Covid 19 – 6 quater : les assassins sont en liberté
Décidément on n’en finit pas avec la communication cacophonique et délétère à propos de la Covid 19. Depuis quelques jours l’irresponsabilité des uns et la bêtise d’autres, parfois les deux à la fois, s’ajoute à la cacophonie généralisée depuis le début de cette pandémie et à l’inaptitude du gouvernement à gérer cette crise à moins qu’il ne s’agisse d’une volonté délibérée de gérer le pays par la peur. La France a atteint, cette semaine, une acmé dans la sottise et dans l’exposition de l’inintelligence.
Le premier de cordée de l’ascension du Mont Bêtise est le président Macron en personne qui déclarait devant des étudiants à Vilnius : « “jamais tant de sacrifices” n’avaient été demandés à la jeunesse en Europe que dans cette période de crise sanitaire, ce qui crée pour les dirigeants, “Ce qui n’a pas d’équivalent dans notre histoire contemporaine est qu’on demande les plus grands sacrifices à notre jeunesse pour protéger les plus âgés ” ». Discours d’opportunité comme Macron en a l’habitude, mais quel message malpropre véhiculé dans ses propos. Quels sacrifices a-t-on demandé à la jeunesse qu’on n’aurait pas demandé aux autres ? Pense‑t‑il que parmi ces personnes âgées qu’on aurait voulu protéger, certaines ont fait le sacrifice de leur jeunesse en 1940‑1945 ? Pense-t-il aux personnes âgées et aux personnes en situation de handicap qui se sont trouvées isolées, qui ont vu leurs soins réduits au minimum voire supprimés du fait du confinement et de l’absence de personnel ? Pense-t-il à tous ces malades qui ont vu leurs soins ou leur opération chirurgicale repoussée et pour lesquels leur maladie s’est aggravée voire devenue irrémédiablement incurable, certains sont morts faute de soins mais l’État le tait avec la complicité des médecins ? Pense-t-il à ces milliers de gens dont de très nombreux étudiants qui sont allés augmenter le nombre des attributaires des épiceries sociales et qui ne sont pas ceux qui fréquentent assidûment les bars et les restaurants ? Non, il les méprise, peut-être même ignorent‑ils qu’ils existent ? Il ose avancer que ces mesures ont été prises « pour protéger les plus âgés », certes les plus âgés, comme pour toute maladie, sont plus vulnérables mais, dans ce discours, exit des jeunes pour lesquels la létalité était faible mais qui garderont des séquelles cardio‑ventilatoires, neurologiques, motrices à vie. Un discours stupide à visée uniquement marketing : faire de l’image. On l’aurait pensé plus respectueux de la vieillesse compte tenu de sa vie sentimentale, mais il sait qu’il a perdu l’électorat des retraités, alors autant les enfoncer et en faire les boucs émissaires des malheurs du monde, alors il flatte particulièrement la jeunesse qui pourrait être un potentiel électorat. Ce discours de Vilnius est dans la même veine communicationnelle que celui qu’il avait prononcé devant les étudiants de Ouagadougou en novembre 2017 : il s’agit de faire de la gonflette médiatique en vue de 2022.
Bien sûr les études ont été perturbées et le demeurent, mais concernant les étudiants de la geek génération nous pouvons penser qu’ils ne seront pas désemparés devant des cours en ligne ou des MOOC. Bien sûr il y a plus de difficultés pour trouver un emploi mais les gens déjà en activité professionnelle ne sont‑ils pas aussi touchés par ce chômage et les difficultés à trouver un nouvel emploi ? D’ailleurs ne sont-ils pas plus en difficulté du fait, entre autres, de la complexité des mobilités quand on a une famille et qu’on est propriétaire de son logement, à quoi s’ajoutent de moindres facilités à la conversion professionnelle. Certes il s’exprimait devant des étudiants, est-ce que cela empêchait un discours global ? Est-ce que devant les jeunes il ne faut parler que des jeunes en les tenant à distance des réalités de la société et des besoins du bien commun ? Macron est plus que clivant, il aime à jouer les uns contre les autres, pourvu qu’il paraisse et soit adulé.
Donc, à l’issue de ce discours, la jeunesse et avec elle les fêtards de tous acabits notamment les adeptes des nuits débridées et sonores en ville se sont sentis en droit de revendiquer de pouvoir continuer leurs bacchanales au mépris de toute raison sanitaire et bon sens social. Pour les aider à revendiquer ce « droit au plaisir » les propos de plusieurs sources professionnelles convergent vers l’appel au crime, car refuser de prendre des précautions c’est prendre et faire prendre aux autres le risque d’être malade et pour certains de devenir invalides ou de mourir.
