Enquête sur l’éco-techno-fascisme
Le 21ème siècle n’a rien d’une embellie annonçant un monde démocratique et éclairé acquis à la force des armes et des pensées avec le triomphe du monde libre contre le nazisme et le soviétisme. D’une part, le nazisme a été vaincu par les armes mais les idées fascisantes ont suivi leur cours et pris des aspects inédits pendant le 20ème siècle. D’autre part, le soviétisme s’est effondré plus qu’il n’a été vaincu. Les démocrates du monde libre se sont enivrés un peu rapidement, alors que le choc des civilisations est un écran de fumée masquant les véritables enjeux déterminés par la technique, le numérique et l’impact sur les sociétés. Je crois qu’on peut parler d’un nouvel ordre fasciste diffus lié aux technologies et aux idéologies qui prennent naissance dans ce terreau numérique (clin d’œil au lecteur, je viens de corriger un lapsus qui m’avait fait écrire « terreur numérique »).
Les mots ne sont pas faciles à choisir. Totalitarisme ou fasciste ? Le premier renvoie à des systèmes politiques du 20 siècle qui n’existe plus. Le fascisme aussi mais il engage un sens plus général avec une plasticité sémantique qui permet de désigner la contrainte non légitime exercée par un groupe d’hommes sur les populations qu’ils dirigent. Ce sens signifie aussi dictature. Quant à l’écofascisme, cette notion a sa notice wikipédia. Je l’ai consultée et je dois constater qu’elle ne correspond pas à ce que j’ai en tête. L’écofascisme est en effet défini comme une sorte de sectarisme naturaliste dirigé contre les progrès technologiques et donc à mi chemin entre les mouvances volkisch de l’Allemagne vers 1900 et des communautés sectaires comme par exemple les amish. Comme je l’ai précisé, le préfix « éco » signifie en premier lieu un mode de vie lié à l’usage des technologies, une sorte d’écologie sanitaire pratiquée dans un milieu irrigué par le numériques et parsemé de capteurs. L’écofascisme pointe alors des pratiques et des discours qu’on trouvera chez quelques personnalités, de Al Gore à Nicolas Hulot en passant par Anne Hidalgo et Ségolène Royal, sans oublier l’agité du parti de gauche qui s’est rallié récemment à la cause écolo.
En guise d’interlude, je suggère cette maxime universelle fondée sur les événements de 1793. Toute révolution contient en germe sa terreur. Cette maxime s’applique aussi aux révolutions techniques. La révolution industrielle de la fin du 19ème siècle contenait en germe les terreurs politiques qu’on a connues au 20ème siècle. La révolution numérique ne contient-elle point une terreur d’un genre nouveau ?
La modernité est née progressivement, avec comme principe fondamental la transition d’un mode de communion au mode d’action. La technique en découle. L’homme moderne est un agent (opérateur) orienté vers la matérialité, l’extériorité, la communication. L’univers numérique ne peut que favoriser les desseins de ces agents d’un monde devenu hypermoderne. La notion d’agent et d’opérateur est opposée à celle d’acteur au sens philosophique, l’acteur étant un sujet qui réfléchit au sens de son existence, son histoire, le scénario qu’il écrit avec d’autres et sa présence comme acteur sur la scène. On le retrouve avec la figure du penseur sur scène dessinée par Sloterdijk qui lui oppose la figure du penseur hors de la scène incarnée par Heidegger. Pour faire court, on oppose les agents opérateurs du monde aux penseurs, lesquels sont plus ou moins sur la scène mais possèdent en commun une conscience éthique, spirituel et un souci moral. Pour faire encore plus court, il y a le monde des opérateurs et le monde des sages. Le fascisme qui vient repose sur le monde des opérateurs. Quelques pistes déclinées en plusieurs points.
(1) Le calculateur, une figure métaphysique. Jünger avait vu dans le Travailleur une figure métaphysique dans les sociétés militaro-industrielles des années 1930. La fin du 20ème siècle a vu apparaître une nouvelle figure métaphysique, celle du Calculateur. Alors que le travailleur est derrière la machine, avec les manettes pour commander et diriger les opérations, le calculateur est face au computer, avec le clavier, la souris et l’écran plat. Tous les secteurs industriels et bureaucratiques de pointe incorporent la figure du calculateur. C’est notamment le cas dans les nouvelles start-up redevenues à la mode après les déconvenues du krach boursier lors du passage à l’an 2000. Le calculateur définit à la fois une figure professionnelle et une modalité existentielle. Avec cette autre figure qu’est le bourgeois calculateur. Faire des calculs, utiliser des technologies n’a rien de répréhensible ni d’immoral et c’est même utile pour gérer les moyens dont on dispose pour ce passage sur terre dont l’espérance de vie est de quelque 80 ans. Par contre, être calculateur définit une attitude face au monde. Disons une manière de vivre avec un quotidien occupé par des tâches diverses d’opération, de surveillance, de réception ou envois de messages, d’instructions. Calculer c’est aussi établir une feuille de route pour la journée ou une durée plus étendue. Et bien d’autres choses.
Si le fascisme politique impose une manière de penser, alors le techno-fascisme avec ses normes impose une manière de faire et de consommer. Avec le calcul comme fenêtre encadrant les paramètres de l’action ou alors les mesurant.
A suivre ?