CoViD-19 – 7 : les vieux boucs émissaires d’une crise
Toute crise porte en elle potentiellement la possibilité d’émergence d’un bouc émissaire, plus encore lorsqu’il s’agit d’une crise sanitaire où la peur est omniprésente. Quand on n’a pas d’explication rationnelle à une crise sanitaire, quand on ne sait presque rien à propos d’un virus responsable d’une épidémie et surtout qu’on ignore comment soigner les ravages qu’il engendre, on a besoin de mettre de « la compréhension » sur le processus, ainsi Jean Delumeau, auteur de La Peur en Occident (14e – 18e siècles), écrit : « Nommer des coupables, c’est ramener l’inexplicable à un processus compréhensible. » Dans le cas de la pandémie de la COVID19 la peur est sans doute là, sous de multiples formes, renforcée par l’ignorance de la science vis-à-vis de ce nouveau virus ; cette peur cherche un chemin de conjuration dans des formes aussi multiples qu’elle-même, aussi irrationnelles. Par exemple, j’avais écrit comment je voyais dans les séances d’applaudissement en faveur des soignants au printemps dernier plus une façon de conjurer la peur en apportant une offrande aux émissaires (les soignants) d’un dieu rédempteur et salvateur que l’expression d’une solidarité. Si nous n’en sommes pas encore à une chasse aux sorcières qui chercherait une victime expiatoire qu’on désignerait comme responsable de la pandémie, les gouvernants et les médecins, sans doute pour amoindrir les conséquences sociétales de leurs décisions ou plus vraisemblablement pour ne pas prendre de décisions embarrassantes, désignent telle ou telle catégorie de la société pour porter seule le poids de la cause des restrictions à la vie sociale. On crée ainsi un phénomène de bouc émissaire qui, ici, devient seul porteur des choix gouvernementaux comme étant celui sur qui la société fait porter le poids du devoir d’agir et du coût financier et économique pour la sauver. Écartons, isolons, ghettoïsons les personnes âgées, les personnes vulnérables et les handicapés pour sauver la société et éteindre la pandémie ! Pour la suite de l’exposé je regrouperai ces catégories de personnes dites vulnérables sous le terme de « vieux ».
Cette position, bien peu scientifique, repose sur deux erreurs. La première est médicale, les vieux ne transportent pas plus, plutôt moins, le virus que les jeunes ne serait-ce que parce qu’ils se regroupent moins et qu’ils circulent moins : combien fréquentent l’université, combien hantent les bars le soir ? La deuxième est économique, isoler les vieux a des conséquences économiques à court terme car ceux qu’on désigne comme détenteurs d’un pouvoir d’achat supérieur à la moyenne ne peuvent plus dépenser. Mais les conséquences économiques seront surtout à long terme en matière de dépenses de santé : report ou abandon des soins, émergence de nouveaux maux en raison d’un moindre service d’aide à domicile, dépression, etc.
Certes les vieux sont, statistiquement, plus nombreux en réanimation que les jeunes, environ 50 % des lits sont occupés par des personnes de plus de 61 ans. Chose extraordinaire il semble que l’on découvre que les vieux réagissent très mal aux attaques virales et présentent des tableaux symptomatiques graves, n’est-ce pas le cas pour toute maladie. Dès lors on focalise sur eux : n’occuperaient-ils pas trop de lits dans les hôpitaux, notamment en réanimation ? En conséquence le problème ne serait plus celui de lutter contre l’épidémie mais de faire baisser le taux d’occupation des lits de réanimation dont il est vrai que notre système de santé en est fortement dépourvu. Évidemment personne ne peut afficher une telle démarche alors on parle de