mardi 22 mai 2007 - par L’enfoiré

Expérience, tu ne nous rattraperas jamais

L’homme a bâti son histoire et son progrès en fonction de son expérience, de ses succès et de ses échecs. L’ampleur des projets d’aujourd’hui, les défis de demain nécessiteraient une communion d’efforts moins disparates.

"Celui qui ne connaît pas l’Histoire est condamné à la revivre" disait Karl Marx.

Voilà la phrase que l’on entend souvent lors de la commémoration des génocides, des accidents, des drames pour exhorter les hommes à ne plus se lancer dans les mêmes entreprises ou à rectifier les erreurs qui ont coûté des vies humaines ou des efforts extraordinaires.

Pourtant, la leçon ne sert pas toujours et apparemment nous serons condamnés à revivre les mêmes expériences chacun de son côté sans jeter suffisamment de coups d’oeil dans l’assiette du voisin ou de partager avec lui ses propres compétences. "Faire et refaire, c’est aussi travailler !" serait-on tenter de conclure.

Les temps changent dans l’industrie qui doit assumer des risques.

Les prix Nobel de physique, de chimie, de médecine sont de plus en plus attribués à des équipes de travail. Mais nous restons convaincus de chercher des sponsors derrière des drapeaux, sous leur protection financière. Normal.

L’histoire raconte que pendant toutes les années de la guerre froide entre les États Unis et l’URSS, la conquête de l’espace a été une lutte de prestige pour être le premier à lancer son engins spatial, à envoyer le premier un être vivant dans l’espace, son premier homme à y graviter et son premier piéton sur la Lune. Premier ceci, premier cela, notion, cette fois, élevée à l’échelon d’un pays.

Cela s’est fait au prix d’efforts consentis énormes, de sommes colossales. Sommes qui n’ont pas toujours été recherchées par l’intermédiaire d’investissement à l’échelle correspondante à l’effort à consentir.

En 1989, le mur de Berlin est tombé et avec lui les barrières et l’URSS, elle-même, barrières qui empêchaient de travailler ensemble dans des projets aussi importants que ceux qui entourent le projet de conquête de l’espace. Les États-Unis et la Russie se rejoignent dès lors dans les projets ambitieux de l’espace. La Lune, à nouveau, revient comme tremplin cette fois à l’horizon de Mars. Image de réconciliation médiatisée ou changement de l’instinct de compétition ? Il s’agit plus de l’instinct qui reprend le dessus avec les coups de froid qui font présager à une nouvelle forme de guerre froide.

Pouvons-nous espérer que ces apartés sont terminés et que des projets ambitieux tels que l’envoi d’homme dans l’espace qui, jusqu’ici, n’ont atteint que la périphérie de notre Terre ? Eh bien non.

La concurrence est à nouveau là, franche et battante. Seuls les acteurs ont changé. Est-ce toujours à l’avantage du consommateur final ?

L’esprit de compétition, qui peut être tout à fait justifié dans d’autres domaines moins universels, a repris à nouveau le flambeau. Toujours la même lutte entre compétition et coopération !

En 2004, on comptait 70 satellites chinois. Le budget est évalué à l’époque de 50 à 70 milliards de dollars taïwanais pour le bord continental et de 1,6 milliard pour Taïwan. Le premier est considéré comme menace militaire par l’autre qui se veut plus tourné vers la connaissance scientifique et pour les retombées industrielles.

La Chine, qui sort de son isolement et de sa pauvreté, vient de faire revenir des hommes de l’espace.

Le vaisseau Shenzhou VI, qui a atterri le 17 octobre 2006 après un vol de cinq jours, a permis d’accomplir la première étape du programme chinois de missions spatiales habitées, qui s’intéressait au développement des véhicules spatiaux, a expliqué Tang Xianming, directeur du Bureau chinois d’ingénierie spatiale. Cette dernière mission de Shenzhou VI a coûté l’équivalent de 130,53 millions de dollars.

Les Taïkonautes arrivent. Fei Junglong et Nie Haisheng, à leur retour, ont été accueillis, à l’époque, en héros à Pékin, paradant dans une décapotable à travers une base militaire et sous les félicitations de milliers de soldats et de groupes d’écoliers. Voilà les mêmes phénomènes de société qui réapparaissent et dont il faudra s’habituer aux nouveaux noms encore plus exotiques.

« Selon nos estimations, nous pourrons accomplir des sorties dans l’espace (EVA) de nos astronautes vers 2007 », a déclaré Tang Xianming. Rien de nouveau pour l’homme si ce n’est pour une partie d’entre eux.

