jeudi 29 août 2013 - par Thomas Roussot

Une institution antidémocratique

Une institution anti-démocratique à l'oeuvre.

« Je suis mort à Rodez sous un électro-choc.

Je dis mort. Légalement et médicalement mort. »

Suppôts et Suppliciations.

Antonin Artaud.

Les journalistes ne ratent que rarement l’occasion de souligner les crimes et délits induits par des individus présentant un passif psychiatrique, mais sans jamais oser interroger le lien de causalité éventuel reliant ces actes aux passages dans la dite institution. On aimerait constater le même zèle pour rendre compte des actes délictueux et parfois criminels produits par le personnel censément soignant, comme dans cette affaire qui n’a entraîné aucune sanction professionnelle après pourtant une condamnation pour homicide…

Florence Edaine était décédée le 14 mars 2004 dans l’Hp de Moiselles, les Drs Jean-François Ruinart de Brimont et Marta Mestres ont été jugés coupables d’homicide involontaire mais aucune sanction professionnelle ne s’en est suivie…

La misère psychique étant bien souvent sécrétée par le flux des interactions sociales indissociable de celle-ci, la dissimuler voire l’éliminer demeure la tâche première de cette organisation étatique, au service qu’elle est du paravent d’un ordre établi qui se doit de prétendre au bon fonctionnement, sain et harmonieux, assurant l’entretien d’une mythification étatique qui ne peut s’accommoder de positions existentielles symptomatiques ou insolidaires par trop voyantes, dont la manifestation même invalide le bon ordonnancement, aussi artificiel soit-il. Les soins sans consentements ne sont qu’une face de cet iceberg sociétal, sans doute la plus visiblement absurde tant elle viole toutes les conventions internationales visant au respect de l’intégrité physique à commencer par la fameuse Charte des Droits de l’Homme !

Seule la France pratique la déportation et l’enfermement de malades sans leur consentement sur le sol européen. La réforme de la loi du 5 juillet 2011 a permis de fournir des chiffres concernant les contrôles opérés sur les hospitalisations sans consentement, via les juges des libertés et de la détention, un chiffre ouvert béant sur l’arbitraire de ces pratiques, sur un total d’environ 62 000 procédures de contrôle, environ 3200 mainlevées ont été opérées soit 5,1% du total des contrôles, ce qui représente pas moins de 3200 internements invalidés et jugés illégaux par les magistrats en une année (quand ces derniers ne sont pas saisis trop tardivement ou pas du tout… ) !

L’étiologie des aliénations comportementales ou prétendues telles a été accaparée par une profession dont les critères nosologiques et donc diagnostiques n’ont jamais démontré une quelconque efficacité à proprement parler curative mais bien plutôt et essentiellement une faculté de dissimulation des conditionnements sociaux, économiques, interpersonnels et politiques à l’origine des dites pathologies.

Le concept de maladie psychique est héritier de la médecine des essences du XVIIIème siècle, théorie désormais parfaitement caduque. Une rupture épistémologique a ensuite permis de promouvoir via Bichat, Broussais et autres Laënnec, une approche somatique visant à localiser l’origine organique des troubles, éloignant cette tradition des bases théoriques de son créateur, Phillippe Pinel, qui assimilait tout dérangement psychique à une idée nominale de type essentialiste.

La singularité caractérielle, psychique et comportementale est par principe visée par cette tradition, l’anesthésie et l’éradication de sa manifestation dans le champ social étant l’objectif premier poursuivi via des items régulièrement redéfinis au sein de la Bible des psychiatres qu’est le DSM, le tout au service d’une production toujours plus extensive de molécules assurant la toute-puissance pharmaceutique qui chapeaute en toute opacité le dit monde médical.

Les spécialités pathologiques ne cessent de muter au gré des cultures et des modes intellectuelles, naviguant entre constats de névroses, psychoses, dangerosité ou non dangerosité selon la subjectivité plus qu’approximative d’experts se contredisant les uns les autres lors de procès retentissants. Experts qui malgré le flou doctrinal qu’ils véhiculent régulièrement et les contradictions théoriques qui entachent leur discipline jouent un rôle d’influence non négligeable sur l’issue des jugements, contribuant à faire innocenter ou condamner des citoyens avec une précision chirurgicale de type « doigt mouillé. »

L’idée même d’incurabilité invitant à des « solutions finales » à base de médication jusqu’à la mort pudiquement nommées dans le langage commun « camisoles chimiques », réduisant les cobayes concernés à l’état de légumes apathiques certes inoffensifs pour eux-mêmes comme pour leur environnement puisqu’ils sont affectivement et psychiquement réduits à l’état de morts-vivants.

