mardi 17 novembre 2009 - par Georges Yang

Divorce à l’italienne (et d’autres nationalités), toutes taxes comprises

Il faut lire ce texte écrit à la première personne comme on écoute les paroles de Charles Aznavour, dans « Je suis un homo, comme ils disent » décrivant une certaine vérité amère. Peu importe que cela soit inspiré de ma vie, de celle de proches ou que tout ou partie ait été inventé. Car, comme le disait Georges Arnaud, en préface du Salaire de la peur, « Le Guatemala n’existe pas, je le sais, j’y ai vécu ». On peut aussi considérer que j’ai suivi le cheminement intellectuel de Boris Vian, quand il déclarait : « Ce que je dis est vrai puisque je l’ai inventé ». Et puis finalement, quoi de plus authentique qu’un fantasme !

L’idée de ce texte m’est venue en lisant des exercices comparables bien que différents dans le style et le propos, écrits par Fergus et Sandro.

Confession d’une « salope ». http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/extraits-d-ouvrages/article/confession-d-une-salope-63550

L’autostoppeuse http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/people/article/l-auto-stoppeuse-42513

Par contre, celui de Papybom sur la vieillesse, Comment finir sa vie, sonnait trop vrai, était tragiquement trop lucide.

http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/comment-finir-sa-vie-63598

 Agoravox, ce n’est ni Facebook, ni Meetic et encore moins un déballage obscène comme dans une émission de Delarue ou Mireille Dumas. Et puis, pas besoin d’avoir été mousquetaire pour en faire un sujet de roman, l’autre Dumas en est la preuve flagrante. Aussi, faut-il prendre ces textes comme des paraboles universelles, mais ceux de Fergus et Sandro, sont cependant plus poétiques, je le concède.

Je sors de chez Martha ; elle avait ses règles, mais ça ne l’a pas empêchée de me réclamer le montant du loyer pour le mois prochain. Le corps a ses raisons que le portefeuille se doit d’ignorer quand on est un type correct et fiable. Faute de cabrioles compensatoires, j’ai donc regardé avec elle un programme moralisateur nigérian à la télévision, une sorte de soap opéra, avec ses archétypes : mari polygame, femme dépensière, stérilité du couple, tribalisme et foi en Dieu. Au bout d’une heure, j’en avais un peu marre, mais elle était contente, je l’avais déchargée du poids récurrent et obsédant du loyer ; elle était tranquille au moins pour un mois. Martha pense qu’un jour je n’aurai plus envie d’assumer cette dépense itérative, alors elle professe à mon égard un amour sans borne et m’envoie des sms stéréotypés et naïfs. C’est tellement parfait que je n’en crois pas un mot et c’est tant mieux. Je conçois qu’elle ne me déteste pas, peut-être a-t-elle quelques sentiments réels à mon égard, mais ce qui l’anime le plus est d’assurer sa sécurité matérielle : avoir un toit, nourrir sa fille et boire une bière de temps en temps avec ses copines. Qui la blâmerait ? D’autant qu’elle n’est pas vraiment motivée pour aller aux asperges et sans qualification, dans un pays où règne le sous emploi, elle devra probablement s’y résoudre le jour où je ne la prendrai plus en charge.

Stella est revenue de l’école. C’est une gentille petite fille de huit ans, souriante et très ouverte, parlant déjà un peu anglais, qui aime les poupées et le chocolat. Je l’ai prise sur mes genoux, lui ai fait une petite bise et l’ai reposée par terre sans avoir la moindre érection. Ca m’a complètement rassuré en ces temps troubles et hystériques, je suis encore normal avec les enfants ! Si la mère avait été française, à défaut de Venise, j’aurais fredonné devant elle « Nous irons à Outreau, un beau jour tous les deux ! » histoire de tester son sens de l’humour. Par contre, quand la gamine a commencé à me montrer ses cahiers avec des lignes de mots monosyllabiques, des additions à deux chiffres et des dessins de maisons avec arbre au second plan et corde à linge où séchaient des chaussettes, j’ai eu comme un malaise ; j’aurais l’air de quoi en père de famille ?

Si Martha pouvait se trouver un type gentil un peu con et naïf, elle pourrait faire un beau couple avec un statisticien ou une espèce de comptable européen, un de ceux à qui l’on envoie du riz le jour du mariage à la sortie de l’église en pensant qu’ils feront de magnifiques cocus. C’est tout le mal que je lui souhaite. Surtout si ce bellâtre énamouré, mais peut-être bedonnant, pouvait s’occuper de sa fille.

