vendredi 14 juin 2019 - par LATOUILLE

Blanquer, vous avez dit bac : où est l’École ?

 Alors que la cote de popularité du ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, subit une baisse importante après avoir voisiné les 70 % dans les premiers mois de sa prise de fonction et que son projet de loi est malmené au Sénat, il me revient à l’esprit qu’en 2005 j’avais écrit un article très critique sur les difficultés à mettre en œuvre des réformes dans le système scolaire. Cette année-là François Fillon, alors ministre de l’éducation nationale, proposait une réforme du baccalauréat qui provoqua de vives réactions tant des enseignants que des lycéens.

 

 Sans que je donne un blanc-seing à l’actuel ministre dont la plupart de ses réformes me semblent dénuées d’intérêt quand ce n’est pas de fondement et en tout cas elles sont peu porteuses d’un avenir radieux pour l’École, je propose mon article de 2005 dont je pense qu’il a gardé toute son actualité.

 En un siècle l’École française est devenue autiste, au sens de la définition du dictionnaire Robert pour l’autisme : attitude de détachement de la réalité extérieure accompagnée d’une vie intérieure intense. C’est ainsi que tout ce qui est adressé à l’École par l’extérieur est suspecté de vouloir la détruire. Ainsi, aucun ministre de l’éducation nationale ne peut faire son travail dans la sérénité[1]. Dès lors qu’il propose quoi que ce soit, et les enseignants sont dans la rue.

 

 C’est ainsi aussi que tout ce qui, en son sein, ne correspond pas à sa norme idéale (souvent plus supposée que réelle) est rejeté ou, pour le moins, mis en marge. Tout cela se déroulant sur fond de réflexion intense où le discours des chercheurs est limité, encadré, et par les revendications corporatistes, souvent démagogiques, des syndicats, amoindri, voire débilisé, par les propos réducteurs des médias et confronté à la doxa des parents d’élèves. Il semble qu’une réflexion intense se met en œuvre où se mêlent les voix discordantes de ceux qui manifestent de leurs intérêts professionnels, de ceux qui craignent pour l’avenir de leurs enfants et du politique qui n’arrive pas à construire le discours de la Nation pour son École. De cette doxa incertaine, qui s’échafaude entre contre-vérités et paradoxes, émerge une institution ingouvernable parce que sans cesse en marge de la Loi, souvent hors la Loi. L’École vit pour elle-même dans le plus total irrespect et dans la négation de la nation et des citoyens, de la société et des usagers.

 

 La longue histoire des enfants handicapés, de ceux dits déficients intellectuels, des intellectuellement précoces, des inadaptés, illustre bien, pour reprendre le mot de Francine Muel, comment cette « école pour tous, n’est plus l’école de tous ». Il serait toutefois hasardeux d’être trop simple, trop schématique pour dire une histoire complexe qui repose, en grande partie, sur des suspicions réciproques. C’est, par exemple, le gouvernement de Vichy qui, craignant le « gauchisme » de l’École, cru bon de confier l’éducation des enfants « en marge » à des institutions privées et charitables, le plus souvent confessionnelles. Ce sont aussi les parents d’élèves qui craignent la cohabitation comme Victor Duruy qui déjà le signalait au milieu du 19e siècle lorsqu’il attribuait « à la peur des parents devant la promiscuité et la contagion » une bonne part de l’échec des réformes de l’école primaire. Mais, aussi les médecins du début du 20e siècle qui considéraient que la loi de 1882, en instituant l’obligation scolaire, était coupable d’avoir créé les marginaux d’école. Bien sûr ceux‑là, avant, n’allaient dans aucune autre école que celle de la rue ou des champs. On voit donc qu’autour de l’École dont tout le monde pense sincèrement dans un idéal philosophique qu’elle doit être ouverte à tous les enfants, se construisent des pratiques pédagogiques, éducatives et des intérêts éminemment singuliers.

 

 Continuons cette histoire particulière pour arriver en 1975 où une part des suspicions, celles des gouvernants vis-à-vis des enseignants, est levée, ou presque. En trente ans, à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale, École et gouvernements ne vivent qu’au rythme d’un modus vivendi. Les gouvernements, représentants des citoyens, n’ont gouverné l’École qu’à la condition de concessions importantes aux syndicats qui ne représentent, eux, que les enseignants et cela même s’ils essaient de montrer que les intérêts de leurs mandants seraient analogues à ceux des usagers. Il en est toujours ainsi, par exemple, pour le nombre d’enseignants qui devraient être face aux élèves ou pour la décision de redoublement. Rappelons aussi comment le gouvernement de l’époque a cédé devant le SNES quant à la façon d’organiser la scolarité au sein du collège unique, on parlait alors, à l’instar du député communiste Jacques Duclos, d’un risque de « primarisation[2] » du collège. Loin de reprendre ce qui avait réussi avec l’école primaire supérieure puis le cours complémentaire, le SNES réussit à modeler le collège sur l’organisation du lycée qui avait été construit pour une très faible proportion des enfants du pays. Là, qui a perdu : les enfants de l’élite ou la masse de ceux du peuple ? Ce faisant, la gestion du système scolaire ne se fait que dans un rapport de force constant duquel, depuis 1945, la Nation n’est jamais sortie vainqueur tant son École lui échappe et l’écart entre elles s’agrandit.

