lundi 14 décembre 2020 - par LATOUILLE

CoViD-19 – 9 : isolement, essentiel : quels choix ?

 Ces deux mots occupent le haut des chroniques médiatiques depuis quelques semaines sans, semble-t-il, que ceux qui y ont recours le fassent toujours à bon escient.

 L’isolement du malade est normalement consubstantiel du traitement de toute maladie infectieuse contagieuse. Quand seulement quelques malades voire quelques dizaines de malades facilement repérables sont concernés leur isolement ne pose guère de difficulté, mais quand, à la fois, le nombre de malades est pléthorique et que de surcroît ils sont difficiles à repérer l’isolement prend alors la dimension d’une gageure. Quelle action mettre en œuvre dans une telle situation qui, à la fois, protège la santé de l’ensemble de la population et n’interrompe pas totalement la vie sociale et économique ?

 La Chine a choisi de mettre à l’isolement la totalité de la population d’une ville dès qu’un certain nombre de personnes sont reconnues porteuses du virus donc contagieuse. Le confinement est alors total : chacun chez soi, plus d’activité sociale, seuls les services de secours apportent de la nourriture au bas des habitations. Qui supporterait cela en France ?

 Les pays occidentaux, dont la France, ont choisi la méthode du confinement partiel en limitant les sorties dans l’espace public et en les assortissant de mesures de protection individuelles (masques, utilisation du gel hydroalcoolique, distanciation physique) mais il n’y a jamais eu de mesure d’isolement d’une ville, d’une région ni même de véritable isolement individuel. Seuls quelques très rares malades ont été isolés dans des hôtels, d’autres l’ont été à domicile sans que pour autant leur famille soit mise à l’isolement. Cette absence de mesure d’isolement a sans doute contribué à une moindre résorption de l’épidémie. En outre de cette absence de véritable isolement des malades il faut relever que les personnes qui se font tester ne sont pas isolées pendant la période entre la réalisation du test et le résultat de celui-ci, c’est dire que de nombreux porteurs du virus se sont promenés et avec eux le virus. Une bonne stratégie aurait consisté à isoler les personnes testées dans l’attente du résultat et à maintenir dans un véritable isolement, c’est-à-dire seul dans une pièce spécifique, toutes les personnes détectées comme atteintes par le virus.

 Un véritable isolement ne va pas sans poser de très nombreux problèmes tant pour les autorités étatiques que pour chaque personne mise à l’isolement et sa famille. Il va sans dire que des mesures d’isolement de cette nature s’organisent au regard des contraintes qui pèsent quotidiennement sur les personnes : garde d’enfants, maintien du salaire, contact avec les proches… Fallait-il qu’un groupe parlementaire soit à l’origine d’une proposition de loi pour rendre l’isolement obligatoire pour toute personne contaminée, fallait-il que ce soit le gouvernement qui est l’initiative de cette mesure ? On aurait pu attendre une décision du chef de l’État qui appelait le gouvernement et le Parlement à « s’assurer de l’isolement des personnes contaminées, y compris de manière plus contraignante » et il ajoutait « un véritable débat démocratique doit se tenir » ; curieuse posture pour celui qui en mars, au début de la pandémie, annonçait aux Français que nous étions en guerre. On comprend que s’il faut un débat démocratique pour décider d’engager une action dans une guerre, à la vitesse où se font les débats parlementaires, le virus a de beaux jours devant lui, d’ailleurs il ne s’est privé de rien puisqu’une deuxième vague advint et que très vraisemblablement une troisième surviendra après le relâchement de la fin de l’année.

 Bien que le porte-parole du gouvernement ait déclaré : « Si nous voulons pouvoir durablement alléger les contraintes qui pèsent collectivement sur les Français, sans doute faut‑il renforcer les contraintes sur les chaînes de contamination pour garantir que le virus ne répond pas », chacun comprend que décider des mesures d’isolement comme il a pu en être mis en place en Chine, en Corée et à Singapour n’est pas chose aisée dans un pays où l’intérêt individuel l’emporte, et de loin, sur l’intérêt collectif et l’intérêt commun. En France le « personnel » l’emporte amplement sur le « collectif ».