Je suis rentré chez moi après avoir fait un tour en ville, histoire de voir les femmes marcher dans la rue. Quand les inconnues sont belles en trop grand nombre, on recherche instinctivement les plus quelconques pour se rassurer et les suivre des yeux. Rien de tel qu’une femme plutôt moche pour vous ramener à la réalité ! Si elles étaient toutes superbes, il faudrait être sous Viagra en permanence et arrêter de travailler pour s’y consacrer à plein temps. On ne peut avoir les yeux plus grands que le sexe, au risque d’en attraper un priapisme ! Ainsi, si l’on doit se choisir une collaboratrice, une secrétaire ou une bonne, à l’entretien d’embauche, à compétences égales, il faut toujours choisir la plus moche, cela évite bien des ennuis par la suite, surtout en Europe.

L’autre soir, j’ai diné avec Flavio, un type bien qui en est à sa quatrième histoire d’amour, deux divorces et trois enfants. Lui il sait se mettre dans des situations romanesques qui lui coûte du fric, de l’énergie et de l’amertume. Et il est partant, à chaque fois pour un nouveau tour de manège. C’est beau d’y croire encore à quarante neuf ans, de perdre des plumes et d’espérer que cette fois sera la bonne. Chaque fois que je le vois, j’essaie de le ramener sur terre. Mais il ne veut pas, il dans la Lune même si son miel a un goût amer. Il est quelquefois heureux, sinon gai comme un Italien dans une chanson de Nicole Croisille, même si l’amour et le vin de la nouvelle aventure ne sont que des produits de supermarché. Dans ces moments, je lui parle de Pasolini, de Buzzati et de Malaparte pour le ramener à une réalité plus terre-à-terre bien que fictive, j’évoque le pragmatisme. Je l’aime bien et j’ai un peu peur qu’il se consume dans les feux de l’amour car les grandes et belles histoires ne résistent pas aux programmes des machines à laver, aux vacances avec des gosses braillards et aux tonitruants « mais où donc as-tu mis mes chaussettes, ma chemise verte, la facture EDF, mon rapport pour la Banque Mondiale ? » répliquant à d’acerbes « Tu pourrais faire la vaisselle, je t’ai vu regarder la serveuse, tu vois bien que je suis occupée, ou ne sert pas un deuxième apéritif, on va passer à table ! ».

Il aimerait que j’aie tort et mon pessimisme, ma misanthropie, l’afflige. Je lui rappelle le pragmatisme indispensable pour survivre et pas seulement au niveau sentimental. Quand on a assassiné une Italienne et deux Anglais dans mon environnement professionnel, à un mois d’intervalle, ma première réaction aux meurtres a été : « je vais enfin pouvoir demander une augmentation de salaire si je reste dans le coin ! »

J’en ai même obtenu une deuxième après une nouvelle série d’attentats bien moins meurtriers. Alors, en ces conditions, Flavio est bien obligé de subir mes aphorismes du genre : « C’est quand on est vraiment amoureux qu’on doit impérativement en baiser d’autres », ou « Quand la fidélité s’installe, c’est qu’on n’a plus envie de se perdre, alors que l’on est déjà définitivement perdu » ou bien encore « Tu épouses une très jeune et jolie femme tu picoles sec, tu conduis comme un dingue et tu en feras une jeune veuve très heureuse ! » Ce genre de conseil restera plus longtemps en mémoire que l’affirmation facile : « On n’offre pas un traité de topologie ou un ouvrage de pratique juridictionnelle comparative en droit civil français et italien à une femme que l’on veut séduire ; elle préfère les fleurs, les bijoux et les restaurants… ou alors, c’est qu’on a trouvé un monstre ou une associée en affaires ! »

Dans la vraie vie on est à cent lieues de Roméo et Juliette, encore heureux. L’idéal est par définition idéalisé. A quinze ans, Roméo devait être un boutonneux acnéique presque puceau qui n’avait pas beaucoup fréquenté les putes et Juliette qui en était à ses premières règles ne savait probablement pas comment bien tailler une plume. Que serait devenu ce couple mythique de mièvres tourtereaux, s’ils n’avaient décidé de disparaitre tragiquement à la fin du premier épisode de l’imaginaire shakespearien ?

Les femmes sont déroutantes, alors, il vaut mieux ne pas trop s’interroger dessus, car on passe quasiment toujours à côté. Cependant, la question à laquelle un homme ne pourra jamais répondre et pour cause, est pourquoi une femme enceinte éprouve du plaisir à sentir quelque chose qui pousse et grossit dans son ventre comme une tumeur, la déforme, lui crée inconfort et fatigue et la rend nettement moins attrayante. Et pourquoi, se caresse-t-elle le ventre en public avec un sourire de satisfaction.

