jeudi 15 mars 2018 - par

Dans quel « système » vivons-nous ?

Dans quel "système" vivons-nous ? ... Les débats font rage. Peut-être qu'une clarification notionnelle ne ferait pas de mal, à laquelle on ne reprochera pas d'être rapide : ce n'est qu'un article. Un article qui invite à prendre du recul, et à comprendre l'éternelle lutte de l'ordre et du chaos.

 

Vivons-nous dans un système ?

Dans quel "système" vivons-nous ? ... Et d'abord, vivons-nous bien dans un système ? ... Vraie question. Pourquoi ? ... Parce qu'un système fonctionne a priori selon une logique implacable. Or, nos mondes sont-ils, oui/non/parfois, dans une telle logique implacable ? Et, même s'ils semblent peut-être en disposer, cette logique verrouille-t-elle bien tout ? à moins qu'il y en ait plusieurs, des logiques, et pas toutes implacables ? ...

Un point de départ utile : les articles Wikipédia, pour cette simple raison qu'ils témoignent de consensus - d'autant plus qu'ils sont largement écrits par des personnes compétentes, sans grandes erreurs. Alors, sous Wikipédia, au moment de la parution de cet article, on voit qu'un système se définit par :

  • son but (l'ensemble de ses objectifs, sa raison d'être) ;
  • ses ressources à disposition, qui peuvent être de nature différentes (humaine, naturelle, matérielle, immatérielle ...) ;
  • les interactions entre ces dernières, son organisation (les principes et les règles qui régissent son fonctionnement, permettant de savoir ce qu'ont le droit de faire ou non les entités faisant partie du système) ;
  • sa frontière, c'est-à-dire le critère d'appartenance au système (déterminant si une entité appartient au système ou fait au contraire partie de son environnement) ;
  • ses interactions avec son environnement.

Reprenons.

 

Son but (l'ensemble de ses objectifs, sa raison d'être)

Nos mondes se veulent notoirement démocrates libéraux, à poser la recherche autonome du bonheur comme fin ultime, par une civilité faisant confiance aux responsabilités personnelles. C'est-à-dire que chacun·e ... sur une base humaniste, formaliste et progressiste (héritée de la Renaissance, du Classicisme puis des Lumières : grosso modo la modernité historienne, à savoir les quatre-cinq derniers siècles) ... chacun·e est censé·e bénéficier de l'éducation lui permettant :

  1. d'être auto-nome (à soi-même sa propre norme, à commencer par se définir soi-même) ;
  2. d'être respons-able (capable de répondre des situations dans lesquelles il se trouve, à commencer par sa propre personne) ;
  3. de devenir bien-heureux depuis l'autonomie et la responsabilité (s'étant défini en tout répondant, on doit vivre l'heur, l'aventure, d'un bon temps ou d'un bien existentiel).

En effet, le libéralisme n'est pas initialement économiste, quoiqu'il rende possible les laisser-faire/laisser-passer/laisser-aller économiques qu'on nous vante.

Mais, à ce point, nous pouvons nous interroger sur les risques de conflits interpersonnels, qu'un tel but génère inévitablement, tant les possibilités d'existences contradictoires foisonnent. Aussi le démocratisme (avec le pluralisme normalement épanoui dans ses conditions) semble favorable, puisqu'il réglemente les possibilités d'existences contradictoires foisonnantes.

Cela dit, réglementant ces possibilités, il crée déjà un cadre. "Il y a des limites à tout", selon le dicton. C'est-à-dire que, fatalement, tel cadre réglementaire va conditionner des possibilités et des impossibilités existentielles : la démocratie libérale ne permet pas tout.

 

Les ressources du système à disposition, qui peuvent être de nature différentes (humaine, naturelle, matérielle, immatérielle ...)

Ce terme de ressources, il est devenu banal, à commencer dans le monde de l'entreprise et dans le questionnement écologique : ressources humaines, ressources environnementales.

Néanmoins, remarquons bien que penser en termes de ressources, c'est déjà considérer que les sources sont exploitables. En effet, une ressource se définit directement comme source exploitée.

Au-delà, il faut bien admettre la nécessité d'exploiter quelques sources a minima, pour survivre. C'est le cas d'une personne comme d'un groupe, d'une organisation ou d'une société. Bref : nos mondes démocratiques libéraux, comme tous les mondes, ont des ressources. C'est pragmatique.

Dans leurs logiques, ils tendent à faire de tout ressources, car ils se pensent comme des systèmes il est vrai (logistique, ressources humaines, fonds, finances, propriété immobilière, biens à vendre/acheter, société de consommation selon Jean Baudrillard, etc.).

