CoViD-19 – 13 : vaccination à qui la faute
Concernant l’organisation de la vaccination contre la CoViD19, le moins que l’on puisse dire c’est que le gouvernement a pédalé dans le sable. On a pu remarquer un énorme décalage entre les intentions annoncées par le président de la République, reprises par les ministres et la mise en œuvre.
La première faille a été la date du début de la campagne. Emmanuel Macron avait annoncé le mardi 24 novembre que la vaccination contre la Covid-19 débuterait « "dès fin décembre, début janvier" pour "les personnes les plus fragiles". "Certains (vaccins) seront disponibles dès la fin décembre » », et il ne cessait de répéter, comme dans la méthode Coué, que l’ensemble de pays européens débuterait le même jour. Pas de chance, l’Allemagne lui a fait un croque en jambes en débutant la vaccination le 26 décembre, devançant tous ses homologues. On pourrait alors excuser le gouvernement français de son retard puisqu’il avait prévu de débuter plus tard. À bien regarder la situation, ce ne sont pas quelques jours (le 26 au lieu du 29 ou 30 décembre) qui peuvent expliquer l’impréparation du dispositif de vaccination.
Sachant que la campagne devait débuter au plus tard dans la première semaine de janvier comment se fait-il que rien n’était prêt ? Pas de centres de vaccination désignés, peu de super‑congélateurs achetés, pas d’organisation de la logistique des transports organisée, nombre de doses incertain, services hospitaliers et personnel médical pas informés des protocoles qui ne leur sont parvenus, au mieux, que la veille au soir, pas d’organisation des prises de rendez-vous (les plateformes n’ont été ouvertes que le 14 janvier), en bref le foutoir le plus complet.
Alors, il fallait trouver un responsable ; ce fut l’Administration et ses fonctionnaires qui firent figure de bouc émissaire dont les élus et les journalistes sont friands. C’est tellement plus facile de rejeter la responsabilité de ses erreurs sur un autre plutôt que de faire l’analyse de son propre fonctionnement. Mais, quelle est la place de l’Administration dans la prise de décision et dans l’organisation des politiques publiques.
Je ne ferai pas ici un cours de gestion publique pas plus que d’histoire et de fonctionnement de la fonction publique qui, notons‑le au passage, n’est ni pire ni meilleure que celle d’autres pays. Je ne rappellerai que quelques points essentiels. D’abord l’Administration ne décide jamais, elle ne fait que mettre en œuvre des décisions prises par le gouvernement. Ceci est d’évidence pour les fonctionnaires « de base » mais aussi pour les Hauts Fonctionnaires qui peuvent avoir une force propositionnelle auprès d’un ministre, mais c’est le Ministre qui décide et dans le cas d’une situation de crise comme celle que nous vivons ce n’est même pas le ministre qui décide ; les propositions sont discutées en Conseil des ministres ou en Conseil de défense sanitaire et c’est le président de la République qui prend les décisions. Dès lors on pourrait peut-être reprocher aux fonctionnaires de manquer d’initiative, d’innovation, et je rejoins volontiers ce que dit la politologue Chloé Morin : « Dans la haute administration, rien n’est plus abominable que l’originalité ». Peut-on être original, a‑t‑on le droit d’être original dans un système de gouvernance extrêmement autocentré autour du chef, du leader aurait sans doute dit Max Weber ? Philippe Besson, très proche d’Emmanuel Macron et de son épouse, ne déclare‑t‑il pas au journal Le Monde (9 janvier 2021) : « Emmanuel, on peut tout lui dire, mais ça le fait assez peu changer d’avis ». Les erreurs, les ratés à l’allumage sont bien de la responsabilité du seul Emmanuel Macron soit qu’il ait pris de mauvaises décisions, soit qu’il ait insuffisamment « encadré » ses ministres. Ce vielle adage militaire qui veut qu’un ordre mal exécuté soit un ordre mal donné, n’a jamais eu autant de sens qu’en ce moment si nous voulons supposer que l’Administration serait porteuse du péché originel comme veulent le prouver les critiques d’Emmanuel Macron contre ses ministres, et celles des députés, principalement de LREM et de LR, contre l’Administration.