La dangerosité de toute nosographie psychiatrique consiste à faire taire les sujets pensants et irréductiblement souverains, à les étiqueter, les cloisonner et parfois les éliminer physiquement, soit par l’enfermement soit par les piqures installant une totale dépersonnalisation.

Si Freud considérait le délire comme un processus restitutif de guérison, la psychiatrie inverse la lecture en envisageant le sujet malade comme inapte à statuer de son positionnement et le destitue justement de ses prérogatives, à commencer par sa volonté ou non de se soigner, ce qui est en soi totalement contre-productif en matière de santé mentale. Le pathologisme à géométrie variable appliqué à tous étant sans aucun doute le plus rentable pour l’institution psychiatrique…

Si l’on appliquait de façon drastique la grille de lecture du DSM, pas moins de 50% de la population française relèverait de ce type de soins imposés. Quel juteux marché !

Il ne faut pas s’étonner dans ce cadre de constater la progression permanente de la psychiatrisation et de la « pathologisation » rampante de tout évènement social, du plus saillant au plus insignifiant, des addictions aux films, en passant par les accidents de transports, la météo et ses effets, l’esthétique, le poids, la calvitie, la faim, le sommeil, la sexualité, le chômage, le travail, le sexe, le sport, le rapport aux animaux, les viols, les suicides, les relations interpersonnelles, la justice, enfin tout champ social ou presque semblant du ressort de ces étranges experts et de leurs mallettes pleines de molécules aux effets méconnus à long terme sur l’organisme tant leur renouvellement incessant interdit des évaluations crédibles…

La seule question cruciale qui n’est jamais posée étant de connaître le caractère ou non pathogénique des hôpitaux psychiatriques comme on l’a établi depuis fort longtemps à propos des prisons.

Les contradictions sociales, environnementales, ethniques, économiques, culturelles sont toutes évacuées au profit d’une idéologie réductionniste en quête de failles endogènes. A ce propos, la nouvelle mode est bien la recherche génétique au service de la psychiatrie, en quête des gènes responsables de telle ou telle dérive existentielle, ce qui n’est pas sans rappeler certaines théories des systèmes totalitaires du 20è siècle qui ont usé et abusé de la sphère psychiatrique pour asservir leurs adversaires d‘alors.

Envisager le marasme qui sévit en occident et donc partout puisque les différentes aires culturelles sont converties à ce modèle de décomposition psychologique reviendrait à battre en brèche la nécessité d’installer des murs capitonnés et des chambres d’isolement comme solutions létales aux contingents d’individus touchés par cette anomie organisée.

La sectorisation et l’éclatement faussement décentralisé de ce bras armé étatique qu’est la psychiatrie moderne assurent un maillage complet du territoire, afin de dépister précocement tout sujet susceptible de perturber l’ordre établi. Car ce sont bien les préfets et les maires, donc des agents d’état, qui donnent l’ordre d’enfermer sous le régime de l’hospitalisation d’office les citoyens de ce pays, soit plusieurs dizaines de milliers chaque année, au motif de préserver l’ordre public sans que nul ne soit en mesure d’en donner une définition légalement officielle et précise. Hiérarchie des ordres inquiétante sur un plan démocratique…

L’effondrement des solidarités organiques et l’individualisme triomphant de type marchand permettent hypocritement de déléguer à ces centres d’arrière-monde la mission de se saisir de tous les cas humains atypiques, dans une gigantesques mystification biologisante et privative facilitant l’essor de firmes pharmaceutiques dont on connaît les influences sur le monde politique à son plus haut niveau..l’éthique n’étant pas le souci central de leurs activités ni même le soin mais bien la rentabilité.

Tant que la mise en corrélation des troubles individuels avec les facteurs sociaux et collectifs ne sera pas assumée, la délégation lâche et irresponsable de ces individus au profit d’intérêts privés et financiers demeurera, avec toutes les dérives induites précitées.

L’analyse dichotomique d’un sujet souverain consistant à vouloir l’extraire de son environnement pour éradiquer une hypothétique morbidité en soi ne peut que déboucher sur des échecs permanents fort coûteux, en termes humains. L’expression psychopathologique ne fait que grandir au rythme de l’extension du domaine psychiatrique, corrélation invalidante par elle-même de toute légitimité étatique sur ce dossier.

La France, par ces lieux de déportation légaux en plein cœur des grandes villes, est une anomalie sur le continent européen en la matière, aucun de ses voisins ne s’empare ainsi de ses citoyens jugés malades sans leur assentiment, il faut l’écrire, le dire et le redire. Cet état de fait discrédite grandement toute leçon de morale que voudrait instiller ce pays dans le domaine des Droits de l’Homme à qui que ce soit.



