jeudi 29 décembre 2005 - par Michel

Anglomanie dans la publicité et les services

On trouve souvent, dans la publicité écrite et télévisuelle, une petite phrase écrite en anglais. Ce « slogan d’assise » (ou « base-line ») se trouve fréquemment en bas à droite, sous la marque du produit. Sur des sites Internet commerciaux, le nom de certains services proposés est également en anglais. Pourquoi cet usage de l’anglais est-il si courant ?

Voici une liste de « slogans d’assise » (en gras le texte anglais, en italiques le texte en français -s’il a été traduit). Pour découvrir le texte en français, il faut un regard acéré et inquisiteur (ou de très bonnes lunettes), car il est écrit en petits, très petits caractères. Le texte anglais est en caractères nettement plus lisibles.

Publicités dans Télérama (décembre 2005) :

- Membership rewards American Express

- Better sound through research Bose

- Wave Music System Bose

- Don’t touch my Breil Touche pas ma montre Breil Breil

- You can Bien sûr, vous pouvez Canon

- Around the world Autour du monde Carlsberg

- Invent Hewlett Packard

- Flower by Kenzo Kenzo

- United against ugliness Unis contre le moche Lancia

- Fresh Belgian Chocolates Leonidas

- Designed to move you Logitech

- At the heart of the image Au coeur de l’image Nikon

- Your digital play ground Votre terrain de jeu numérique Packard Bell

- Sense and simplicity Du sens et de la simplicité Philips

- Like.no.other Incomparable Sony

- Think. Feel. Drive. Penser. Ressentir. Conduire Subaru

- Volvo for life Volvo

Ces slogans vantent le produit, valorisent l’acheteur en le flattant...

Services proposés sur Internet.

Sur le site d’Air France http://www.airfrance.frwww.airfrance.fr/

A la rubrique « Voyageurs fréquents », on trouve Petroleum Club et Flying blue.

- Petroleum Club est « une exclusivité Air France et KLM au service des professionnels du gaz et du pétrole ». Pas de traduction. On traduit facilement Club du Pétrole.

- Flying blue est une offre de fidélité qui « vous propose plus de 18 000 vols par jour, 900 destinations, plus de 100 partenaires et autant d’occasions de gagner des miles. ». Pas de traduction ... En anglais, blue signifie : bleu, triste, funeste ; en anglais familier : indécent, obscène  ; en américain : rigoureux, puritain ; en américain familier : saoûl. Quelle est la bonne traduction ? On ose espérer que c’est Vol bleu !

On gagne des miles ? Les miles dont il est question ne sont pas des unités de longueur, mais des Miles-Prime (ou Miles-Prime), c’est-à-dire des points qu’on gagne et qui sont fonction de la distance parcourue, du prix du billet, de la classe de réservation et de voyage. Pour profiter des miles-prime, il nous est proposé « Décollez vers la destination de votre choix. Louez une voiture, réservez votre séjour à l’hôtel ... »

Miles-prime juxtapose un mot anglais et un mot français. En effet, si on regarde sur le site, prime désigne un gain gratuit. Mais peut-être veut-on jouer sur une ambiguïté... Prime en anglais signifie : premier, fondamental, excellent, splendeur, perfection. Il ne signifie jamais prime (bonus).

Sur le site de la SNCF

http://www.voyages-sncf.comwww.voyages-sncf.com/info_resa/fidelite/smileFid.htmlsmileFid.html

On trouve une exclusivité Internet, gagner des S’Miles  ! Pas de traduction ... En anglais on utilise -‘s, mais pas s’- (?) Il faut faire un peu d’esprit : smiles signifie - sourires - et miles - mile (1,609 kilomètre). Souriez, vous gagnez des miles. Plus précisément des kilomètres gratuits, qui dépendent de plusieurs facteurs, comme à Air France.

Sur le site de France Télécom

http://www.francetelecom.frwww.francetelecom.fr/fr/

On trouve une offre Business Everywhere, Business Secrity, Business Machine to Machine, Fleet Management pour les entreprises. Pour les particuliers, on propose une Livebox, un abonnement Family Talk.

Comment analyser ces choix ?