À leur tête, parce qu’ils apportent une caution intellectuelle, on trouve certains philosophes et sociologues. Certes les mesures barrières et les fermetures de certains établissements constituent une limitation à la liberté. Dans les années 1970 on entendait un discours analogue à propos de l’obligation du port de la ceinture de sécurité en voiture, du contrôle du taux d’alcoolémie et de la limitation de vitesse, mais combien de morts évités : environ 18 000 par an dans cette décennie moins de 4000 aujourd’hui, et combien de jeunes sauvés du handicap ! Alors les philosophes comme les sociologues n’ont pas tort sur le fond si on ne reste que dans le cadre d’un débat intellectuel, mais celui‑ci est-il opportun en ce moment, n’ouvre‑t‑il pas plus à la polémique qu’à la raison, n’est-il pas une incitation à la désobéissance et au laisser‑aller ?
Puis il y a ces médecins qui affichent leurs doutes sur l’efficacité des mesures, l’un d’eux - un nommé Wargon ‑ étalait à la télévision ses doutes sur l’efficacité du masque. Comme les précédents « savants » (philosophes et sociologues), ces médecins‑là qui d’ailleurs ne cessent de nous dirent qu’ils ne savent rien de ce virus, entretiennent un esprit de suspicion contre les mesures gouvernementales complètement délétère. J’aime bien cet adage qui dit pour certains remèdes que s’ils ne font pas de bien ils ne font pas de mal, c’est le cas des mesures prises (parfois) par le gouvernement, en tout cas c’est le cas du masque, des mesures barrières et de la limitation des rassemblements, ça ne fait peut-être pas de bien mais ça ne fait pas de mal et ça vaut de les mettre en œuvre face à une pandémie qui se développe. Avec toutes les précautions nécessaires lorsqu’on la cite en exemple, les mesures drastiques prises en Chine semblent avoir porté leur fruit, il faut aussi citer l’Italie. Par ces discours on autorise les individus les plus insouciants à encore plus d’insouciance et on les transforme en véritables criminels d’une guerre bactériologique pour reprendre l’analogie de Macron en mars dernier.
Le pompon appartient aux professionnels de la restauration et des débits de boissons. Que ces individus aient envie de sauver leur entreprise, et accessoirement conserver l’emploi de leurs salariés, est à la fois légitime, peut s’entendre et se comprendre. Faut-il le faire au prix de la santé et de la vie des gens ? La question étant posée il faut avant toute analyse s’étonner de deux choses : si les bars et les restaurants sont des lieux de forte contamination pourquoi ne pas appliquer les mêmes mesures sur tout le territoire, deuxièmement ne faut-il pas distinguer bars et restaurants ? La première question me fait penser à une plaie hémorragique en présence de laquelle on n’agit pas tant que le flux de sang n’est pas important — mais qui et comment juge‑t‑on de cette importance — et que le blessé n’est pas proche de l’état de choc. Alors, à Marseille où le seuil d’alerte est dépassé on ferme bars et restaurants, ailleurs on attend - vigilant bien sûr‑ d’atteindre ce seuil. La raison ne commanderait-elle pas qu’on applique la règle de précaution et d’anticipation, donc qu’on mette en place des mesures drastiques sur l’ensemble du territoire ? Au‑delà de la problématique de la pandémie, la réglementation des bars est à questionner en tant qu’elle est corollaire à un certain mode de vie urbain. Quelle société avons‑nous laissée se mettre en place où le principe de plaisir individuel l’emporte sur toute autre considération du bien‑être commun ? Est-il humainement et sociétalement légitime de laisser une jeunesse (elle se prolonge dans certains milieux jusqu’à quarante ans et plus) s’enivrer toute la nuit, parfois toutes les nuits ? Je me souviens de ces doyens de faculté qui ont supprimé tous les examens le vendredi matin en raison du fameux jeudi estudiantin, et prend‑on en compte tous ces gamins qui meurent de leur beuverie comme à Poitiers récemment où un étudiant de deuxième année de classe préparation est tombé de la fenêtre du 6e étage, se souvient-on de l’accident de balcon à Anger ? Les tenanciers de débits de boissons prétextent pour réclamer qu’on ne ferme pas leurs établissements que les jeunes iront festoyer chez eux. Donc ils préfèrent être complices voire instigateurs des dégâts de santé qui ravagent la jeunesse ; faut-il ici décrire ces ravages : troubles de l’attention et du comportement, accidents de la circulation, troubles cardiaques et cancers dont certains n’apparaîtront que lorsque