Erreur de traduction dans le mot "astronautes" ? La politique, à nouveau, joue le rôle du chacun pour soi et de la compétition pour raison unique de prestige. A qui le tour ?

Le patriotisme est un beau sentiment, peut-être, mais tellement peu efficace pour le genre humain en entier.

Nous n’en sortirons donc jamais d’avoir des hommes qui ne regarderont (ou qu’on poussera à ne regarder) que leur nombril sans oser élever la tête vers leurs semblables et ce qui existe ailleurs pour travailler de concert dans le même but.

Participer à des projets grandioses à l’échelle humaine peut faire avancer celui-ci beaucoup plus vite vers la réalisation des rêves. Il ne s’agit pas de réinventer la roue pour y arriver, mais peut-être lui poncer les angles et y ajouter l’huile pour lui faciliter le travail.

La Chine se défend en proclamant qu’il est un des plus grands pays du monde en satellites météorologiques et en météorologie par satellite. Oui, mais encore une fois, une collaboration mondiale pour un projet mondial ne serait-il pas la meilleure alternative ? La pollution due à l’encombrement des satellites qui se bercent dans le néant de la périphérie de notre Terre devient insupportable et cela pour des centaines d’années.

Ce qui se passe en Iran avec cette volonté de poursuivre les développements du nucléaire est aussi exemplaire de cette volonté de faire comme tout le monde mais dans l’aparté. La raison d’Etat décidera, elle, de soutenir ou de rejeter le même genre de problème.

Le projet ITER qui voudrait produire l’énergie sur Terre comme le ferait le Soleil, par la fusion nucléaire coûte très cher. "Rêve technologique, cauchemar économique" en a-t-il été dit. Voilà bien un projet dans lequel l’argent n’a pas tellement d’importance. Il en va du futur de la planète et de son énergie qui sera toujours en deçà de ce dont l’homme a besoin même s’il commence enfin à économiser son énergie.

medium_Experience_tu_ne_nous_rattraperas_jamais_Galileo.jpgEn 2002, le projet Galileo est lancé dans l’allégresse et la fierté de pouvoir réaliser sous le drapeau de l’Europe un programme révolutionnaire dans l’espace. Notre indépendance par rapport à la navigation par GPS américain serait assurée. En principe, du moins. En mai 2007, il faut déchanter. Le projet est dans l’impasse. Il avait été assigné à des groupements industriels se déchargeant, par là, de toutes responsabilités après une enveloppe de départ. Encore une fois, un ratage de niveau par rapport aux ambitions. Des dissensions entre les membres industriels et la CE en sont la cause principale. Les gouvernements impliqués veulent remettre les choses à plat. En espérant que ce ne soit pas encore les pieds dans le plat.

La notion d’appartenance à une entité de gens scientifiques de tous les horizons, est bien plus motivante en finale que d’être bridée à la taille d’un pays si grand soit-il. La dimension de l’entité devrait être en rapport direct avec l’importance du projet. Compléter les connaissances par les siennes n’est pas concurrencer. Faire bénéficier de ses découvertes au niveau d’un pays, et à fortiori de la part de blocs aussi puissants, devrait au moins sortir l’esprit de "copyright" de l’environnement de notre monde. Pour le savant, se retrouver dans le dictionnaire universel, n’est-ce pas la meilleure façon de marquer l’Histoire ? Faute de télécharger la connaissance in vitro ou in utero, chaque naissance génère une somme d’expériences humaines à revivre de A à Z et d’autres plus personnelles. Cela fait partie de l’évolution. Celle-ci va ajuster à son rythme les imperfections. L’homme pousse sur le champignon et il veut aller plus vite. Mais pour que les dernières lettres de l’alphabet ne se perdent dans le temps et dans les efforts inutiles, il conviendrait bien d’agrandir les esprits.

La mondialisation n’aurait-elle un aspect positif par l’élimination de doublons ? Elle aurait perdu son côté péjoratif en sortant de la motivation unique de faire de l’argent et d’exercer sa puissance à relativement petite échelle nationale.

Humoristiquement, à la belge, on pourrait dire : "Tout cela nous ne nous ramènerait pas le Congo".

Faire sa propre expérience, de réaliser certaines choses avec ses propres outils, ses propres connaissances, est nécessaire et très important pour se prouver à soi-même son utilité. Le prestige est tellement plus grand et l’esprit d’équipe n’a pas toujours le ressort suffisant pour permettre de se faire connaître, de se faire envier par le monde. Pourtant, avec cet esprit assez étroit, on se condamne à rester cantonné dans des limites de réflexions trop étroites. Placer la barre à bonne hauteur est une obligation de responsabilité. Ce n’est pas du temps perdu de la placer mais le faire avec le maximum de sécurité pour assurer et assumer par la suite, est une sagesse trop souvent méprisé. Les échecs les plus cuisants sont à l’origine de ce manque de clairvoyance, de prévoyance. Un projet se construit avec autre chose que du "y a qu’à". Une sous-estimation par l’étape "décisionnelle" sera ensuite à la tête d’une perte de temps, d’argent pour toutes les marches de l’échelle financière et humaine !