 

 Revenons à 1975, année où un gouvernement de droite faisait voter la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées. La société s’ouvrait, enfin, aux personnes en situation de handicap qui désormais bénéficiaient des mêmes droits et avantages que les personnes valides. L’École était particulièrement interpellée par cette loi qui indiquait clairement que le lieu premier de scolarisation des enfants handicapés est l’école « ordinaire ». Or cette institution, siège d’intellectuels majoritairement de gauche, amplement aidé par des ministres, de droite, qui n’osèrent pas être fermes, n’avait toujours pas mis en œuvre convenablement la loi en 1982. C’est ce que rappelèrent par deux fois, en janvier 1982 puis janvier 1983, Nicole Questiau[3], ministre de la santé, et Alain Savary, ministre de l’éducation nationale. Malgré tout, chacun fut à même de mesurer le peu d’effet des lois, des textes réglementaires et des discours ministériels. Si bien qu’il fallut toute la pugnacité de Ségolène Royal, dont les enseignants disaient qu’elle était la ministre des parents d’élèves, pour que les choses commencent à bouger de façon significative. De cette affaire nous pourrions retirer la question de savoir si pour la Nation et les usagers de l’école, il vaut mieux que soient des professeurs intellectuels et de gauches, ou que soient des professeurs charitables et de droite ? Mais, à la décharge des enseignants, qui dans ce cas ne sont pas les modèles que voulait Jules Ferry, leur peu d’empressement à accueillir ces élèves rencontrait le soutien d’une large majorité de parents craintifs devant un accueil dont ils craignaient[4] qu’il pût ralentir la progression de la classe donc mettre en péril celle de leur enfant. Mais personne, bien sûr, ne s’opposa jamais de front à ce que les élèves handicapés aient une place, leur place, à l’École. Tous réclamèrent moyens et formation des enseignants, on sait que malgré les uns et l’autre la situation n’évolua qu’à la marge, une toute petite marge.

 

 L’attitude de soumission et parfois de connivence forte des parents d’élèves au discours du monde enseignant est remarquable en ce qu’il semble être le résultat d’un double mouvement. Un premier mouvement, affectif, qui consiste à ne pas prendre de risque vis-à-vis de son enfant qui pourrait être confronté à des réprimandes de la part d’enseignants fâchés par la position des parents. Donc il ne faut pas alourdir les classes, comme le disent les enseignants, mais à aucun moment on avance qu’on pourrait travailler autrement ou avec des aides extérieures[5]. Dans le même mouvement, en synergie, il ne faut pas fâcher les professeurs car cela, comme si c’était possible, pourrait se retourner contre son enfant. N’y aurait-il pas là une réminiscence d’un passé scolaire ?

 

 Curieusement autant pour le « grand public », les parents que pour beaucoup d’enseignants, le second mouvement est celui qui consiste à accorder une crédibilité totale et sans faille au discours médian sur ce que seraient les conditions convenables pour un bon acte pédagogique. Là, l’École se noie dans une doxa molle composée d’un discours syndical de promotion des intérêts corporatistes et celui trop souvent réducteur des médias. Cette doxa est le lit du développement de tous les paradoxes, si l’on entend par paradoxe toute proposition contraire à l’opinion communément admise ou à la vraisemblance. Là, l’expérience des chercheurs va à l’encontre de l’opinion communément établie, comme à propos du redoublement ou des devoirs à la maison. Personnes n’a jamais pu apporter la preuve qu’un redoublement fût efficace ou simplement qu’il fût la cause d’un succès postérieur. À bien regarder la souffrance de ce garçon dans le film « Être et avoir », dans la cuisine familiale, en train d’essayer de faire quelques multiplications, on voit bien que les devoirs à la maison ne servent que ceux que les parents peuvent « intellectuellement » et efficacement aider, donc ceux qui n’en ont pas besoin. L’opinion commune bat en brèche la vraisemblance et se heurte avec celle des chercheurs.

