A Maïlys, fière et libre cavalière...
De plus belle conquête de l’homme, le cheval est en passe de devenir le meilleur ami de la femme ! Les Amazones guerrières à la poitrine volontairement mutilée, caracolant arc au poing et tunique au vent sur leurs montures domptées à grands cris, se sont transformées en gentilles cavalières dont les deux mamelles (intactes) sont maternage et nourrissage, et pour lesquelles les plus ardus traités d’hippologie font office de livres de chevet préférés.
Entre temps se sont égrenées, au fil des siècles, bien des déclinaisons de cette figure féminine éternelle : la « Tribale primitive » décrite par Hérodote, la « Médiévale tyrannique », féministe avant la lettre chantée pas Chrétien de Troyes, la « Belliqueuse de la Renaissance » (Boccace, Agrippa d’Aubigné et Honoré d’Urfé), la « Révolutionnaire libertine » participant aux grands bouleversements du XVIIe siècle, l’ « Indépendante romantique » qui rêve d’autonomie et de pouvoir (on croirait presque feuilleter le catalogue des roses primées d’un pépiniériste amoureux de ses fleurs épineuses !), cette dernière très protéiforme prenant au fur et à mesure de ses métamorphoses l’aspect d’un garçon manqué contestataire (chez Théophile Gautier), d’une femme forte (Stendhal)), d’une femme sans cœur (Balzac), avant de devenir enfin « féministe d’après-Grande-Guerre » accompagnant le combat des premières suffragettes et les théories féministes les plus radicales (Valérie Solanas).
L’évolution plus contemporaine du mythe aboutit également à de nouvelles représentations : outre un grand site de vente en ligne (qui n’a sûrement pas choisi par hasard cette référence culturelle), « Amazon » désigne, aux Etats-Unis, la femme physiquement puissante, de la lutteuse body-buildée à l’épouse despotique, en passant par la dominatrice professionnelle. En Europe, l’acception du mot met plutôt l’accent sur l’indépendance de caractère : l’amazone est celle qui domine l’homme dans quel que domaine que ce soit, là où jamais un muscle gonflé, un uniforme bigarré ou un diplôme universitaire n’aurait suffi !
Ce renouveau est porté par la re-découverte de l’existence d’un matriarcat primitif. Au lieu de révéler une vérité sacrée ou quelque proto-philosophie profane, l’histoire antique ne serait contée que pour réinventer un mythe premier oublié, narrant la prééminence planétaire de la déesse et de la femme, opposée à celle du totalitarisme patriarcal établi par la force. La faillite actuelle de ce système dominant, particulièrement flagrant dans la crise écologique et politique du monde post-moderne, aurait un lien avec son instauration violente aux temps des commencements, et annoncerait une fin probable de cette situation inique que de nouvelles figures « amazoniennes » devraient pouvoir hâter…
Devenu fondateur du pouvoir féminin, sous l’effet de la récupération tardive du discours tenu par les mâles il y a plus de 2000 ans, le mythe des amazones reste vivant puisqu’il véhicule une charge idéologique retrouvée !
Mais revenons à nos moutons – enfin, à nos équidés : les représentations de la femme à cheval en disent long sur l’évolution sociétale… Bien loin des antiques cavalières d’excellence menant la guerre au genre masculin, la figure des amazones a ensuite symbolisé une mise en position d’infériorité et une ségrégation des sexes : la monte ainsi nommée, qui mettait les femmes en fragile et précaire équilibre, fut justifiée par les croyances stupides liées à de fausses connaissances gynécologiques et à l’obligation du maintien d’un certain ordre social pur et dur, face aux désirs prétendument fantasmés des cavaliers mâles qui pouvaient, eux, se permettre la position adéquate !!! Elle a résulté d’un dressage rigoureux du corps féminin (dont le corset peut être le symbole, avec l’horrible verbe « corseter » qu’il a fait naître) qui fut si bien intériorisé par les femmes qu’elles ont elles-mêmes contribué à le pérenniser. Le retour, dans les années folles (1930), à la monte à califourchon peut être interprété comme une avancée très signifiante dans la voie de la désaliénation des femmes.
Depuis les années 1960, les activités équestres ont connu d’immenses et passionnants bouleversements : l’émergence de l’équitation de plaisance, induite par l’augmentation du niveau de vie généré par les Trente Glorieuses a entraîné des changements significatifs, révélateurs de profondes mutations sociales et culturelles. Pour faire simple, les femmes et les enfants ont pris le pouvoir, cavalièrement, et les centres équestres sont devenus légion, on a révolutionné les méthodes d’enseignement et on s’est enfin préoccupé du bien-être des principaux intéressés, les chevaux !
C’est l’avènement de « l’équitation sentimentale », dont parle l’anthropologue Catherine Tourre-Malen, qui est aussi instructrice, et considère que la relation particulière de la femme au cheval peut s’apparenter à une relation amoureuse, malgré le peu d’affection démontrée par ce dernier, « bel indifférent qu’il faut aimer sans espoir de retour » ! Le cheval-outil est devenu cheval-ami depuis que l’essor des poney- clubs a mis en selle des bambins émerveillés sur des montures appropriées, et que leurs mères ont pu ainsi investir massivement des écuries que ne fréquentaient plus que quelques privilégiées.. Elles se sont prises au jeu, y ont apporté leur sensibilité animalière, et le respect du cheval a fait place à l’amour du cheval.
Depuis, elles se bousculent dans les paddocks et sont devenues les égéries de tous les concours hippiques, des reprises de dressages aux concours de sauts d’obstacles, jusqu’aux épreuves plus physiques de cross.
On n’échappe pas, bien sûr (depuis le petit Hans) à la dimension psychanalytique de ce sport qui n’en est pas un : double symbolisme à la fois maternant et paternant, puissance et domination, clés de la découverte de soi… Et en corollaire l’avènement de l’équithérapie, ou comment se remettre le pied à l’étrier quand on a perdu l’allure.
Si l’évocation des « Poneys sauvages » a représenté pour une certaine génération d'écrivains la liberté fantasmée d'après la guerre froide, celle des "Chevaux amicaux" peut-elle exprimer la sérénité retrouvée pour les femmes apaisées du XXI ème siècle ?