Le divorce, ça par contre je connais ! Certains de mes amis en ont aussi gouté le charme discret et le plaisir feutré. C’est en tout cas comme le golf, un sport de riche quand il est bien pratiqué ! Mais on atteint très exceptionnellement le dix-huitième trou, on perd la boule bien avant le cinquième adultère ! On perd aussi ses billes et après il faut se refaire une santé, le moral et un compte en banque. Même quand on a eu la chance d’éviter une avocate féministe qui, toutes griffes dehors, représente votre épouse, gentiment appelée pour la circonstance, « la partie adverse », on n’en sort pas indemne. Comment expliquer que je suis plus à l’aise devant un milicien armé sous l’effet du cannabis que face à mon épouse quand elle me demande d’enlever mes chaussures du lit ? Qu’aurais-je pu dire pour me défendre, qu’elle refusait de m’embrasser quand j’avais mangé des sauterelles ? Ce genre d’argument est totalement incongru et hors contexte dans le 14ième arrondissement ou le Meudon pavillonnaire.

Le système est là pour vous rappeler que vous avez tort, vous le mâle forcement coupable de quelque chose de rédhibitoire. Ce n’était pas la peine de vous le faire remarquer, car à moins d’être carrément obtus ou trop vaniteux, vous le saviez déjà, que ça merdait sec, que votre couple allait droit dans le mur et que vous y étiez un peu, et peut-être même pour beaucoup dans la déconfiture. Et puis le pire, c’est de partager les enfants, on pense immédiatement à Salomon et aux enfants à la découpe, comme le patrimoine immobilier qu’il faut aussi répartir.

Mon autre ami, qui regardait avec trop d’insistance les seins de la copine du garde armé de sa villa, un guerrier venu du Nord avec son arc, m’avait dit un jour : « J’hésite, car si le type est jaloux, prendre une flèche dans le dos la braguette ouverte, ça fait désordre ! ». Il est actuellement en plein divorce, on s’en serait douté. Par contre, celui qui avait avoué à sa femme dans un moment d’honnêteté ou d’égarement, qu’il avait ramené une fille (il a dit une seule) pendant qu’elle était en France avec les gosses, il a eu droit à des heures de pleurs et une semaine de grimaces. Depuis, il continue à voir des petites de temps à autre, mais il ne dit plus rien du tout et il est toujours marié.

Mais le plus difficile à digérer dans le divorce, encore plus que dans n’importe quelle situation où l’on a à faire à un avocat ou un notaire, c’est finalement d’avoir à payer de la TVA sur la facture finale. Sur les œufs ou le papier hygiénique, on rechigne, mais c’est rentré dans les mœurs, sur les travaux de salle de bains, on peut y échapper si on paie en espèces, mais sur le divorce, ça passe mal, la TVA ! J’aurais divorcé sans valeur ajoutée que j’aurais peut être moins déprimé ou du moins j’aurais mieux encaissé le coup.

19.6% en plus sur la narration des scènes de ménage, sur les objets projetés et brisés, sur les amants et maitresses c’est beaucoup trop, surtout si ces tiers n’étaient que d’épisodiques produits de consommation courante et non des articles de luxe. Dans ce cas, 5.5% auraient largement suffi comme sur les carottes et les laitues.

Certes, la TVA, on l’acquitte aussi sur les alliances, la robe de mariée et sur les petits fours surgelés. Mais à cette époque, on est encore aveuglé par le bonheur imminent, la logomachie nuptiale, le poids pesant des coutumes et le mimétisme des traditions. Ce n’est pas encore le temps de renâcler, mais celui de la béatitude larvaire.

Et puis si l’on aime l’exotisme, on peut toujours obtenir la détaxe en expédiant le tout sous les cocotiers. De préférence dans un pays récemment victime du terrorisme islamiste, comme ça on décroche en plus une importante ristourne sur la nuit de noces dans un 4 étoiles au trois-quarts vide de clients ! Se marier là où Ben Laden a récemment sévi, voilà l’avenir des fauchés en quête de nuptialité bon marché ; et en plus, quel panache ! Par contre, on ne divorce pas hors-taxes. J’ai demandé à mon avocat, ça ne marche pas pour les non résidents ; j’avais pourtant tenté ma chance en exhibant ma carte consulaire !

Il existe déjà des lieux spécialisés dans le mariage express comme Las Vegas, ou Nicosie pour les Israéliens et les Libanais de confessions différentes, d’autres villes se sont cantonnées dans le divorce rapide comme Reno. Jadis, jusqu’à la fin des années 80, les Belges qui avaient de très grandes difficultés de procédure dans leur pays se rendaient à Port-au-Prince au Bureau des Divorces des Etrangers. Par contre, il n’existe encore aucun endroit où l’on pratique la dissolution du couple en Duty Free, ça pourrait cependant en intéresser quelques-uns !