ces fêtards auront atteint 40 ou 50 ans, etc. Comment prend‑on en compte la santé des riverains qu’on prive de sommeil puisqu’il est de bon ton de festoyer en terrasse jusqu’à 2 ou 3 heures du matin en plus des déambulations dans les rues d’un établissement à l’autre. Tout cela a un coup, en termes de santé et de soins, pour le pays ; demande‑t‑on aux tenanciers de bars de renflouer les caisses de la Sécurité sociale au prorata des dégâts qu’ils contribuent à perpétrer ? Est-ce que la part de PIB générée par cette activité compense les dépenses de santé conséquentes ? Qu’ils ne viennent pas nous raconter que la profession est sinistrée. À Poitiers il y a bien plus de bars et de boîtes de nuit qu’il n’y a de commerces autres mais la maire a récemment rappelé l’importance pour la ville que représentent les 29 000 étudiants qui s’abreuvent chez eux d’abord, puis dans les bars ensuite pour finir dans les boîtes de nuit aux alentours de 5 heures le matin laissant derrière déchets et vomissures ; la ville est proche de n’être qu’un vaste lupanard (voire l’hebdomadaire de Poitiers : Le 7, https://www.le7.info/uploads/pdf/5f71d4be61af9.pdf). C’est donc à ça que nous invitent ces tenanciers de bars qui souhaitent le maintien des ouvertures tardives au risque de se faire, j’insiste, complice de la déchéance d’une partie de notre jeunesse. Quant au fait de mettre en balance les fêtes dans les appartements, si la règle du tapage nocturne inscrite dans le Code pénal était appliquée nous n’en serions sans doute pas à compter les défenestrations ; mais pour ça il faut des policiers en nombre suffisants et que ceux‑ci veuillent bien considérer que la protection du citoyen lambda est un acte professionnel aussi noble que de courser les petits dealers dans les banlieues. Les philosophes et les sociologues cités plus haut crieront à l’attentat contre les libertés individuelles… Je les laisse à leur fumure intellectuelle.
Reste que les restaurants ce ne sont pas les bars, mais quel besoin a‑t‑on créé que de se restaurer au‑delà de 23 heures ? Jadis, dans les années avant 1980 les restaurants ne servaient qu’exceptionnellement au‑delà de 23 heures et n’étaient autorisés à servir au-delà que les clients attablés avant 23 heures et uniquement en intérieur. Aujourd’hui les terrasses sont un nouvel élément de pollution de la vie des riverains ; non satisfait de cet état de fait le gouvernement largement soutenu par les municipalités a autorisé les tenanciers à étendre leur terrasse au détriment des piétons notamment les plus en difficulté : personnes âgées, personnes à mobilité réduite. Alors une fermeture des restaurants à 23 heures n’aurait rien de révoltant, en tout cas ce serait une œuvre de salubrité publique.
Bien sûr tous ces tenanciers, les plus célèbres des restaurateurs en tête notamment les vedettes de la télévision, arguent que leurs établissements ne sont pas des clusters contrairement aux cantines scolaires. Le temps que les élèves passent à la cantine est tellement inférieur à celui du temps de séjour dans un restaurant ou un bar que relever cette comparaison c’est faire injure à l’intelligence. Comme disait un de mes amis : « si on mettait un bonnet blanc sur la tête de tous les cons on n’aurait plus besoin de canon à neige », heureusement bien des chefs ont troqué la toque blanche contre un bonnet noir ou rien. Laissons là cette affaire et parlons clusters. Cluster est un terme des sciences économiques apparu à la fin du 19° siècle pour désigner « la concentration géographique d’entreprises interdépendantes : fournisseurs de biens et de services dans des branches industrielles proches », il y a donc l’idée d’une communauté d’individus dans un cadre géographique circonscrit et pendant une durée repérable. Aujourd’hui, dans le contexte de la Covid 19 les autorités sanitaires emploient, un peu abusivement, ce terme lors de l’apparition de cas groupés de personnes testées positivement au Covid-19. On voit bien que ni les transports en commun ni les débits de boissons et les restaurants ne peuvent donner naissance à un cluster, il faudrait que les gens qui les ont fréquentés soient clairement identifiés et qu’il y ait eu l’existence d’une cohabitation durant un temps et une durée repérés. C’est pour ces raisons qu’on a repéré les premiers clusters dans les réunions familiales, puis les rassemblements festifs ou funèbres, puis les EHPAD et enfin avec la rentée scolaires les clusters se sont constitués dans des établissements scolaires et