Est-ce à dire que pour être de son temps, il faut manipuler la langue de Shakespeare ? Où est-ce qu’il est de bon ton que la cible désignée soit destinatrice d’un petit mot sympathique en anglais ? Finalement, ces slogans qui accompagnent les publicités ont-ils une efficacité réelle, ou relèvent-ils d’une mode due à la mondialisation ? L’anglais permet-il de donner à la marque une image jeune, dynamique, internationale et technologique ? La fonction sémantique de la langue anglaise est-elle réduite à néant ? La fonction symbolique prime-t-elle ?

Les slogans accompagnant la marque d’un produit existent depuis très longtemps :

- Je sème à tout vent chez Larousse

Plus récemment :

- Ici. Là-bas. Pour vous. Pour demain, chez Gaz de France

Ces slogans d’assise en français me paraissent beaucoup plus suggestifs pour un francophone. L’association de jeux de mots, ou le mélange de langues chez Air France et la SNCF, suppose une complicité linguistique ou une mode : il est de bon ton de lire ou de parler l’anglais sans comprendre.

Chez France Télécom, on peut admettre l’anglais dans les propositions aux entreprises, mais le Family Talk me paraît abusif.

Pour terminer, un petit clin d’œil à la langue anglaise que j’aime bien. J’ai parlé des slogans, n’est-ce point un mot anglais ? Mais si. Il est apparu, avec sa signification actuelle, dans les dictionnaires français à partir de 1930. Si on remonte plus loin, ce terme a été emprunté au gaëlique, et désigne le cri de guerre de troupes écossaises ou irlandaises (XVIe siècle). Je pense que la publicité a délaissé ce passé guerrier.



3 réactions


  • (---.---.162.15) 29 décembre 2005 18:38

    Vous avez orthographié « France Télécom », alors que c’est « France Telecom ». Voilà un double symbole. D’un côté il y a les accents enlevés par une entreprise qui n’ose pas revendiquer ses origines. De l’autre côté il y a les accents remis par un anglophile qui se rend mal compte qu’il reste d’origine francophone.

    Je pense quant à moi, qu’il faut cultiver les deux langues, mais séparément, dans des contextes différents.

    Am.


  • Henri Masson 31 décembre 2005 07:59

    S’Miles est utilisé aussi sur la carte de réduction de Casino Cafétéria... Il y a une floppée de marques et de services qui croient ainsi se distinguer en suivant le troupeau.

    Personnellement, quand j’achète une bouteille de vin, l’une des premières choses que je regarde, c’est l’inscription de la provenance. Si c’est « Produit de France », pas de problème. Si c’est « Product (ou Produce) of France », ça signifie que l’on se moque du client, donc ça reste au rayon. Non point par chauvinisme (ça ne me gênerait pas d’acheter un vin anglais — mais oui, il en existe !) avec l’inscription « Product of England » ou italien ou espagnol, etc. avec inscription dans ces langues.

    L’inscription « Product of France » signifie que l’acheteur est pris pour un demeuré, même s’il est anglophile ou natif anglophone, car le mot « produit » peut-être compris par des locuteurs de langues assez diverses ou répandues :

    latin : productus (qui a été produit)

    italien : produzione

    espagnol : producto

    portugais : produto

    roumain : produs

    allemand, danois, néerlandais, suédois : produkt

    russe (transcription latine) : produkt

    on trouve aussi des mots dérivés dans le sens de productif :

    en tchèque dans produktivni, en slovaque dans produktívni et en hongrois dans produktiv sans compter l’espéranto produkt qui offre le plus grand choix de dérivés : produkto (produit), produkta (forme adjective), produkti (produire), produktiva (productif), produktema (productif, prolifique), neproduktiva (improductif), produktado (production) subproduktado (sous-production), superproduktado, troproduktado (surproduction), kunproduktado (coproduction), etc... D’autres lecteurs pourront peut-être signaler la même racine dans d’autres langues.