Car, plus prosaïquement, au bas de l’échelle de la compétition, on veut aussi rendre la grenouille plus grosse que le boeuf. Des projets ambitieux naissent et meurent par leur mauvaise appréciation des risques. Chacun a son propre niveau de compétence et d’incompétence. Mettre les moyens ad hoc est plus difficile qu’il n’y paraît quand il faut établir un prix et envoyer une offre à un client ou prospect. Tous les acteurs de tous les échelons devraient parapher les projets. Ce n’est pas cela qui est fait. Que du contraire. Les fusions à coup de milliards sont faites entre les entreprises imposant de fait et de haut en bas une philosophie traditionnelle du pouvoir d’une élite.

Privé et public harmonisés aussi au niveau social et fiscal dans un même combat par le partenariat. Le capitalisme est une voie. Il y en a d’autres à découvrir.

A réfléchir : "Les idées peuvent-elles évoluer autrement que par la compétition ?" Question suivante, tout aussi importante : "Les particularismes subsisteraient-ils avec l’intérêt pour tous les maillons de la chaîne, sans le pouvoir et l’argent en appui ?"

Alors, préconisons, peut-être, les ajustements des projets à la grandeur des tâches et des ambitions. Chaque homme, chaque entité commerciale ou publique, chaque bloc se verront un jour confrontés à ses propres limites face à l’immensité des projets qui auraient plus de chances à se placer au niveau supérieur ou même mondial. Étude de faisabilité, analyse de haut en bas et de bas en haut. Pas de honte à retirer ses billes quand il le faut. Attention au château de cartes.

La compétition entre blocs est peut-être motivante et productrice de résultats. Les réalités quand elles dépassent les fictions par leurs difficultés, il s’agit de les penser à la bonne échelle et de se positionner au niveau le plus adéquat pour s’assurer les meilleurs succès.

La coopération sans arrière-pensée, voilà le maître mot du futur. Les challenges que l’homme aura à affronter demain seront peut-être d’un autre ordre encore. Le problème du climat, le plus criant, pointe à l’horizon. La protection contre la chute des météorites par un bouclier à imaginer en est un autre. Bouclier qui serait bien plus efficace que celui que l’on veut réimplanter entre les deux anciens blocs. Le sommet de Samara ne réglera rien pour restreindre les tentions. L’Europe n’est pas prise au sérieux et pour l’homme de la rue russe est toujours considérée sans coopération comme un ensemble des nations d’avant l’UE.

Sans être alarmiste outre mesure, les défis de l’humain par rapport au réchauffement climatique, et qui n’ont rien à voir avec ceux des pays, sont bien là et il faudra prendre les problèmes ensemble sous peine de disparaître.

Il vaudrait mieux se préparer à cet état d’esprit. Nicolas Hulot exhortait la prise de conscience par ce slogan : "Redonnons du sens au progrès".

Recycler, utiliser en préférence ce qui est renouvelable. L’écologie n’est qu’un outil, une relance sous une autre forme de l’économie, un fardeau pour certains. Ce mouvement pourrait normalement rester apolitique car il n’a rien à voir avec une position dans l’échiquier politique. Mais, j’admets que pour être entendu...

La science et la nature sont aussi trop importants pour qu’on les laisse uniquement dans les mains des politiques. Remonter en dehors des budgets locaux, pour "adoucir" les problèmes que les chercheurs et scientifiques endurent pour vivre par manque de fonds.

Qu’on n’extrapole pas mes réflexions, tout de même. J’ai parlé de fusion de projets, de programmes et d’idées. J’ai parlé d’échange de savoir, mais pas de fusion d’idéologie, de sociétés étatiques, de nations, de sociétés commerciales dans le but de faire plus de profits ou d’élargir une puissance. On peut très bien avoir son "jardin secret", sa manière de voir le progrès et la défendre. Le pluralisme apporte l’effet de levier dans la compréhension de notre monde.

La devise belge, "L’union fait la force", serait-elle à l’honneur, un jour, dans une élan d’humanisme ?

Pour ce XXIe siècle, oserait-on espérer que l’on aura dépassé un jour ce cocorico des nations quand il s’agit du progrès de l’Homme avec un grand ’H’ ? C’est une autre forme d’altermondialisme. La planète n’a peut-être rien à y gagner vu ce que notre humanité lui a fait subir jusqu’ici. La nature a dû apprendre à partager équitablement son espace et son temps avec nous.