dans les universités. Toutefois le repérage d’un cluster ne donne qu’une indication de lieu par conséquent d’un nombre de cas contact mais n’informe pas de l’origine de l’infection. Le virus n’apparaît pas par génération spontanée dans un cluster, il y est importé et les études ont montré que les gens ayant fréquenté un restaurant ont plus de chance (statistiques) de développer une infection à la Covid, que cette « chance » est supérieure pour ceux ayant fréquenté un bar, et ainsi on a pu montrer que les clusters dans les universités trouvaient leur origine contaminante chez des étudiants ayant participé à des soirées festives à domicile ou dans un bar. Donc, par essence et par définition les restaurants et les bars, sauf à enregistrer les coordonnées des clients, que ceux‑ci se prêtent à un test de dépistage et qu’on puisse faire le lien entre ces éléments, mais ils sont des lieux de forte contamination. On pourrait, ce n’est pas le cas en ce moment, mettre en place une identification et un suivi des clients de chacun des bars du pays, mais ce serait d’autant plus coûteux que ça ne préserverait personne de l’infection, ça ne permettrait que d’identifier des clusters dans ces établissements. Alors respectons les consignes ce qui n’est pas le cas, donc allons jusqu’à limiter les horaires d’ouverture des bars et que les ignorants se taisent et n’incitent pas notre jeunesse au crime et au suicide sanitaires.
Terminons par ces politiciens avides de notoriété et qui n’inscrivent leur action politique que dans une démagogie éhontée. Ceux‑là mêmes qui pleurent sur la perte de l’autorité sont venus porter devant le public par médias interposés leur désaveu de l’action gouvernementale sans autres arguments que des calembredaines populistes, sans fondement scientifique, sans « raison raisonnable » et loin de la maxime de Kant — mais ils ne l’ont pas lu — : « Une action accomplie par devoir tire sa valeur morale non pas du but qui doit être atteint par elle, mais de la maxime d’après laquelle elle est décidée » et cette maxime devrait être « Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi universelle. » Ainsi ceux qui veulent l’autorité la piétinent, ce qui ne veut pas dire qu’il faille se taire. Mais, le téléphone ou la visioconférence avec un ministre est assurément moins nocif pour la vie sociale et politique que ces interpellations dignes des harengères de la rue Poissonnière. Remarquons qu’entre les bancs de poissons du vieux port et la rue parisienne la distance linguistique est sans doute mince. Ajoutons à cela que les chiffres des uns et des autres sont peu explicites et souvent trop instrumentalisés. Que penser d’un président de Région qui, à la télévision, acquiesce à la remarque du journaliste qui lui faisait remarquer que le ministre s’était déplacé dans sa ville mais qui croit intelligent d’ajouter : « il est même venu avec un membre du conseil scientifique qui n’a dit que des bêtises comme c’est son habitude », que penser d’une sénatrice qui, toujours à la télévision, annonce que la police ne contrôlera pas l’exécution des consignes édictées par le gouvernement ? Deux remarques d’une grande stupidité qui pousse certains au crime sanitaire !
Voilà comment du président de la République jusqu’au plus humble des cafetiers, pour des raisons strictement personnelles à chacun, on prend la tête d’un gang de criminels. La jeunesse est ainsi propulsée dans la société comme une arme bactériologique uniquement pour servir les intérêts des uns et des autres, tout en lui laissant croire qu’il n’y a pas de vie possible sans ces bacchanales incessantes. C’est là qu’on voit que le psychologue Jean Piaget avait raison lorsqu’il disait que l’intelligence ce n’est pas la somme des connaissances d’un individu mais la qualité de ses actions. Demain matin chacun, président, ministre, politicien complaisant, tenancier de bar et de restaurant, verra son visage dans son miroir : que dira‑t‑il à ses enfants à qui la télévision aura annoncé le nombre de morts, le nombre de porteurs de séquelles de la Covid 19 ? Demain chacun, ceux cités et ceux qui ne respectent pas les « gestes barrière » notamment cette « jeunesse », devra rendre compte de ses actions.
Cette situation, anxiogène et révoltante, est la conséquence de la sottise native des gens, de leur envie de paraître et de leur orgueil mais sans doute aussi de la façon assez calamiteuse avec laquelle le gouvernement, certains élus, certains médecins gèrent cette crise et communiquent à son propos.