10 réactions


  • philippe913 29 août 2013 09:19

    vous mentez, une simple recherche wikipédia le montre, la France n’est pas la seule à pratiquer l’hospitalisation sans consentement.

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Hospitalisation_sans_consentement

    Et votre acharnement contre la psychiatrie moderne, sans distinction ni proposition de solution alternative efficace, montre également que vous avez un léger soucis d’impartialité.

    Pourquoi ? je ne sais pas, seriez vous scientologue ?


    • Hermes Hermes 29 août 2013 10:41

      Bonjour,

      L’internement d’office, désormais sur simple ordonnance du préfet, est un problème, car il peut déraper facilement.

      Certes cet article est très passionné et peut-être inexact sur certains points, mais il reste néammoins indispensable que ce thème soit abordé, et il reste pour celà positif.

      Poser la question de l’afiliation à la scientologie n’est pas neutre, et peut jeter un discrédit facilement sur l’article.

      Ceci dit la question de l’internement est délicate car, lorsque vous cotoyez une personne qui vous menace de mort, et qui plus est a des comportements violents, qui refuse de trouver un moyen de se ’soigner" (il y a d’autres moyens que la psychiatrie), et qui fait régner la terreur autour d’elle.... quelle solution ? Il se trouve qu’il est arrivé que le choc psychologique de l’internement d’office ait amené des personnes à se réveiller (exemple en lien)..... et à se mettre lutter contre l’internement d’office !

      Ce qui est vrai à iun instant n’est jamais vrai dans l’absolu. La croyance dans l’absolu de ses propres idées n’est-il pas un symptome de la folie  ?

       A méditer...... bonne journée.


    • philippe913 29 août 2013 14:07

      si je parle des scientologues, c’est qu’ils sont farouchement opposés à la psychiatrie et en font un cheval de bataille important.

      l’internement d’office, est soumis à conditions, pas simplement au bon vouloir du préfet, et, comme toute décision humaine, peut être sujette à débordement.
      Toutefois, ne pas oublie que l’on est dans un état de droit et que maintenant, cet internement est soumis à l’appréciation du JLD.
      quand au fait que seule la France les pratique, je vous renvoie sur cette fiche wikipédia qui montre notamment que c’est loin d’être le cas.
      http://fr.wikipedia.org/wiki/Soins_psychiatriques_sans_consentement_en_Fran ce#Soins_psychiatriques_sur_d.C3.A9cision_du_repr.C3.A9sentant_de_l.27.C3 .89tat_.28SPDRE.29


  • Rincevent Rincevent 29 août 2013 11:11

    Lorsque paraissent des articles sur la psy je suis toujours preneur. Même s’ils sont souvent outrés, la (difficile) discussion vaut toujours mieux que le silence qui prévaut encore sur ce sujet.

    L’auteur commence et termine par une affirmation totalement fausse à propos des hospitalisations sans consentement qui seraient une exception française. A partir de là que peut valoir le reste ?

    Une accumulation de notions diverses, plus ou moins vraies, amalgamées entre elles pour aboutir à quoi ? A nier la réalité des troubles mentaux ? C’est la société qui fabrique complètement la maladie mentale ? L’anti-psychiatrie avec Laing, Cooper ou Esterton ont tenu ce discours qui, s’il a posé quelques bonnes questions, a vite trouvé ses limites.

    Je n’ai pas aperçu dans cet article une seule ligne sur la souffrance qu’endure, par exemple, une personne en proie à une bouffée délirante ou une dépression sévère. Donc, un article « contre », une posture seulement intellectuelle qui n’apporte rien d’autre que les amalgames habituels sur le sujet. Déçu.


  • frugeky 29 août 2013 11:12

    Oui, d’accord avec Hermès, des choses justes et beaucoup d’approximations.

    Les hospitalisations sous contraintes ne sont pas majoritairement du fait des préfets (anciennes hospitalisations d’office) mais plutôt des familles (anciennes hospitalisations à la demande d’un tiers). Vous donnez le nombre total des hospitalisations sous contrainte.

    Vous avez pu voir dernièrement dans la presse que la nomenclature DSM, d’inspiration amérikkkaine, faisait largement débat et n’est pas reconnue comme une « bible ».

    La camisole chimique : ça peut être vrai dans certains cas mais quid des chimio-résistances de plus en plus nombreuses ?

    La fermeture de nombreux lits en psychiatrie montre l’inanité de vos propos concernant le « pactole » de la psychiatrie.