 

 C’est comme cela que professeurs, installés dans leurs habitudes intellectuelles, ainsi que corporatistes, et parents apeurés et sous informés se réunissent dans la rue pour protester contre un projet, à peine embryonnaire, de réforme du baccalauréat. Contrairement au certificat de fin d’études primaires de jadis et aujourd’hui au brevet des collèges, le baccalauréat marque plus l’achèvement d’une propédeutique que la fin d’un cycle de scolarisation. Le certificat n’existe plus, quant au brevet il n’est pas nécessaire de le posséder pour accéder à la classe de seconde. Pour le baccalauréat il en va autrement : il est inutile pour l’insertion professionnelle, il ne sert que de sésame pour être autorisé à s’inscrire à des concours, à entrer en classe préparatoire aux grandes écoles ou pour l’accès à l’université, encore que dans ce dernier cas il y ait d’autres modalités.

 

 En quoi la réforme, nécessaire bien qu’insuffisante, proposée par François Fillon mettrait-elle en péril cette institution d’un autre âge qu’est le « bac » ? Qu’il y ait contrôle continu ou pas, qu’il soit délivré par tel ou tel lycée n’a aucune importance pour l’entrée dans la vie professionnelle où il ne représente plus rien. Pour le cas des concours, il n’y a pas d’incidence puisque les épreuves sont anonymes. Dans le cas de l’université, celles-ci ne décident pas des modalités d’inscriptions qui sont fixées par des règlements nationaux. Restent les classes préparatoires pour lesquelles on sait depuis longtemps qu’une sélection est effectuée en fonction du lycée d’origine. Au-delà de cette crainte infondée, d’autant que le ministre a annoncé que le diplôme resterait national, notons à quel point les discours, des lycéens, des professeurs et des partis politiques de gauche, sont tout aussi paradoxaux que contradictoires. Alors qu’on souhaite le maintien des travaux pratiques encadrés (TPE) qui sont largement évalués en contrôle continu, on refuse l’introduction de toute notation en contrôle continu pour les autres matières. Plus curieux, ces jeunes sont soutenus par ceux-là mêmes qui, dans les années 1968, réclamaient le contrôle continu voire l’abolition des examens au nom de l’iniquité de ceux-ci. Pire, sans doute, les politiques qui aujourd’hui protestent, sont ceux qui, hier, faisaient inscrire le contrôle continu dans le code de l’éducation : « En vue de la délivrance des diplômes, il peut être tenu compte, soit des résultats du contrôle continu, soit des résultats d’examens terminaux, soit de la combinaison des deux. ». Arguons que protester aujourd’hui et mettre les lycéens dans la rue peut cacher la couardise d’hier.

 

 

[1] Ce propos ne présage pas de la qualité du ministre ni de celle des réformes qu’il propose.

[2] Le collège ressemblerait à l’école primaire. À cette époque les lycées, surtout ouverts aux enfants « bourgeois » des villes accueillaient un cycle équivalent à l’école communale, mais on ne parlait pas de cycle « primaire » ; ces classes ne s’appelaient pas CP, CE1…CM2 mais 11ème, 10ème et 7ème.

[3] Nicole Questiau et Alain Savary étaient ministres du premier gouvernement (socialiste) de François Mitterrand.

[4] Comme déjà au 19ème siècle.

[5] Depuis quelques années on accepte dans l’École des personnels extérieurs à l’enseignement, les AESH (AVS) chargés d’accompagner les élèves en situation de handicap, mais ces personnes sont recrutées et rémunérées par l’éducation nation. L’École aurait pu faire appel à des personnels formés pour ce travail que sont les éducateurs spécialisés.



4 réactions


  • JC_Lavau JC_Lavau 14 juin 2019 09:27

    D’une part l’article est hyper-affectif, d’autre part il est pratiquement illisible.

    Concrètement, qui doit faire quoi au lieu de quoi ?


    • LATOUILLE LATOUILLE 14 juin 2019 18:38

      @JC_Lavau
      merci pour votre commentaire
      pouvez-vous m’en dire plus sur pourquoi il est hyper-affectif, et sur les raisons qui le rendent illisible. Merci, vos commentaires m’aideront pour la suite… bien cordialement


    • Allexandre 14 juin 2019 21:30

      @JC_Lavau
      Je suis d’accord avec vous. On ne saisit pas la finalité de l’article, ce qui est à revoir, et de plus, la réponse à l’interrogation supposée par le titre n’est absolument pas claire, si tant est qu’il y en ait une.
      C’est d’autant plus dommage que le sujet est grave et pouvait déboucher sur des arguments et constats de qualité.


  • Venceslas Venceslas 15 juin 2019 01:20

    Docteur en « Sciences » de l’Education...

    Tout est dit.


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