    Ce que je remarque aussi, c’est que de plus en plus de notices d’appareils ou de produits sont uniquement en anglais, or, la garantie ne fonctionne généralement pas en cas d’erreur de manipulation. Mais comment éviter des erreurs si l’on ne comprend pas la notice ou si on la comprend mal ? Bon nombre de personnes qui affirment bien connaître l’anglais se sentent nettement moins sûres face à des notices techniques. A noter qu’un recours auprès de la Répression des Fraudes est possible contre de telles pratiques par le biais de l’association Le Droit de Comprendre (DDC), 34 bis rue de Picpus - 75014 Paris

    La question est en fait autrement plus grave. D’un côté il y a l’inconscience quasi totale des gens, de l’autre la volonté de formater la pensée des habitants de la planète. David Rothkopf, un ancien conseiller de l’administration Clinton, a été suffisamment clair à ce sujet :

    « It is in the general interest of the United States to encourage the development of a world in which the fault lines separating nations are bridged by shared interests. And it is in the economic and political interests of the United States to ensure that if the world is moving toward a common language, it be English ; that if the world is moving toward common telecommunications, safety, and quality standards, they be American ; that if the world is becoming linked by television, radio, and music, the programming be American ; and that if common values are being developed, they be values with which Americans are comfortable. » (« In Praise of Cultural Imperialism ? », Foreign Policy, Number 107, Summer 1997, pp. 38-53)

    (il y va de l’intérêt économique et politique des États-Unis de veiller à ce que, si le monde adopte une langue commune, ce soit l’anglais ; que, s’il s’oriente vers des normes communes en matière de télécommunications, de sécurité et de qualité, ces normes soient américaines ; que, si ses différentes parties sont reliées par la télévision, la radio et la musique, les programmes soient américains ; et que, si s’élaborent des valeurs communes, ce soient des valeurs dans lesquelles les Américains se sentent à l’aise.«  ( »In Praise of Cultural Imperialism ?" )

    Sommes-nous vraiment incapables de faire preuve d’imagination plutôt que de suivre un modèle que certains veulent imposer au monde pour des raisons évidentes ? Au-delà d’apparences anodines, voir cet extrait du Rapport Grin sur L’enseignement des langues étrangères comme politique publique qui mérite réflexion :

    "L’hégémonie linguistique (...) en faveur de l’anglais serait une fort mauvaise affaire pour la France ainsi que pour tous les États non-anglophones de l’Union européenne, voire au-delà des frontières de l’Union. Pourquoi ? Parce que cette formule donne lieu à une redistribution des plus inéquitables, à travers cinq canaux qui sont les suivants :

    1) une position de quasi-monopole sur les marchés de la traduction et de l’interprétation vers l’anglais, de la rédaction de textes en anglais, de la production de matériel pédagogique pour l’enseignement de l’anglais et de l’enseignement de cette langue ;

    2) l’économie de temps et d’argent dans la communication internationale, les locuteurs non-natifs faisant tous l’effort de s’exprimer en anglais et acceptant des messages émis dans cette langue ;

    3) l’économie de temps et d’argent pour les anglophones, grâce au fait qu’ils ne font plus guère l’effort d’apprendre d’autres langues ;

    4) le rendement de l’investissement, dans d’autres formes de capital humain, des ressources que les anglophones n’ont plus besoin d’investir dans l’apprentissage des langues étrangères ;

    5) la position dominante des anglophones dans toute situation de négociation, de concurrence ou de conflit se déroulant en anglais.

    L’existence même de ces effets distributifs est peu connue ; il faut dire que les travaux qui les signalent (certains effets sont déjà mentionnés, en français, depuis longtemps déjà ; voir par ex. Carr, 1985) sont restés relativement confidentiels. À ce jour, ils n’ont pas fait l’objet d’évaluation détaillée (Grin, 2004a) ; mais les estimations préalables effectuées dans le chapitre 6 indiquent que ces montants se chiffrent en milliards d’Euros annuellement. Dans tout autre domaine de la politique publique, de tels transferts seraient immédiatement dénoncés comme inacceptables."

    (p. 65-66 ; à télécharger en pdf (127 pages) ; sélection d’extraits sur 2 pages)

    Autre lecture à signaler : « La mise en place des monopoles du savoir » (Charles Durand, chez L’Harmattan) ou des ouvrages du prof. Robert Philipson, un ancien du British Council : « Linguistic Imperialism » (Oxford University Press, 1992) ou « English-Only Europe ? Chalenging Language Policy » (Routledge, Londres, 2003)...


  • parole_a_tous (---.---.121.88) 31 décembre 2005 17:33

    Dans cet article, l’auteur nous invite à réfléchir sur les slogans publicitaires en anglais. On trouve souvent, dans la publicité écrite et télévisuelle, une petite phrase écrite en anglais. Ce « slogan d ?assise » (ou « base-line ») se trouve fréquemment en bas à


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