Autant que cela soit sous de meilleurs auspices pour les deux, pour réaliser un rêve et non un cauchemar.

  • "C’est seulement dans l’imagination des hommes que chaque vérité trouve une existence réelle et indéniable. L’imagination, et non l’invention, est le maître suprême de l’art, comme de la vie.", Joseph Conrad
  • "L’invention technique procède de l’homme seul et non de ses besoins vitaux, mais de ses rêves, c’est-à-dire de ses vrais désirs.", Denis de Rougemont

  • "On a mis pas mal de temps pour inventer la roue et beaucoup moins pour inventer le roue de secours", Philippe Geluck

  • "Notons que si les premiers seront les derniers et que les derniers seront les premiers. Ca ne change strictement rien pour ceux qui sont au milieu.", Philippe Geluck




7 réactions


  • Boileau419 Boileau419 22 mai 2007 10:37

    La phrase « celui qui ne connaît pas l’histoire... » est du philosophe américain Santayana. La version exacte dit ceci :

    ’Those who cannot remember the past are condemned to repeat it.’ Life of Reason, Reason in Common Sense, Scribner’s, 1905, page 284"

    Ceux qui ne font pas l’effort de souvenir du passé sont condamnés à le répéter.

    William L. Shirer a fait de cette citation l’épigraphe de son « Rise and Fall of the Third Reich (1959) ».


    • L'enfoiré L’enfoiré 22 mai 2007 10:49

      Salut Boileau,

      Tu as peut-être raison, mais alors il y a le site evene qui n’a pas la bonne source. Mes citations, je vais les chercher chez eux. La paternité d’origine est probablement usurpée par Karl Marx. Nous n’y étions pas pour vérifier donc il faudra se rappeler de l’essence de la phrase. Désolé pour l’auteur. smiley


  • Nicolas Nicolas 22 mai 2007 10:50

    « Pour ce 21ème siècle, oserait-on espérer que l’on aura dépassé un jour ce cocorico des nations quand il s’agit du progrès de l’Homme avec un grand ’H’ ? »

    L’homme avec un grand H n’est qu’une abstraction vide de sens et sans réalité aucune. Pourquoi se sacrifier pour une abstraction ?


    • L'enfoiré L’enfoiré 22 mai 2007 11:12

      Cher Nicolas,

      C’est ta conception. Tu intéresseras énormément de monde avec tes paroles. On aime.

      Pour moi, l’homme est un cran au dessus. L’abstraction est dans le fric et ses effets. Il n’est pas question de sacrifice du tout, bien au contraire. Il est question trouver des terrains de compétences à mettre en commun pour voir l’avenir avec plus de sérénité.

      Par rapport à l’animal, nous avons perdu une donnée essentielle : l’instinct de conservation.

      Maintenant, libre à toi de foncer sans réfléchir car cela aussi fait partie des avancées : la liberté de pensée. smiley


    • Nono Nono 22 mai 2007 23:36

      nicolas,

      Les hommes avec un tout petit ’h’ minable ne voient ni le « h » normal ni le grand « H » ! Parce qu’ils sont, tout simplement, invisibles et aveugles en même temps, une sorte d’abstraction aberrante de notre race humaine !

      Des sous hommes, quoi ! Tu vois ce que je veux dire ? smiley


  • Nono Nono 22 mai 2007 23:26

    Salut l’enfoiré,

    Toujours des beaux billets à ce que je vois !

    L’expérience ne sert à rien, « c’est une lanterne que l’on porte sur le dos » or qu’on devra l’avoir devant pour éclairer notre chemin.

    « L’expérience et l’histoire nous enseignent que peuples et gouvernements n’ont jamais rien appris de l’histoire, qu’ils n’ont jamais agi suivant les maximes qu’on aurait pu en tirer. » (Hegel, Leçons sur la philosophie de l’histoire)

    Et s’ils ont appris quelque chose de l’histoire c’est de ne rien apprendre de l’histoire.

    Le challenge à relever sera de se réunir face aux grands défis qui guettent l’humanité, dans le respect pour le bien de tous.

    P.S. : J’ai piqué deux de tes citations smiley

    Bien cordialement,

    Nono


    • L'enfoiré L’enfoiré 23 mai 2007 08:19

      Salut Nono,

      Merci pour l’appréciation. L’article, sur mon site, se termine ainsi :

      "Faut pas rêver ! Mais, si..."

      En Belge, je dirais même : « Non, peut-être ». Traduction française, « Oui, assurémént » smiley


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