 

Les interactions entre les ressources du système

Tendanciellement désormais, c'est la planète Terre que nous considérons comme ressource, avec tout ce qui s'y déploie. Pourquoi ? ... Parce que notre libéralisme, sur son versant économique, ne contrevient pas au capitalisme ; c'est pourquoi communément on confond ces notions de libéralisme et de capitalisme, en parlant de libéral-capitalisme - mais aussi, au-delà, de social-démocratie comme on dit social-capitalisme, ou encore de libéral-libertarisme, etc.

A vrai dire, au concret des expériences pratiquement vécues, il se trouve que l'affairisme domine : les affaires, à savoir le trafic des ressources. C'est que ladite recherche du bonheur se traduit dans les affaires, pour ceux qui aiment faire des affaires, quand même ils ne se montreraient pas responsables au-delà de leurs profits, ni véritablement autonomes par mimétisme et conformisme affairistes (d'être nés, éduqués, formés dedans l'affairisme).

Une forme d'empirisme sociopolitique règne fatalement sur les interactions, à ce compte. L'affairisme, disions-nous. Or il n'y a que lui, pour créer des interactions planétaires, à travers les bourses et le trade par exemples.

 

L'organisation du système (les principes et les règles qui régissent son fonctionnement, permettant de savoir ce qu'ont le droit de faire ou non les entités faisant partie du système)

L'establishment, désormais - Alain Deneault à l'appui - devient alors une collusion étatique-entrepreneuriale. Mais bien avant les constats contemporains du philosophe évoqué, l'ère industrielle dans nous vivons et qui naquit voilà deux siècles sur la base de la bourgeoisie, est une ère qui instaura ces facilités (comme en anglais on dit facilities). Et comment les choses auraient-elles été autrement, puisque la bourgeoisie détenait le plus de puissance après l'aristocratie ?

Concrètement, la bourgeoisie naquit progressivement pendant l'époque moderne (depuis quatre-cinq siècles, donc) à mesure que les seigneurs étaient libéraux avec les villes médiévales. Emblématiquement, le Royaume-Uni s'avéra le plus libéral, au point que même son aristocratie s'impliqua au versant économique du libéralisme. Mais, au-delà, il a fallut le centralisme étatique, pour légiférer à grande échelle territoriale : l'Ancien Régime tendanciellement absolutiste. En effet, cet Ancien Régime plaça des bourgeois à des postes de responsabilités (les préfectures et les préceptorats, par exemples).

Mais, disposant des grands ateliers de manufacture, et avec l'invention de la machines à vapeur qui inaugure l'ère industrielle - au Royaume-Uni puis en Allemagne et en France (en Europe de l'Ouest) - la bourgeoisie put aisément prendre le pouvoir révolutionnaire, et organiser nos mondes tels que nous les connaissons selon ses besoins affairistes : nous en faisons l'expérience tous les jours.

Car nous-mêmes, nous nous affairons ainsi entre vie personnelle, vie professionnelle et vie politique - quand nous voulons bien conserver une vie politique : nos mondes permettent assez bien d'en faire fi, dont les enjeux se jouent désormais surtout au niveaux des affairismes - Hannah Arendt à l'appui. Nous sommes tous alors plus ou moins obligés de nous embourgeoiser dans la démarche.

 

La frontière du système, c'est-à-dire le critère d'appartenance au système (déterminant si une entité appartient au système ou fait au contraire partie de son environnement)

Confusément, la frontière de nos mondes, c'est l'euro-américanisme ou l'occidentalisme - diront ceux qui mettent l'accent sur le culturel. Mais aussi - dirons les pragmatiques - le capitalisme, ou bien l'affairisme - nuancerons ceux qui voient l'expérience vécue. Néanmoins, nos mondes refusent tendanciellement d'avoir une frontière.

Tendanciellement, ils procèdent d'une raison hégémonique, par laquelle ils prétendent porter la démocratie libérale partout sur la planète Terre, sachant que l'affairisme étatico-entrepreneurial l'exploite déjà économiquement, quand ça n'est pas soutenu de militarisme (complexe militaro-industriel). Il faut lire Paul Feyerabend.

Or à ce point, c'est moins l'affairisme que l'impérialisme, qui se présente. La frontière reste indécidable.

 

Les interactions du système avec son environnement

Cet environnement, répétons-le, à l'heure de l'anthropocène et du réchauffment climatique, est devenu la planète Terre, au point qu'on puisse trouver que - si système il y a - ce n'est pas exactement le nôtre, mais le système terrestre au complet - qui pourtant a des interactions avec le soleil, la lune, etc. jusqu'aux songes astrologiques ? ...