protection des plus vulnérables « parce qu’on les aime ». On enferme les vieux chez eux, dans les EHPAD ou dans les centres de soins, et pendant ce temps les jeunes continuent à courir le guilledou, à aller de cafés en lieux festifs, buvant et braillant plus qu’il n’en faut pour oublier les gestes barrière et larguer dans l’atmosphère des quantités phénoménales de particules virales qui finissent toujours par infecter les vieux qui devront être isolés, coupés de la société et de leur famille plutôt que de saturer les hôpitaux. C’est bien l’option choisie par le très médiatique Martin Blachier, épidémiologiste co‑manageur de la société privée Public Health Expertise qui vend des services de modélisation médico-économique, qui déclarait le 18 août sur Europe1 : « D’après cette modélisation, en isolant les personnes les plus vulnérables (séniors, personnes atteintes d’un handicap ou d’une maladie chronique), "la courbe s’aplatit et la saturation hospitalière est évitée". Afin que le nombre de morts en France ne dépasse les 30.000, il faudrait protéger ces personnes pour une durée de 38 semaines, soit jusqu’au 8 février prochain. » Ce faisant les épidémiologistes font fi des relations sociales et de la santé psychique de cette catégorie particulièrement vulnérable sur les plans affectif et psychique. Comme l’écrit le psychiatre Serge Tisseron dans £e Monde en ne parlant que des EHPAD : « Et les familles, tenues éloignées de leurs séniors, ont pu craindre que ceux‑ci vivent la situation comme un abandon, pensent que leurs enfants ne les aimaient plus, et en deviennent désespérés. » Le gouvernement fort de l’expérience avec sa cohorte de dépressions, de dépérissement et de morts, a assoupli sa position en autorisant pour ce deuxième confinement les visites dans les EHPAD, mais quid des vieux isolés chez eux. Reprenons les choses en amont et essayons de mesurer les déplacements, le nombre de rencontres et la nature des activités que font les vieux dans une journée et comparons avec ceux des jeunes : qui présente le plus fort potentiel de propager le virus ? Santé Publique France indiquait le 26 octobre que 32 % des CLUSTER se situaient en milieux scolaires et universitaires, et ce chiffre ne prend pas en compte, par essence en raison de la définition d’un CLUSTER, ce qui se passe dans les bars, les restaurants et les salles de spectacle et moins encore ce qui se passe dans les rencontres plus ou moins informelles (fêtes d’anniversaire, soirée d’intégration…). Pourtant, non sans ambiguïté, c’est ce qu’indiquait, le 18 août dernier sur Europe 1, le médiatique docteur Martin Blachier : « J’ai toujours cru à la clarté des consignes. […] Aujourd’hui, le virus circule parmi les jeunes, donc toutes les fêtes de famille dans des lieux clos, il faut les annuler. » « Il y a plein de jeunes qui portent le virus aujourd’hui […], donc si vous avez deux grands-mères et une tante qui sont contaminées, vous risquez de les envoyer en réanimation. Ne faites pas ça », et il appelait à « privilégier tout ce qui se fait à l’extérieur ». Donc les jeunes sont invités à continuer à se contaminer et à disperser le virus, sauf chez les vieux auxquels ils sont sommés de ne plus rendre visite. L’autre volet de l’ambiguïté de ce propos porte sur l’« extérieur », considère‑t‑on qu’un bar est un « extérieur » ? La terrasse sans doute est un « extérieur » mais que vaut-elle quand chacun est proche de l’autre, sans masque ? D’autre part faut‑il, comme l’on fait le gouvernement et de nombreuses municipalités autoriser l’extension des terrasses, bruyantes et empiétant les trottoirs jusqu’à les supprimer, au détriment des riverains ?