 Ce peu d’attrait pour l’intérêt commun, c’est-à-dire pour la santé collective, est bien dessiné par ce qu’il est convenu d’appeler le « monde de la culture » qui ne cesse pas de nous rebattre les oreilles avec le caractère essentiel de la culture. La culture est certes importante dans notre civilisation, mais la culture dont il est question, toute théâtrale et cinématographique y compris le show-business, n’a rien d’essentiel pour l’être humain, elle ne fait pas partie de l’essence humaine, pas plus qu’elle n’est constitutive d’un acte fondamental ni pour la très grande majorité des individus ni pour une société humaine quelle qu’elle soit. Tout au plus peut‑on considérer que cette culture est un aspect fondamental de la société de consommation pour laquelle elle est un des éléments du métabolisme social : pourrait-on avoir une société consumériste sans société du spectacle, sans star ?

 Est essentielle à l’être humain toute chose qui permet de répondre à ses besoins fondamentaux répartis entre besoins primaires indispensables à la survie : respirer, boire, manger, éliminer, se protéger du froid et de la chaleur, être en sécurité, dormir, et besoins vitaux qui s’inscrivent dans d’autres catégories : psychologiques, émotionnels, intellectuels et spirituels interconnectées entre eux et avec les besoins physiologiques. Ces besoins fondamentaux sont constants dans le temps et communs à toutes les cultures humaines, seules changent, selon les périodes historiques et les cultures, les stratégies mises en œuvre pour satisfaire ces besoins. Dans ce cadre, notamment celui de la satisfaction des besoins vitaux intellectuels, spirituels et intellectuels, la culture a pleinement sa place, mais une fois encore de quelle culture s’agit-il ? Je renverrai volontiers à toutes les expériences anciennes et contemporaines où l’isolement social et donc l’absence de cette culture n’empêchent pas d’atteindre une certaine plénitude dans la satisfaction de ces besoins : les courses en solitaire sur un voilier, les grandes randonnées en montagne, la vie de Henry David Thoreau ; là ni de théâtre, ni de cinéma, ni de matchs de foot… la nature et soi. L’essentialité ne se définit qu’à l’aune de l’individu à l’image de ce qu’écrivait Sartre : « La lecture […] semble la synthèse de la perception et de la création, elle pose à la fois l’essentialité du sujet et celle de l’objet… ». L’essentialité n’existe, donc ne se discute, que dans la tension entre le sujet et l’objet, dans le système qui les lie. La culture telle que définie par « le monde de la culture » et les médias n’étant pas un « objet » mais un ensemble de pratiques, vouloir lui conférer un caractère d’essentialité serait la réduire à un fait social, c’est-à-dire à quelque chose qui possède comme attributs fondamentaux la contrainte, l’extériorité et l’inévitabilité, ce ne correspond ni à l’essence de la démocratie ni à la recherche de la satisfaction des besoins fondamentaux des humains et à leur autonomie ; ce serait un exercice d’aliénation.

 C’est dans ce contexte que le gouvernement a eu à choisir, fin novembre entre ce qui serait essentiel et ce qui ne le serait pas : les commerces appartiendraient à la première catégorie, la « culture » à la seconde. À part les commerces d’alimentation, peut‑on avancer que les autres y compris les librairies sont essentiels ? Intrinsèquement la réponse est « non », sauf à ne se situer que dans la dimension socio-économique de la société. La question n’est donc pas celle du caractère essentiel de telle ou telle activité en tant que ce caractère correspondrait à l’Humain, la vraie question ne se situe que dans les rapports, dans le système, de l’individu aux objets de la société de consommation que j’illustrerai, sous réserve d’approfondissement, par le fait qu’il n’y a pas de vie sans consommation d’objets manufacturés, qu’il n’y a pas de Noël possible et de qualité sans un monceau de cadeaux. Au-delà convenons toutefois que certains commerces comme ceux vendant des vêtements relèvent parfois d’un caractère essentiel pour le bienêtre des personnes. La marge de réflexion pour le gouvernement se situe dès lors, dans un espace étroit, entre satisfaire la demande des consommateurs qui ne se contentent pas (pas encore) du seul commerce en ligne et celle congruente des commerçants avec quelques éléments de pression ou de tension supplémentaires comme le poids économique du commerce avec en pointe de mire les faillites et le chômage. Le choix se fait donc au regard du poids économique respectif des secteurs mais aussi de leur poids social, or la culture comme les restaurants et les stations de ski touchent vraisemblablement une portion infime de la population face à ce que touchent les commerces. En outre, les théâtres et les cinémas ont été aisément remplacés par les moyens numériques qui ont fait une entrée massive chez les gens qui, pour la plupart, n’ont pas vraiment été gênés par la fermeture des librairies. Alors oui, le « monde de la culture » peut se sentir sacrifié d’autant que l’argument de la limitation de la circulation des gens a été peu expliqué. Bien sûr il y a beaucoup de monde dans les Grandes Surfaces et dans les transports en commun, le problème n’est pas là. Il faut réduire au maximum les déplacements et les rassemblements de personnes, donc l’équation se résout autour du critère de ce qui est essentiel et de ce qui ne l’est pas. Car, peut-on aller se promener sans pantalon, peut-on se dispenser de manger, peut-on s’abstenir d’aller au théâtre ou au cinéma ?

