vendredi 26 juin 2009 - par Fredon

Entretien avec Daniel Vuillon, agriculteur, initiateur des AMAP en France

Cet agriculteur varois est l’un des intervenants des Rencontres internationales autour de l’économie équitable et pour des territoires ruraux durables qui se tiendront au Venezuela du 24 au 28 août 2009

Organisées à Quibor par les Alcades de Jimenez-Palavecino-Pena, sur la proposition de l’ambassade de la République bolivarienne du Venezuela en France, ces rencontres sont conçues, corrdonnées et animées par Sylvie Mayer et Jean-Pierre Calder, responsables d’Agir Pour une Economie Equitable (Ap2E) sous forme de visites d’ateliers, de conférences d’échanges d’expériences, et de débats réunissant notamment des participants du Venezuela, du Brésil, du Nicaragua, du Niger, du Japon, du Canada, de France...qui cherchent à promouvoir une économie alternative, sociale et solidaire dont on parle trop peu mais qui existe dans de nombreux pays et qui répond à d’autres critères que ceux du tout marchand et des conséquences sur le monde paysan, sur la qualité de notre alimentation, sur ses incidences en matière de santé comme sur la sous-alimentation qui frappe plus d’un milliard d’êtres humains.
 
Daniel Vuillon, agriculteur varois, l’un des intervenants à ces rencontres, est, avec son épouse Denise, à l’origine du développement des AMAP (association pour le maintien de l’agriculture paysanne) associant consommateurs qui paient à l’avance ce qu’ils veulent manger et agriculteurs qui produisent, ici fruits et légumes, distribués dès le ramassage, deux fois par semaine directement aux partenaires consommateurs qui bénéficient de produits frais et sains, au rythme des saison, sans intermédiaires, sans frais d’emballages, de conservation, de transport, ce qui permet aussi de garantir un revenu décent aux agriculteurs et à leurs salariés.
 
Comment est né ce concept ?
 
DV : l’idée est née au Japon, au début des années 60, à partir de mères de familles inquiètes de l’insécurité alimentaire, concrétisée par la maladie de Mimata, un petit port de pêche où l’on vendait du poisson ayant absorbé des métaux lourds, ce que ne supportaient pas les consommateurs. Ces mères de familles ont cherché des producteurs locaux qui garantissaient la qualité de leurs produits alimentaires, moyennant quoi elles participaient aux frais de la production et garantissaient son écoulement. C’étaient les premières teikei (transparence) et le même concept d’économie solidaire dont nous nous sommes inspirés et que nous avons appelé AMAP.
 
Quarante ans après, un Japonais sur trois s’alimente selon des procédés alternatifs, partenariats producteurs/consommateurs, énormes coopératives de consommateurs etc...le Japon étant le seul pays développé à avoir gardé ses agriculteurs qui représentent 15% de la population alors qu’en France, la population paysanne est tombée à 0,8% !
 
La situation du monde paysan (je ne parle pas des gros agriculteurs mais des exploitants familiaux) ne cesse de se détériorer, comme l’illustre l’actualité, avec, en ce moment, le problème du lait que les gros distributeurs paient aux petits producteurs moins chers que les coûts de production !
 
Comment sont apparues les AMAP en FRance ?
 
DV : c’est au cours d’un voyage aux Etats-Unis que nous avons découvert le concept. Dans la région de New-York, nous avons assisté à une distribution à plus de 250 personnes, visité des fermes en pleine santé qui produisaient en association avec des consommateurs, rencontré des consommateurs, ce qui nous a conduit, mon épouse Denise et moi, à témoigner, lors d’un débat d’ATTAC à Aubagne, c’était en 2001 et, quelques mois plus tard, nous passions aux travaux pratiques avec un groupe de 40 consommateurs d’Aubagne. Pendant tout l’été qui a suivi, nous avons transformé notre exploitation qui se trouve à Ollioules, en limite de La Seyne-sur-Mer et de Toulon, jouxtant une très grande surface.
 
Six mois plus tard, trois groupes de 50 s’étaient constitués dont un à Aubagne. Grâce à la confiance des gens, on a une production 100% saine et fraîche et, depuis 2003, on produit uniquement pour les AMAP, une AMAP étant un groupe associé au producteur. Il faut compter, pour un groupe de 40 familles, un hectare pour la production de fruits et légumes. Un couple peut vivre avec deux hectares, pas avec des revenus mirobolants, mais garantis et avec beaucoup moins de contraintes.
 
Le calcul du prix du panier se fait en incluant l’ensemble des coûts de production, pas du tout en fonction des cours du marché. Il est conçu pour une famille (couple et deux enfants), avec un minimum de dix produits par saison. La distribution se fait une fois par semaine, après le ramassage.
 
Aux Olivades, sur l’année comptable, le prix est de 25,5 euros. La répartition actuelle du prix du panier est de 23,5 euros pour l’hiver, 27,5 euros d’avril à fin septembre. L’AMAP nous a permis de pérenniser cinq emplois.
 