L’analyse du Dr Blachier rejoint celle de l’économiste Samuel Sender : « Covid 19 : l’analyse coûts bénéfices des restrictions plaide pour des mesures différenciées par âge », parue sur The Conversation (https://theconversation.com/covid-19-lanalyse-couts-benefices-des-restrictions-plaide-pour-des-mesures-differenciees-par-age-148443). Dans une très intéressante approche économique par l’analyse des coûts Samuel J Sender de la EDHEC business School montre très bien comment et combien les vieux ont un coût exorbitant que la société peinerait à supporter. Il explique que si les analyses ont bien pris en compte les acteurs économiques que sont les entreprises et les salariés en fonction des secteurs, « aucune différenciation n’a été faite entre les différentes catégories de personnes dans la composante « prévention/santé » ». Il décrit cette différenciation comme essentielle pour l’élaboration des politiques publiques, sachant que les différentes catégories ne sont pas à égalité devant la maladie et que ces inégalités entraînent des écarts de coûts. Il s’agit alors de trouver la politique publique la plus efficace au moindre coût, donc l’action la plus efficace pour réduire le nombre de malades en réanimation et plus globalement à l’hôpital. Ainsi une meilleure prise en compte des retraités aurait permis « d’éviter la saturation des places de réanimation, de sauver l’essentiel des vies, mais aussi d’alléger la pression sur le personnel soignant compte tenu de la forte mortalité à l’hôpital des retraités malades de la COVID. » S’appuyant ensuite sur les résultats d’une enquête qui montrerait que ce sont les actifs qui auraient le plus soufferts du confinement « alors que la probabilité d’un décès [dans cette catégorie] n’est pas statistiquement significative » il en découle suivant l’auteur que « Les actifs dans leur ensemble tout à perdre (psychologiquement et économiquement) des mesures restrictives, pour un gain non significatif du point de vue de la santé. » La démonstration est mathématiquement d’une grande rigueur et économiquement d’un ordre financier et comptable imparable. Mais, une société se réduit-elle à son économie financière ? Aussi s’inquiétera‑t‑on de l’impact de la conclusion de l’article de Monsieur Sender : « Il semble donc plus que jamais nécessaire de développer une communication aux personnes âgées et aux personnes fragiles sur les dangers d’une contamination par la Covid. La circulation du virus étant active, il est sans doute plus pertinent de recommander (voire d’imposer) aux personnes fragiles d’appliquer les mêmes mesures d’hygiène et précaution dans les réunions privées que celles imposées dans les réunions publiques. » Mais dans la vraie vie ça ne se passe pas comme ça ! Certes, la chose est bien documentée, toute crise économique entraîne son lot de dépressions et de suicides, faut-il pour autant refuser de réfléchir à ce qu’est une vie et à ce qu’elle vaut ? D’évidence S. Sender se place dans la posture de l’État patriarcal qui mesure les vies à l’aune de ses intérêts, contrairement à l’État philanthropique qui soupèse ses intérêts à l’aune des vies. Ici, que ce soit M. Brachier, S. Sender ou E. Macron, ce sont les intérêts de l’État, notamment ceux des dominants du monde entrepreneurial, qui prévalent sur les vies : que les vieux soient écartés de la société, que les actifs aillent trimer et qu’importent les conditions, et que les jeunes, insouciants, continuent la fête pour le plus grand bénéfice des tenanciers de bars !
On ne peut pas réduire la vie des personnes à un coût financier, il faut parfois accepter des coûts importants pour construire une société harmonieuse et sereine. L’article de Monsieur Sender est dans la droite ligne de la pensée libérale qui a détruit le système de santé français au prétexte d’une équation coûts bénéfices défavorable : les malades, notamment les « vieux » coûtent trop cher, d’autant plus qu’ils ne rapportent rien à la machine économique. Désormais le vieux dont on pouvait dire que lorsqu’il s’éteignait c’était une bibliothèque qui disparaissait, n’est plus acceptable que s’il rapporte en créant de facto des emplois (dans les EHPAD, aides à domicile, etc.), en dépensant sans compter ses économies ; si d’aventure une maladie, comme le montre Sender, vient à faire qu’il coûte plus qu’il ne rapporte, il faut l’écarter de la société. Si Monsieur Sender posait sa calculatrice, sortait de son bureau et allait respirer l’atmosphère sociale il constaterait que les vieux ont terriblement souffert des mesures de restriction, combien d’entre eux se sont retrouvés isolés, parfois sans les soins dont ils ont besoin ; certains ont fait une dépression, ont dépéri (perte de poids considérable, aggravation des troubles cognitifs, etc.), certains en sont morts. Cette mort n’est pas comptabilisée par Monsieur Sender pour qui, visiblement, les personnes se réduisent à des objets mathématiques. En outre il commet des erreurs grossières dans sa conclusion. Les vieux sont sans doute les personnes qui, statistiquement, ont le mieux respecté les consignes sanitaires, bien plus que les jeunes dont on sait à quel point ils ne respectaient pas les gestes barrières dans les bars et autres lieux festifs, donc si message il doit y avoir c’est plutôt en direction de ces derniers. Ceux-ci d’ailleurs, autant que les vieux, devraient appliquer ces gestes barrière lorsqu’ils sont en famille notamment lorsqu’ils rendent visite à un ancien. En outre l’analyse de S. Sender et celle de M. Brachier