Malgré tout, même si l’expérience de convoler en gilet pare-balles entouré de jenjawids, de peshmergas ou de moudjahidines est intellectuellement tentante, le plaisir qu’on en retire est très fugace à côté de ce qui vous attend par la suite tout au long d’une interminable vie conjugale des plus basiques. Bien évidemment cela ne se passe pas toujours comme cela. Certains vieux ménages, quand les enfants ont depuis longtemps quitté du domicile, à l’âge de la prostate, du sonotone et du dentier, en sont arrivés à se regarder tendrement à la table de cuisine en partageant un morceau de brie (le brie cimente le couple) tout en lorgnant TF1 sur l’écran plat de leurs nuits blanches. Ils sont heureux et apaisés, ceux-là !

Mais hélas, trop souvent, le couple est une guerre de tranchée larvée permanente et insidieuse.

La vie de tous les jours, c’est bien trop compliqué. Car ce n’est pas donné à tout le monde la chance de réussir la banalité quotidienne ou d’attraper prématurément un cancer du poumon pour régler ses problèmes de conjugaux.



11 réactions


  • Sandro Ferretti SANDRO 17 novembre 2009 10:28

    Rien que pour la superbe citation de Georges Arnaud ( qui m’a ramené 30 ans en arrière), j’ai plussé.
    Je le soupçonne cependant de s’étre inspiré de la préface du « Voyage »...
    Mais bon, ce sont des romans, des histoires fictives. « Littré le dit, qui ne se trompe jamais ».


  • Annie 17 novembre 2009 13:16

    @George,
    J’ai adoré. Je ne sais ce qui m’a fait le plus rire, de la TVA sur le divorce ou d’imaginer une nuit de noce bradée dans les décombres du Marriot d’Islamabad, dans la rubrique mariages thématiques. Mais votre misanthropie et votre « désabusion » comme disait Nino Ferrer me gène aux entournures. Est-il trop tard pour vous souhaiter une grande et folle passion ?
    http://www.frmusique.ru/texts/f/ferrer_nino/desabusion.htm


  • Sandro Ferretti SANDRO 17 novembre 2009 13:28

    @Annie,
    Ah, gaffe, si vous parlez du Sud et de la désabusion, je vais tomber amoureux, et ça coute cher , sans préjudice des blessures qu’on peut se faire dans la chûte.
    Rendez -vous dans le champ de blé, à Montcuq :

    http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/extraits-d-ouvrages/article/nino-ferrer-au-sud-de-la-memoire-47879


    • Annie 17 novembre 2009 16:42

      @Sandro,
      Belle proposition que la vôtre. J’avais lu votre article mais j’ai pris grand plaisir à le relire. J’aime le mot désabusion qui me fait penser à une des chansons de Barbara, Sid’amour à mort, pour laquelle comme avec désabusé et disillusion, elle joue et se joue des mots pour faire du sida un messager de la mort (du moins à l’époque) : http://www.frmusique.ru/texts/b/barbara/sidamouramort.htm


  • Fergus Fergus 17 novembre 2009 13:57

    Salut, Georges.

    J’ai beaucoup apprécié ce texte, à la fois bien écrit et... foisonnant. A tel point que je vais le relire, moi qui n’ai jamais connu ni divorce ni même difficulté de couple (jamais une scène de ménage en 38 ans de mariage !).

    Cela dit, il y a beaucoup de vrai dans ce papier, si j’en juge à l’aune des expériences des personnes qui m’ont entouré, notamment dans ma vie professionnelle.

    Merci pour le lien sur l’article de Sandro qui m’avait échappé lors de sa publication. Un bien beau papier là aussi !

    Bonne journée.


  • rocla (haddock) rocla (haddock) 17 novembre 2009 14:19

    La vie de tous les jours, c’est bien trop compliqué. Car ce n’est pas donné à tout le monde la chance de réussir la banalité quotidienne ou d’attraper prématurément un cancer du poumon pour régler ses problèmes de conjugaux .

    Un peut parler d’ une chute d’ airain là .. 


    Excellent Yang


  • Yohan Yohan 18 novembre 2009 00:02

    Un nartik de Georges Yang, ça ne se refuse pas, comme ceux de Sandro, Fergus, et d’autres du même tonneau de cidre bouché. Je fais pas le tri entre toutes ces mini prévenances qui pourraient cependant instruire bien des jeunes gens qui ambitionneraient de comprendre quelque chose à la gente féminine et au couple. Or, je n’ai pas vu (où j’ai loupé) un condensé à la fois si pointu et si désabusé de ce qui les attend.... 


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