Donc l’Administration exécute mal les consignes, travaille mal parce que ses fonctionnaires sont incompétents et en raison de la bureaucratie. La bureaucratie ne se réduit pas, sauf pour des détracteurs incultes, à l’organisation d’une paperasserie tatillonne, d’ailleurs il ne faut pas reprocher à l’Administration la mise en place du recueil de consentement dans les EHPAD qui ne faisait que répondre à la demande des médecins et des directeurs d’établissement peu assurés à l’époque de l’innocuité des vaccins anti-CoViD. La bureaucratie est un modèle d’organisation élaboré par le sociologue allemand WEBER (1864-1920) reposant sur des "bureaux" chargés des différentes fonctions administratives. C’est un mode d’organisation qui se veut rationnel, fondé sur le droit et les règlements, qui doit empêcher "l’a peu près" et des prises de décisions arbitraires. Dans ce modèle l’autorité du chef est légitimée mais elle repose sur la routine et la croyance en l’essentialité de l’autorité du chef. La routine repose sur la certitude de la prévisibilité des réactions de l’ensemble des éléments du dispositif. Ce modèle ne fonctionne que sur le recours à des procédures écrites ce qui évite (normalement) toute ambiguïté lors de leur mise en œuvre : ce sont les circulaires, les notes de service… Le système bureaucratique repose sur quatre grands principes :
- La division du travail : afin d’augmenter la productivité ;
- La structure hiérarchique : fixe les différents niveaux d’autorité de l’organisation, l’acheminement de l’information, le rôle exercé par chacun de ses membres ;
- La communication verticale : consiste à faire circuler l’information en respectant la hiérarchie : du haut vers le bas ;
- L’information écrite : les notes de service, règles et procédures sont établies par écrit afin d’éviter les erreurs d’interprétation.
Si ce modèle a été décrié dans le monde de l’entreprise, bien qu’il y perdure souvent, il l’a été moins dans l’Administration et s’est trouvé confronté dans les années 1980 au New Public Management qui au nom de l’efficacité et de l’efficience recommandait d’introduire au sein des structures et procédures bureaucratiques du secteur public des principes inspirés du secteur privé. La manifestation la plus visible fut la déconcentration des services publics est leur déconcentration où les responsabilités stratégiques restent entre les mains de l’administration centrale, alors que l’exécution des politiques est de plus en plus souvent confiée à des entités autonomes, généralement désignées par le terme d’agences. C’est comme ça que sont nées les Agences Régionales de Santé. On ne peut pas écrire que le New Public Management a apporté une réelle amélioration dans la gestion des politiques publiques. On a vu par exemple comme une ARS ne fait qu’appliquer des directives de l’État en matière de fermeture de lits d’hôpitaux, leurs marges de manœuvre sont extrêmement réduites. Cet échec peut être attribué à l’incapacité de l’État, notamment de l’organe politique, à se séparer d’une partie de « commandement ». On le voit avec la déconcentration autant qu’avec la décentralisation, et cette incapacité est encore plus marquée dans un État autocentré autour de la personne du chef de l’État qui a mis en place une gouvernance et une communication d’une extrême verticalité.
Donc si, et c’est possible, l’Administration fonctionne mal c’est que la « machine de l’État » décisionnelle fonctionne mal. Si la France était dépourvue d’une réserve de masque chirurgicaux en mars 2020 c’est parce que des ministres ont décidé de ne pas renouveler le stock, si les congélateurs ne sont pas arrivés en France en novembre ou début décembre c’est soit que le Ministre n’a pas demandé qu’ils soient commandés, soit qu’il l’ait fait sans s’informer de l’exécution de sa demande… La tentation est forte alors, surtout avec des amoureux du système entrepreneurial et des start-up, de se tourner vers des entreprises privées pour agir à la place de l’Administration. Mais, qu’il s’agisse d’entreprises d’action ou de cabinets d’expertise ce recours n’a pas vraiment prouvé qu’il soit plus efficace que l’Administration, en tout cas en matière d’amélioration du bien-être des populations, ni qu’il coûte moins cher. Ces cabinets, experts en tout, sont constitués très majoritairement par des économistes et des ingénieurs issus des grandes écoles et qui sont passés par des postes d’encadrement supérieur