 Pour gérer le moins mal possible une épidémie comme celle que nous connaissons le gouvernement doit faire des choix et comme le déclarait le porte-parole du gouvernement ait déclaré : « Si nous voulons pouvoir durablement alléger les contraintes qui pèsent collectivement sur les Français, sans doute faut‑il renforcer les contraintes sur les chaînes de contamination pour garantir que le virus ne répond pas », sacrifier certains secteurs d’activité fait peser une contrainte forte sur la chaîne de contamination et contribue fortement à amoindrir la puissance des contaminations..

 Il y va de l’intérêt général et du bien commun que de ne limiter l’activité qu’à ce qui est vraiment essentiel, on pourra toutefois regretter que certaines activités soient reconnues essentielles alors qu’elles ne le sont pas vraiment. L’Allemagne a moins confiné que la France, elle en paye aujourd’hui l’addition. A contrario du déconfinement des commerces fallait-il ouvrir grand les portes au commerce en ligne au détriment des commerces de proximité et des centres‑villes ? C’est une vraie question qui peut être augmentée par une réflexion sur la place que pourraient prendre les plateformes de streaming : comment le tout numérique, tellement plébiscité par nos gouvernants, va-t-il modifier la société et la vie des gens voire l’humanité. Cette épidémie, au‑delà des plaintes des uns et des autres, pose la question fondamentale de la construction sociale : quelle société voulons‑nous ? Pour construire une société il faut poser la question de l’essentialité des organisations, des institutions et de pratiques individuelles et collectives, des liens qu’elles entretiennent entre elles et de leur mise en système.

 



6 réactions


  • Rantanplan Kador 14 décembre 2020 08:54

    Là, c’est du lourd !

    « Quand j’entends le mot »culture« ... »


  • troletbuse troletbuse 14 décembre 2020 09:18

    Vidéo de jeudi 10-12-2020

    Désinformation et perte des libertés

    https://fr.ntd.tv/la-desinformation-et-la-perte-de-nos-libertes/


  • Bernard Dugué Bernard Dugué 14 décembre 2020 11:43

    Pour votre gouverne, relisez le Politique d’Aristote

    Lorsqu’une société pense à vivre en se considérant que l’essentiel, elle devient une barbarie


    • Francis, agnotologue Francis 14 décembre 2020 12:01

      @Bernard Dugué
       
       ’’Lorsqu’une société pense à vivre en ne considérant que l’essentiel, elle devient une barbarie’’
       

       « Si nous nous obstinons à concevoir notre monde en termes utilitaires, des masses de gens en seront constamment réduites à devenir superflues. » Hannah Arendt
       
      « Ce qui se paie n’a guère de valeur ; voilà la croyance que je cracherai au visage des esprits mercantiles. » Friedrich Nietzsche
       

       L’essentiel pour vous, Bernard Dugué, ce serait quoi ?


  • Bendidon ... bienvenue au big CIRCUS Bendidon 14 décembre 2020 13:34

    je me suis forcé à lire cet article insignifiant pour pouvoir dire que c’est du pipi de chat

    Dans le genre allez plutôt sur fergougousse ou grounichou là au moins on rigole

     smiley


  • Le421... Refuznik !! Le421 14 décembre 2020 16:40

    Le mot « essentiel » me sort par les yeux en ce moment.

    J’ai reçu une commande de champagne, c’est pas essentiel pour mon foie, mais je vais quand même me le torpiller.

    Et si on demande l’avis du producteur, vous allez entendre sa réponse.

    Pas essentiel...

    Mmmmmm’bécile !!


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