalement sous le contrôle des laboratoires pharmaceutiques…

    et ce n’est peut-etre pas les seuls !


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