Où en sont les AMAP aujourd’hui ?
 
DV : il y en a 135 en Provence et 2000 en France, un chiffre qui double pratiquement tous les ans. Toutes les fermes en AMAP qu’on a accompagnées, ont perduré. Ce qui nous a incités à créer un centre de ressources pour l’essaimage des AMAP en FRance (CREAMAP) dont s’occupe très activement Denise.
 
Alors que l’agriculture péri urbaine a gravement disparu partout en France, à Aubagne, par exemple, l’AMAP a permis la reprise des fermes et le maintien des enfants sur l’exploitation et ainsi de rompre le cycle infernal de la disparition des petites exploitations familiales sous l’effet d’une concurrence déloyale organisée à l’échelle nationale, européenne et mondiale, répondant à des critères productivistes, spéculatifs et financiers mais pas aux besoins des populations de disposer d’une agriculture de qualité et de proximité.
 
Ce concept de sécurité alimentaire, de suffisance et de qualité, est l’une des questions essentielles qui se pose au monde entier, avec celle de l’eau et de l’air qu’on respire, pollué par quantité de choses qui menacent notre environnement et notre santé.
 
C’est un combat qui me tient à coeur et que nous nous efforçons de mener concrètement, à moins de considérer qu’il y a une fatalité au recul de l’agriculture aussi, des espaces agricoles, y compris dans les zones péri urbaines où le foncier est plus cher, trop cher pour les jeunes et incitatif à la vente de terres agricoles.
 
N’est-ce pas le combat de David contre Goliath ?
 
DV : est-ce une raison de se résigner sous prétexte que le combat est difficile, inégal ? Je participe à un groupe de travail au ministère de l’agriculture qui a, pour la première fois, pris en compte cette question de la réhabilitation des zones péri urbaines à travers un plan en 14 points sur le développement des circuits courts, à condition que les terres soient disponibles et accessibles. Et pour cela exclusivement réservées à des activités agricoles. C’est un début.
 
Il va falloir légiférer et faire en sorte que dans les plans d’urbanisme et d’émènagement, les maires n’aient pas tous les pouvoirs sur chaque parcelle et qu’on mette en place les outils pour assurer l’autonomie alimentaire des populations. Il faut savoir que les terres cultivables en France disparaissent à la vitesse d’un département tous les dix ans.
 
Si tous les pays font ça, assurer leur indépendance alimentaire, la planète peut nourrir toute sa population et même au-delà. Ce n’est pas moi qui le dis, mais la FAO qui estime que nous avons de quoi nourrir une population de 12 milliards de personnes.
 
C’est de cette expérience de terrain que je veux témoigner lors de ces rencontres de Quibor en même temps que mieux connaître les conditions dans lesquelles évoluent d’autres pays où se développent des économies alternatives, équitables et solidaires.
 
Propos recueillis par
René Fredon
 


6 réactions


  • eugène wermelinger eugène wermelinger 26 juin 2009 15:59

    Excellent article M. Fredon (ou doit-on dire camarade, lol ?) qui m’a appris la génèse de ce mouvement.
    AMAP + SEL = même philosophie ?




  • plancherDesVaches 26 juin 2009 20:40

    Encore de la propagande pour faire payer une fortune des produits simplement naturels que tout agriculteur aura dans son jardin personnel.

    Allez, pour vous, une séance de « mots-qui-vont-bien »

    bio (logique)
    écologique
    recyclage
    développement durable
    transparence
    équitable
    ...

    Et un peu moins hypocrites :
    Moyenne d’âge de décès de 36 ans en Afrique (hors Afrique du nord)
    Mortalité infantile de plus de 50 % dans certaines zones d’Afrique
    Un milliard de personnes en sous nutrition extrême sur terre

    Je continue... ???


    • Marianne Marianne 27 juin 2009 13:14

      « Encore de la propagande pour faire payer une fortune des produits simplement naturels que tout agriculteur aura dans son jardin personnel. »

      Je ne comprends pas votre remarque. D’abord il ne s’agit pas de vendre des fruits et des légumes aux agriculteurs qui ont un jardin potager mais à des consommateurs qui n’en ont pas ou qui en ont un ne leur fournissant pas suffisamment de produits.

      Ensuite, il s’agit de court-circuiter la grande distribution qui nous vend des produits souvent importés, cultivés sous serre à coups d’engrais chimiques et de pesticides par une main d’oeuvre surexploitée (exemple du sud de l’Espagne) qui n’ont aucune saveur et qui génèrent de la pollution au CO2 car transportés sur des milliers de kilomètres, achetés aux producteurs à un prix dérisoire et revendus avec des marges faramineuses.
      Une samlade achetée 20 cts d’€ revendue 1,20 € par exemple. .

      Consommer local des produits de saison cultivés près de chez nous par des producteurs soucieux de l’environnement et de la tradition culinaire de notre pays, c’est bel et bien encourager et peut-être à terme relancer l’agriculture paysanne qui se meurt ici et ailleurs.
       