Mais quotidiennement, il y a l'urbanisme, le paysagisme, l'ergonomie des espaces sociaux (école, entreprise ... cf. les philosophes Henri Lefebvre, Ivan Illitch ou Albert Jacquard), etc. Cela ne fait aucun doute. Et ça procède de mille velléités éparses.

 

Bref, vivons-nous dans un système ? si oui, lequel ?

Il est temps de répondre à cette question. Très simplement :

Non, nous ne vivons pas dans un système, si l'on considère son devenir historique sur le temps long, sa fractale internationale diversement réalisée (avec ses tendances locales), l'écologie terrestre qui l'intègre, et encore les difficultés à rationaliser tout uniment l'idéologie globale. Au contraire, nous vivons au coeur de plusieurs systèmes qui s'enchevêtrent sans véritable queue ni tête, pour ainsi dire chaotiquement. Du moins n'est-il pas possible de penser à tout en même temps, pour personne.

Cela n'interdit pas d'en sentir des logiques implacables çà et là, notoirement au coeur (Euro-Amérique, Japon, Australie, et maintenant les BRICS - Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Nous espérons tous pouvoir tout penser d'un seul coup (à commencer par les décideurs, qui craignent manquer d'assurances : c'est tout le drame de leurs vies) et donc, au titre de cette improbable pensée une et totale, nous systématisons les choses, alors qu'elles se présentent plutôt chaotiquement.

Mais des logiques implacables, il y en a, mises en place donc, çà et là. Manifestement : le lucre, pour l'affairisme. Reste que nos outils, désormais très numériques, procèdent de logiques implacables - celles du code programmatique. Ces outils ont envahi nos vies et, par voie de conséquence, les ont systématisées dans la démarche, sans parler des bureaucraties déjà ... Or, nous sommes nombreux à en profiter, puisque ça règne allègrement : l'argument du "on ne peut pas faire autrement" est à relativiser, quand on se passionne autant pour ces techniques.

Passions qui, certes, sont elles-mêmes systématiquement suscitées par les marketings, etc. dont certain·es d'entre nous sont les pur·es et simples agent·es. C'est-à-dire que nous sommes tous pris dans la mêlée, pour ainsi dire chaotiquement, encore que des centres de décision se dégagent forcément, tels que l'establishment étatique-entrepreneurial.

 

Ce chaos empêche-t-il de distinguer des tendances systémiques ?

De toute évidence, non, puisque que l'affairisme domine les pratiques courantes, jusque dans notre intimité (avec les publicités dans les médias domestiques). Cet affairisme est évidemment économiste, tendant à étouffer les dimensions sociopolitiques de nos vies, sociopolitique au sens noble du terme - à savoir le civisme. (Un civisme qui, justement, à travers l'autonomie et la responsabilité, est si nécessaire aux démocraties libérales !)

Aussi bien voyons-nous que le système n'est pas si sûrement démocratique (pour cela, il faudrait un civisme général) ni si sûrement libéral (pour cela, il faudrait de même, un civisme général). De plus, nous voudrions qualifier nos mondes de capitalistes, mais les situations de monopoles sont si prégnantes malgré les libertés éparses, que nous nous trouvons dans un contexte relativement impérialiste et complexuellement militaro-industriel, nourri des collusions étatiques-entrepreneuriales (l'establishment).

Mais ces mondes, nous en sommes les agent·es quotidien·nes ; c'est dire que nous les désirons en quelque façon, à commencer parce qu'"il faut bien vivre", comme on dit. Nous en participons donc diversement, nous les voulons fatalement, parce qu'il faut bien un monde ! aussi chaotique soit-il.

 

Les projets à caractère altermondialiste

Les projets à caractère altermondialiste, depuis les premiers communismes et socialismes, jusqu'aux plus récents écologismes et autres alternativismes, présentent au fond, eux aussi, des traits systématiques, et d'autant plus qu'ils ont pour eux d'être encore massivement théoriques. "Un jour, j'habiterai en théorie, parce qu'en théorie tout va bien." Bien entendu, les fascismes sont les plus systématiques, à ce compte, et nos mondes ne sont pas exempts de traits tendanciellements fascistes.

Mais, dès que les altermondialistes mettent la main à la pâte en s'impliquant concrètement, ils rencontrent le chaos relatif que connaissent eux-mêmes "les systèmes majoritaires" (cf. Medhi Belhaj Kacem). C'est-à-dire, au fond, et pour reprendre la Politique d'Aristote, qu'on ne fait jamais que rencontrer des associations humaines, sur le principe de la Servitude volontaire d'Etienne de la Boétie. Des mimétismes et des conformismes, y compris dans les groupements militants.

A chacun·e d'accepter ce fait, éternelle lutte de l'ordre et du chaos.

Mal' - LibertéPhilo

 




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