J'ai récemment pu constater que, dans l’opinion publique, si un médicament provoque un problème de santé, le laboratoire est forcément coupable et doit être condamné. La réalité est beaucoup plus complexe, et je vous propose de revenir sur quelques affaires dont on n’a presque pas parlé en France. Cette série abordera des affaires concernant les effets secondaires des produits, des affaires concernant la fabrication des médicaments et d’autres, comme ce sera le cas de ce quatrième volet, des affaires concernant les essais cliniques.
La maladie d’Alzheimer, cette inconnue
Nous avons tous entendu parler de la maladie d’Alzheimer, au moins pour ses effets sur la mémoire. Tantôt comme une plaisanterie, tantôt comme une inquiétude d’hypocondriaque, nous avons plusieurs fois croisé quelqu’un qui, ne trouvant plus un mot, dit que « c’est Alzheimer ». Mais c’est quoi « Alzheimer ».
Tout d’abord, utilisons les bons mots. Il faut dire « maladie d’Alzheimer ». Alzheimer, c’est le nom du médecin qui a décrit cette maladie pour la première fois.
C’est une maladie dite « neurodégénérative »1, un mot compliqué qui veut dire que le système nerveux (notamment le cerveau) « dégénère », qu’il se détériore. Dans ce cas précis, ce sont les fonctions mentales, en particulier la mémoire, qui sont affectées. D’autres maladies neurodégénératives sont, par exemple, la maladie de Parkinson (qui affecte le contrôle des muscles) ou la maladie de Creutzfeld-Jakob (qui affecte en priorité l’équilibre et les sens).
Les principaux symptômes sont des petites amnésies, qui s’accentuent avec la progression de la maladie. Viennent ensuite des confusions, des sautes d’humeur et des problèmes de langage. Les patients atteignent un état de démence. A la longue, le cerveau du patient ne donne plus l’ordre au cœur de battre, aux poumons de respirer, aux entrailles de digérer.
Quelle cause pour cette maladie
A l’heure actuelle, on ignore à vrai dire ce qui provoque cette maladie.
Les chercheurs ont remarqué que les patients atteints présentent ce qu’ils appellent de la plaque amyloïde (82 points minimum au scrabble) : une substance recouvre les connections entre les neurones. D’où cette théorie : c’est cette substance, la plaque amyloïde, qui empêche le bon fonctionnement du cerveau, qui empêche les neurones de communiquer entre eux comme la friture sur la ligne.
Forte de cette hypothèse, l’industrie pharmaceutique explore plusieurs pistes :
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Des médicaments qui retireraient la plaque amyloïde ;
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Des médicaments qui empêcheraient la plaque d’apparaître, en neutralisant les molécules qui la fabriquent.
Car en effet, le cerveau fabrique spontanément de la plaque amyloïde. Nous verrons plus loin pourquoi c’est important.
A l’épreuve du feu
Après de nombreuses années d’effort et d’échec, une entreprise a enfin un produit prometteur. Myriad, c’est son nom, a développé le Tarenflurbil. Le Tarenflurbil réduit la quantité de la protéine qui constitue la plaque amyloïde (protéine appelée amyloïde beta).
Et il est efficace : en phase II d’étude clinique, on observe que, non seulement le taux d’amyloïde beta est beaucoup moins important, mais en plus que la plaque amyloïde régresse.
En phase III, Myriad a enfin assez de patients pour évaluer si, oui ou non, le produit soigne la maladie d’Alzheimer. Attention, jusqu’ici on avait seulement prouvé qu’il limite la plaque amyloïde, ce qui permet peut-être de soigner la maladie.
C’est un échec. Le produit réduit toujours la plaque amyloïde. Mais les patients continuent de perdre la mémoire (et la boule). Nous sommes en décembre 2009. 2
Conclusions et responsabilité
N’importe quel scientifique qui est resté assez modeste pour se remettre en question peut en tirer la conclusions suivantes : la théorie de la plaque amyloïde est fausse. C’est de la logique mathématique élémentaire.
On a posé que A implique B et que non-A implique non-B. Or, non-A n’implique pas non-B. La théorie est fausse, fin de l’histoire.
Des chercheurs quelque peu iconoclastes s’en doutaient déjà. Après tout, comme je l'ai dit, le cerveau fabrique tout seul cette fameuse plaque. Leurs théories sortent de l’ombre : peut-être que la plaque amyloïde est pas la cause de la maladie d’Alzheimer, mais une réaction du cerveau pour se protéger. 3
Peut-on blâmer Myriad ? Non : ils ont travaillé sur une théorie fausse, et ont démontré (en payant le prix fort) que l’essentiel de l’industrie pharmaceutique faisait fausse route. En revanche, peu de laboratoires ont intégré cette nouvelle donne.
Des patients en danger
Eli Lilly développait un autre produit anti-amyloïde, le Solanezumab. Il a fallu janvier 2011 pour arrêter le développement, soit plus d’un an supplémentaire.
Pendant cette année, des centaines de cobayes humains ont pris un produit dont on savait déjà qu’il ne servait à rien. Pire : le Solanezumab provoque des œdèmes vasogéniques. 4
Qui faut-il blâmer ? Les chercheurs ? Non. Les structures de décision, qui font que c’est très long ? Un peu. Peut-être.
Les dirigeants ? Oui. Non seulement car tel directeur de recherche qui a dédié sa vie à trouver un médicament contre une maladie refuse de tirer un trait sur sa carrière. Mais surtout, parce qu’ont a fait rêver les actionnaires avec le Solanezumab. On leur a promis le premier médicament contre la maladie d’Alzheimer. A ce titre, que le Tarenflurbil soit un échec était une excellente nouvelle. Alors, après avoir promis la lune aux actionnaires, on allait pas tout laisser tomber, sans au moins essayer d’aller jusqu’au bout. Des fois que… Des fois que la théorie serait valable quand même... Des fois, peut-être aussi, qu’on arriverait suffisamment à trifouiller les chiffres pour que le produit ait l’air de marcher.
Pour finir, je ne parle ici que du Solanezumab. Beaucoup d’autres produits, développé sur la base de cette même théorie inexacte, sont toujours en cours de test. Des centaines de patients sont en danger, mais il l’ignore. Au contraire, ils espèrent.
1. Maladie d’Alzheimer, Wikipedia
2. Tarenflurbil Does Not Appear to Slow Cognitive Decline in Alzheimer Disease, PSL, 15 Décembre 2009
3. Alzheimer's and HDL, Emily Deans, Evolutionary Psychiatry, 21 Décembre 2011 (lire les commentaires)
4. Lilly says brain swelling seen in Alzheimer's study, Ransdell Pierson, Reuters, 11 Janvier 2011