      Une réserve toutefois concernant le bio, donrt l’appellation est souvent utilisée pour multiplier par deux ou trois le coût des denrées.

      L’agriculture raisonnée qui répond aux 10 principes de l’agriculture paysanne ici :

      http://www.amisdelaterre.org/Les-10-principes-de-l-agriculture.html

      me paraît tout à fait appropriée pour une consommation réfléchie et respectueuse du consommateur et de l’environnement sans pour autant être réservée à des consommateurs aisés et « trouer » le porte-monnaie de la ménagère.


  • olaf_le_preux 27 juin 2009 12:59

    Merci pour cet article sur un sujet si important.

    Qui pose à sa manière la récurrente question de ce qui peut être appelé « progrès »...
    Nous sommes plus renseignés que nos grands-pères sur le sujet, mais sommes nous devenus plus sages ?


    • PR46 PR46 27 juin 2009 18:30

      Pour Marianne
      Je pense que tu dois être mal informée ou naïve je préfèrerai quand même le premier cas...
      Tu te permet de comparer l’agriculture raisonnée et l’agriculture durable ...c’est deux concept totalement différent autant pratiquement que philosophiquement...je m’explique l’agriculture raisonnée a été mise en place au travers du réseau FARRE (forum de l’agriculture raisonnée respectueuse de l’environnement ) )crée ou mise en place par l’UIPP (Union de la protection des plantes) qui réunie tous les fabricants industriels des produits phytosanitaires .Il finance directement ou indirectement cet organisme .L’agriculture raisonnée a pour principe de base : Le bon produit au bon moment à la bonne dose (Celle qui est légale sur les emballage des produits et qui correspond à l’homologation via l’AMM(Autorisation de mise sur le Marché...)
      Quant au cahier des charges de l’agriculture raisonnée il n’en existe pas ,c’est l’exploitation qui est accrédité après le passage d’une commision .Il existe un référentiel de l’agriculture raisonnée reprennant bon nombre des dispositions légales d’utilisation des produits phytosanitaires...principalement... ce type d’agriculture est principalement soutenue par le principal syndicat agricole (FNSEA et JA ’Fédération des syndicats des exploitations agricoles et jeunes agriculteurs)...
      Cette agriculture raisonnée n’a aussi rien à voir avec l’agriculture biologique qui elle s’interdit l’usage des produits chimiques de synthèse .
      Quant à l’agriculture durable et paysanne c’est un concept qui priviligie toute méthode alternative à l’utilisation des pesticides mais qui ne s’interdit pas d’y avoir recours aussi ...Celle ci met en avant l’aspect social du plus grand nombre de paysans pour rester sur les fermes et intègre le moindre impact sur l’environnement de par ses pratiques qui vont pour certains paysans rejoindre presque les pratiques de l’agriculture biologique mais sans aucune certification...
      Ce type d’agriculture a été mise en place par le réseau des CIVAM et a été soutenue par la Confédération Paysanne ’Syndicat agricole qui a toujours préché la qualité des produits agricole à l’inverse du productivisme et de l’industrialisation de l’agriculture..non aux hormones pour l’élevage non aux OGM,non à l’utilisation de pesticides dangereux pour le paysan et pour le consommateur,non à la disparition programmée des paysans...)qui soutient souvent les agriculteurs biologiques aussi ...
      En espérant avoir résumé de la façon la plus claire une petite partie de la problèmatique nous touchant nous les paysans mais aussi vous les consommateurs


    • Marianne Marianne 27 juin 2009 20:53

      Je ne pense pas être naïve mais d’après votre réponse je comprends que j’ai peut-être fait une confusion entre agriculture raisonnée et agriculture paysanne, deux appellations qui recoupent apparemment des pratiques et des statuts différents.

      Si j’ai bien compris vos explications, l’agriculture raisonnée est le fait de moyennes et grosses exploitations qui affichent une volonté d’utiliser les produits phytosanitaires et les engrais chimiques à bon escient, tandis que l’agriculture paysanne concerne les petits producteurs.

      C’est donc bien de la seconde que je voulais parler.

      Cependant, sur certaines cultures - je pense aux pommiers notamment - les techniques bio semblent délicates et coûteuses alors que sur d’autres cultures, elles donnent de meilleurs résultats.

      C’est pourquoi, comme les promoteurs de l’agriculture paysanne que vous citez, je pense que plutôt que de choisir entre le bio et le non-bio, les consommateurs devraient avant tout privilégier les productions locales et de saison non consommatrices de carburant pour le transport et génératrices de revenus pour les paysans de nos campagnes.

      Cette proximité permettant en plus de s’affranchir de l’entremise des grandes surfaces qui prennent de très confortables marges au passage. En ce qui me concerne, il y a plus de trois ans que je n’achète plus ni fruits, ni légumes, ni viandes, ni fromages, ni miel, ni confitures en supermarché...


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