    Vous n’avez pas dû mettre les pieds souvent en psychiatrie pour dire que les patients sont dépersonnalisés. Les patients que je côtoie ont, au contraire, des personnalités riches de leur délire mais qui les empêche de vivre normalement le monde que nous vivons. Si les personnes extérieures à l’institution leur faisait un meilleur accueil leurs hospitalisations seraient certainement moins longues et leur récidive moins nombreuses.

    etc, etc...


  • Rincevent Rincevent 29 août 2013 11:44

    L’hospitalisation sans consentement n’a pas fondamentalement changé dans sa procédure mais offre maintenant un meilleur contrôle sur les suites. http://vosdroits.service-public.fr/particuliers/F761.xhtml#N10081 Quand au DSM il commence à être contesté même aux États-Unis…

    Concernant la dangerosité, le moindre fait divers, étalé à la une des médias, fait oublier que le problème de 80 % des psychotiques est la grande difficulté à simplement sortir de chez eux !

    Tout à fait d’accord avec frugeky, l’auteur a un point de vue qu’on va dire « distancié ». La fréquentation du trouble mental n’a pas l’air d’être son quotidien. A partir de là il est plus confortable de bâtir des théories.


  • Miroslav Leglawy Miroslav Leglawy 29 août 2013 18:38

    n’est pas Antoine de Saint Exupéry qui veut...


  • Thomas Roussot Thomas Roussot 30 août 2013 10:31

     philippe913, votre lien Wikipedia n’infirme en rien mes propos, aucun pays européen n’interne ses citoyens pas le biais de représentants d’état n’ayant aucune connaissance médicale.
    LA TARTE A LA CREME POUR DELEGITIMER UNE ATTAQUE ENVERS CETTE INSTITUTION REVIENT A CITER LA SCIENTOLOGIE QUE JE CONDAMNE. JE SUIS MEMBRE DU CRPA, ASSOCIATION SALVATRICE QUI TRAVAILLE DE MANIERE CONSTRUCTIVE AVEC L’ETAT POUR DEMOCRATISER CES PROCESSUS PARFAITEMENT ILLEGAUX ; QUANT A RINCECEVENT, JE PREPARE UN LIVRE UNIQUE EN FRANCE DEPUIS VALERIE VALERE. A SAVOIR REDIGE DE L’INTERIEUR DE CETTE MONSTRUEUSE ENTREPRISE DE DEPOSSESSION DES INDIVIDUS ;
    Bien cordialement.


  • Rincevent Rincevent 30 août 2013 21:47

    « de représentants de l’état n’ayant aucune connaissance médicale ». De quoi parlez-vous ? Ce représentant agit au vu d’un certificat médical, pas selon sa fantaisie ! Chacun son métier. Préféreriez-vous doter le psychiatre de pouvoirs de police, peut-être ?

    Si le CRPA est une suite du GIA (groupement d’information sur les asiles) là, ça me dit quelque chose (et ça me rajeunit de beaucoup…) A ses débuts,le GIA s’est beaucoup dépensé pour rompre le silence qui entourait l’institution psychiatrique, c’était nécessaire. Mais qui croyez-vous qui les renseignait et prenait même le risque de leur ouvrir les portes des services, au prix de sanctions ? Quelques internes et infirmiers (ères) courageux, j’en suis témoin.

    Il n’est pas question pour moi de nier qu’il puisse y avoir des abus mais, contrairement à ce qu’on pense, cela vient bien plus souvent des familles (ex HDT) que de la puissance publique (ex HO).

    Des livres d’anciens patients, il y en a eu bien d’autres que celui de Valère et il y en aura d’autres encore. Le terme « unique » semble un tantinet présomptueux.

    PS : l’écriture en majuscules et en gras est, par convention, une équivalence de crier. Tout le contraire d’un dialogue.


    • Hermes Hermes 3 septembre 2013 16:13

      Des détails sur la loi ici.

      Contrairement à ce que certains ont dit sur le fil, la demande d’hospitaliation faite par un tiers ou le préfet (ou la personne qui a été administrativement déléguée) n’est pas précédée mais suivie de certificats faits au cours des deux premières journées d’observation.

      Ce qui a changé dans les dernières années (2011), c’est que la notion de danger imminent peut suffire à déclencher une demande.

      Dans l’histoire d’un pays il peut arriver que des situations socio-politiques en viennent à faire considérer certains points de vue comme dangereux et inacceptables.

      A l’époque (en 2011), cela avait provoqué de nombreuses protestations, mais qui s’en souvient ?

      Cdt.


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