sont à courte vue, ne prenant en compte que les hospitalisations et les décès du moment, des éléments réellement défavorables aux vieux, ils font l’impasse sur un élément remarquablement défavorable aux actifs, notamment aux jeunes dont beaucoup sont atteints par le virus et sont malades sans être en réanimation ni même hospitalisés : les séquelles et leur coût en matière d’économie de la santé ne sont pas négligeables. On sait maintenant que des personnes atteintes par la Covid fusse dans une forme bénigne peuvent avoir des séquelles qui, entraînant des arrêts maladie, auront un coût économique sur le fonctionnement des entreprises et sur le budget de la Sécurité sociale. Enfin, croire qu’en isolant les seuls vieux on arrêtera le virus c’est voiler une grande partie de ce qu’est cette pandémie et c’est ne pas vouloir reconnaître que les jeunes sont des vecteurs, sans doute les principaux, de la dissémination virale. Malheureusement, nous sommes dans une société dirigée par l’économie, qui a supplanté la sociologie, la psychologie et la philosophie, l’Humain n’existe plus, seuls ont raison d’être pour les gouvernants, notamment en 2020, l’homo économicus, la femme et l’homme acteurs et objets de l’économie. Seuls les indicateurs économiques et les chiffres ont de l’importance comme le rappelle Camille Peugny dans Alternatives Économiques qui indique qu’entre le 1er mars et le 26 octobre 60 % des décès concernent des personnes de plus de 80 ans, et il écrit : « Cela donne assurément des arguments à ceux qui défendent la thèse du sacrifice des jeunes générations au nom du salut des plus âgés. »
Quel sacrifice demande‑t‑on aux jeunes qu’on ne demanderait pas aux vieux ? Serge Tisseron (psychiatre) et d’autres, psychologues et sociologues, rappellent l’importance des relations sociales pour les jeunes, à l’instar d’Alain Mégier (sociologue) qui qualifie les restrictions de « drame social absolu » qui empêche de devenir adulte : « On prive les jeunes de ce qu’il y a de plus important pour eux : la possibilité de faire des rencontres et donc de se construire. » Tous gomment que ces relations sociales sont toutes aussi importantes pour les vieux. Là où les jeunes pouvaient atténuer les effets de l’absence de relations sociales par l’usage des moyens numériques, les vieux ont été enfermés dans l’isolement le plus total, physique et affectif. Quant aux rencontres les jeunes auraient pu en faire en rejoignant les associations dont les bénévoles âgés étaient mis sur la touche, ces rencontres‑là sont très enrichissantes et remarquablement formatrices. Mais on préfère favoriser la fête à tous crins, l’évasion (de la vie) dans des beuveries nocturnes et des produits hallucinogènes ; on préfère une vie de plaisirs individuels, égoïstes à une société d’engagement et de rapports humains profonds. C’est un choix. Mais de grâce posons les pieds par terre et n’omettons pas de nous souvenir de ce que nos anciens ont vécu en leur temps. Certes la vie n’est pas facile pour les jeunes, l’est-elle pour tous les vieux ? A. Mégier qui écrit : « Or le contexte est déjà compliqué pour les eux [les jeunes] : il n’a jamais été aussi difficile de se projeter dans l’avenir car il n’a jamais été si incertain. Entre la crise écologique, la précarisation du couple, etc. tout semble fragile. », Il faut demander s’il pense qu’au début du 20e siècle, qu’entre 1939 et 1945, les choses étaient plus faciles pour les jeunes, pense‑t‑il que les jeunes du « choc pétrolier » dans le milieu des années 1970 et de l’émergence d’un chômage conséquent n’ont pas eu d’angoisses ? Et peut-on penser que les vieux n’avaient pas besoin d’aide de la part de leur famille, de leurs proches ? Ces besoins, psychiques et affectifs autant que matériels étaient attendus comme l’indique l’Espace Éthique Ile de France : « Au début de la crise, nous constations une forte demande d’aide des personnes vivant avec un handicap auprès des professionnels. Aujourd’hui, les personnes attendent de l’aide à 60,1 % par des voisins, à 5 % par les amis, à 55 % par la famille, et à 24 % par des professionnels (enquête Handifaction). En période de pénurie de professionnels sur le terrain, les personnes en situation de handicap veulent s’appuyer sur la famille, les voisins et les amis. » Jusqu’à E. Macron, vraisemblablement en quête de voix pour 2022, qui veut faire pleurer sur le sort des jeunes : « On a fait vivre à la jeunesse quelque chose de terrible à travers le confinement on a interrompu leurs études, ils ont des angoisses sur leurs examens, leurs diplômes et leur entrée dans l’emploi. » Il est sûr que les jeunes mobilisés en septembre 1939 n’ont rencontré aucune difficulté de ce type ? Eux, se sont battus pour reconstruire leur vie et le pays. Que penserait Guy Moquet de l’attitude des jeunes d’aujourd’hui et des adultes promoteurs de l’insouciance juvénile ? Mais le chef de l’État a indiqué dans un communiqué, vendredi dernier, ne pas souhaiter « de discrimination entre nos concitoyens », a aussi appelé ces retraités « à la responsabilité individuelle », donc les jeunes peuvent sans restriction et sans vergogne faire étalage de la plus complète irresponsabilité. Pourtant, face à l’adversité décrite à raison par A. Mégier, Macron et les intellectuels du microcosme des métropoles (car Paris s’est reproduit par scissiparité) il y a deux postures pour les jeunes : s’abandonner dans les plaisirs jusqu’à plus soif et se lamenter sur leur sort, ou être responsables, s’engager et construire la société.