dans les grandes entreprises, ils appartiennent aux mêmes réseaux que bien des politiciens ; en outre pour un politicien travailler avec eux offre une possibilité de reconversion en cas de « malheur politique ». Dans le cas de la gestion de la crise sanitaire actuelle et de l’organisation de la campagne de vaccination Emmanuel Macron a eu recours à 4 cabinets d’experts, où est le succès ; en revanche l’addition est vraisemblablement conséquente. Or il n’est pas prouvé que nos services de sécurité civile, l’armée ou encore les sapeurs‑pompiers et les associations caritatives soient incompétentes en la matière ; c’est le contraire que prouve l’envoi de militaires au Liban pour venir en aide aux populations sinistrée en prenant, notamment, en charge les opérations de logistique. De la même façon le gouvernement a fait appel à deux entreprises privées pour organiser la prise de rendez-vous pour épauler le service public responsable de la plateforme « santé.fr ». Je suis allé sur ces plateformes et voilà ce que j’en écrivais sur Facebook à l’issue de mon expérience : « Vaccin : ce matin vendredi 15 janvier je viens d’essayer de m’inscrire en utilisant les plateformes. Sur santé.fr et sur doctolib : super on a accès à la liste des centres de vaccination du département (pour moi la Vienne), avec n° de téléphone et lien pour prise de rendez-vous en ligne. La prise de rendez-vous (les premiers sont proposés fin janvier) en ligne renvoie à un formulaire où sont rappelées les conditions à remplir et mentionne l’exception des maladies rares qu’on devrait trouver sur le site du ministère.
Problème 1 : c’est la galère pour trouver la liste, j’ai dû passer par un moteur de recherche.
Problème 2 : la plateforme maiia ne propose aucun centre de vaccination dans la Vienne ! Et son pdg vient faire le malin sur les télévisions notamment BFM.
Donc l’administration (sante.fr) fonctionne bien mieux que certaines boîtes privées, que certaines start-up. Vive Macron et la gabegie des dépenses publiques ! » La start‑up maiia ne fonctionne pas mais ce n’est pas grave puisque son jeune patron expliquait sur BFM TV que sa prestation est quasiment gratuite.
Une fois encore nous sommes confrontés, et victimes, de l’impéritie du gouvernement, de l’orgueil du président de la République, de son mépris pour les personnes et de son engouement pour les élites du monde marchand et de la finance internationale. Livrer l’Administration et les fonctionnaires en pâture à la vindicte populaire ne nous sauvera pas des affres de la pandémie. Rendre les gouvernants et les députés intelligents, ou moins sots et une gageure d’autant que le danger avec les sots c’est que ne sachant pas qu’ils sont sots, ils osent tout, même le pire.
À tout cela il faut ajouter l’absence de transparence sur le coût des vaccins, sur le choix des fournisseurs : pourquoi Pfizer dont le vaccin coûte presque 19€ (communiqué par une fausse manœuvre d’une ministre belge) alors que Oxford‑Zénéca vend le sien 1,56€, pourquoi Pfizer malgré les difficultés logistiques lié à la conservation et transport de son vaccin, et Pfizer déclare ce 15 janvier qu’il n’est pas en mesure de répondre à la demande... Là où on pouvait voir une volonté d’agir vite en faisant appel aux vaccins par ARNm on s’aperçoit qu’en termes pratiques on ne fera pas mieux, voire plus mal, que si on avait attendu un vaccin classique. Bien sûr il faut voir là l’orgueil de certains scientifiques tellement fébriles à l’idée de mettre en œuvre une technique vaccinale nouvelle, la précipitation des gouvernants tellement échaudés par leur échec du début de l’année 2020 et apeurés de se confronter à une colère populaire, en France en particulier où se profile l’échéance électorale de juin 2021, et l’engouement des journalistes plus avides de sensationnalisme que d’enquêtes de terrains. Enfin, ne faut-il pas, outres sa « centralité », se poser la question du rôle d’Emmanuel Macron dans ce fiasco ? Responsable il l’est parce que c’est lui qui définit la stratégie et prend les décisions, mais au‑delà que signifie cette comédie dans laquelle il profite d’un changement de stratégie pour vilipender ses ministres sans reconnaître sa part de responsabilité ? N’aurait‑il pas mis en œuvre le fiasco qui l’aurait débordé mais qui lui permet, jouant les pères fouettards, de prendre un de ces rôles messianiques qu’il affectionne ?
PS : que penser de la subite rupture de stock chez Pfizer ?