C’est ce type de discours glorifiant l’insouciance et l’irresponsabilité des jeunes et les confortant dans une plainte permanente vis-à-vis des difficultés qui met les vieux en position de bouc émissaire et qui conduit à une ghettoïsation. Ce n’est pas en opposant les générations qu’on construit une société d’autant qu’elles disposent de suffisamment de potentiels intrinsèques pour se heurter entre elles naturellement. Allons-nous aller vers une société où les vieux seront sommés de choisir de disparaître comme le suggère la position de Larry R Churchill rapportée par le Professeur Roger Gill, Directeur de l’Espace de Réflexion Éthique de Nouvelle-Aquitaine, dans le Billet Éthique 2020‑19, « Entre âgisme et appel au sacrifice, tenter la fraternité » (qu’il m’autorisera à le citer longuement) : « En cette période pandémique, des personnes qui se désignent comme personnes âgées se sont exprimées dans le cadre du Hastings Center pour expliquer leurs positions à l’égard de leur fin de vie. Deux grandes positions s’affrontent. La première est celle défendue par Larry R Churchill, Professeur émérite d’éthique médicale. À l’approche de ses 75 ans et en excellente santé, il s’impose un certain nombre d’obligations : se considérer comme déjà infecté, et être particulièrement vigilant sur le lavage des mains, la distanciation sociale et l’élimination des occasions non essentielles d’exposition ; s’abstenir d’utiliser les services de soins de santé chaque fois que cela est possible… ; s’abstenir de se faire dépister ou permettre à d’autres de se faire dépister en premier, même s’il a des symptômes ; d’autres ont beaucoup plus d’intérêt que lui, déclare‑t-il, à connaître leur statut ; si les hôpitaux sont débordés, s’abstenir d’être hospitalisé, même si cela est recommandé… En espérant que les soins palliatifs seront plus facilement accessibles. S’il est hospitalisé et que les ventilateurs restent rares, il déclare renoncer à la ventilation au profit de patients plus jeunes ; il déclare aussi se mettre dans les derniers rangs quand un vaccin deviendra disponible. Il explique qu’en cas de rationnement des soins lié la pandémie, voire de triage, son comportement ne témoignera ni de résignation, ni d’abandon, ni d’envie de mourir mais d’une prise de responsabilité permettant d’alléger la charge qui pèse sur les besoins de soins. Il déclare sa position fondée sur « une approche éthique de la vie entière » qu’il considère non comme un sacrifice mais comme la manifestation d’une générosité : celle d’utiliser avec parcimonie le système de soins pour que les plus jeunes puissent y accéder. Une telle position en l’absence de toute pathologie et qui est autoqualifiée de généreuse n’est-elle pas susceptible d’impliquer que celles et ceux qui ne souhaitent pas renoncer à la vie manifestent de l’égoïsme ? N’est-elle pas susceptible de générer une certaine honte à vivre ? »
Choisissons la « fraternité » ! Cela devrait avoir un certain écho à un moment où le président de la République et d’autres mettent tellement en avant les valeurs de la République : Liberté, Égalité, Fraternité. Des valeurs qui perdent leur sens si on oppose les uns aux autres, si on oppose les jeunes et les actifs contre les « vieux ».