Expérimentation animale : deux chercheurs en débattent
Cela aura pris plus d’un an mais le débat vient bien d’avoir lieu. Les animaux peuvent-ils être considérés comme des modèles biologiques de l’homme ? Et, à ce titre, être utilisés dans les laboratoires pour des recherches censées fournir des données pertinentes pour comprendre et guérir les maladies humaines ?
Cela fait plus d’un an que nous demandions au CNRS, à l’INRA, à l’INSERM et à leurs ministères de tutelle, d’organiser un débat strictement scientifique (la défense et les droits des animaux ne relèvent pas de sa compétence) sur cette question. Aucun de ces trois Etablissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) n’avait accepté. Les ministères n’avaient même pas répondu.
Félicitons et remercions la Cité des Sciences et France Inter qui ont organisé ce débat, d’un grand intérêt pour tout un chacun puisque les politiques de santé publique (prévention, moyens alloués à la recherche…) découlent des moyens de recherche disponibles. Les auditeurs de France Inter ont d’ailleurs plébiscité le sujet et le site de la radio a été submergé de centaines de commentaires, un nombre « tout à fait exceptionnel », d’après le journaliste animateur de l’émission, Mathieu Vidard. Jusqu’à quand les autorités continueront-elles à ignorer les attentes de la population ?
A la Cité des Sciences (le 7/12/13) et sur France Inter (le 10/12/13), le débat a opposé François Lachapelle, directeur de recherche à l’INSERM et président du GIRCOR, et Claude Reiss, président d’Antidote Europe et ex-directeur de recherche au CNRS.
Il y a encore quelques années, certains chercheurs qui utilisaient des animaux prétendaient qu’il n’y a pas de débat au sein de la communauté scientifique sur cette question, que tous les chercheurs s’accordent pour dire que la recherche animale est nécessaire au progrès de la médecine humaine. La preuve est désormais faite que, oui, il y a un débat sur la pertinence du « modèle animal », oui, certains chercheurs pensent qu’il est pertinent, d’autres chercheurs pensent qu’il n’est pas pertinent. Il serait donc temps de tirer cette question au clair.
Une heure ou une heure et demie de discussion face à un public non scientifique n’est pas suffisant. Un débat dont l’enjeu est la santé publique devrait être organisé de façon formelle par les ministères concernés, devrait donner lieu à un rapport présentant des conclusions claires et des recommandations sur l’orientation des politiques de santé et de recherche biomédicale. Un tel rapport devrait être mis à disposition du public afin que chacun puisse évaluer les mesures concrètes qui seraient prises suite à ses recommandations.
Les scientifiques d’Antidote Europe notamment, seraient prêts à participer à ce débat, à démontrer qu’aucune espèce animale n’est le modèle biologique de l’homme. Qu’en est-il des chercheurs qui défendent l’expérimentation animale ?
Il est de toute façon temps d'accepter que le vent tourne
Nous vivons à l’ère des traitements médicaux basés sur des preuves (de l’expression anglaise « evidence-based »). Que signifie « traitement médical basé sur des preuves » ? Considérons la déclaration suivante : « Au début des années 1980, chaque hôpital avait sa propre méthode pour traiter une personne victime d’une attaque cardiaque. Ces méthodes étaient majoritairement basées sur l’opinion et la culture locale. L’adoption de plus en plus généralisée de traitements et systèmes basés sur des preuves en médecine clinique supprime la part de conjectures dans le traitement de l’infarctus du myocarde et la remplace par des méthodes dont l’efficacité a été démontrée. » (1)
Selon les normes actuelles, les expériences sur des animaux ne remplissent pas l’exigence d’être basées sur des preuves (2). Cette affirmation est démontrée de façon éclatante et beaucoup d’arguments viennent de l’industrie pharmaceutique (3). Nous devrions tous savoir, à présent, que les tests faits sur des animaux pour prédire la réponse humaine à des médicaments ou à des maladies sont aussi fiables que de jouer à pile ou face. Utiliser les résultats de tels tests ne relève pas de la médecine basée sur des preuves, cela relève de la conjecture.
Le problème ne vient pas d’un manque de technologie pour remplacer les tests sur des animaux. La technologie existe déjà et elle est améliorée de jour en jour. Le vrai problème consiste à communiquer cette bonne nouvelle au grand public, aux médias et aux responsables politiques, la plupart desquels acceptent le mantra colporté par le lobby de l’expérimentation animale, qui présente cette pratique comme un « mal nécessaire ». Lorsque le grand public connaîtra la vérité scientifique, il rejettera les tests sur des animaux, les jugeant pour la cruelle tromperie qu’ils sont en réalité. Le défi est de communiquer un message scientifique complexe à un public peu formé en la matière.
Une autre approche est d’informer les scientifiques, en particulier ceux qui travaillent dans la recherche et les tests. Beaucoup, dans la jeune génération, sont familiers des concepts de la science moderne, tels la biologie du développement évolutionnaire : « Cela peut paraître surprenant mais les ingrédients génétiques qui vous forment sont étonnamment similaires à ceux qui forment une mouche. Alors, pourquoi une mouche adulte et un humain adulte paraissent-ils si différents ? La réponse est à chercher dans le comment, où et pour combien de temps ces ingrédients « s’allument » durant le développement embryonnaire. La complexité de ces premières étapes de la vie est révélée grâce à la nouvelle discipline « evo-devo », abréviation pour « biologie du développement évolutionnaire » (4).
Ici, nous nous heurtons à un nouvel obstacle : le « personnel en charge ». Ces responsables sont, le plus souvent, des personnes âgées qui auraient dû rentrer à la maison depuis longtemps mais qui demeurent à des postes où ils ont le pouvoir de décider si on doit utiliser des animaux ou des méthodes sans animaux pour tester des médicaments et autres substances chimiques. Ces individus appartiennent à l’ancienne génération de scientifiques. Ils ne maîtrisent pas les notions de la science moderne. Beaucoup sont bloqués dans la science du XIXème siècle et ne peuvent pas, ou ne veulent pas, abandonner le « modèle animal ». Si la société ne réagit pas et attend simplement que ces responsables de la réglementation prennent leur retraite et soient remplacés par des scientifiques plus jeunes, les tests sur des animaux seront probablement abandonnés d’ici 20 à 25 ans.
Mais nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre. Parce que les substances chimiques approuvées suite à des tests effectués sur des animaux sont en train de détruire notre santé et de compromettre la santé (et même peut-être la venue au monde) des générations futures. Et nous ne devrions pas attendre, car la science moderne est du côté de ceux qui démontrent que les tests sur des animaux ne marchent pas. Nous devons par conséquent faire tout ce qui est légitimement en notre pouvoir pour introduire aux postes de responsabilité la jeune génération de scientifiques et, avec elle, les méthodes de test basées sur des preuves, qui utilisent du matériel humain et non du matériel animal, pour produire des données pertinentes pour l’homme. Il est temps pour les chercheurs qui utilisent des animaux d’accepter que le vent tourne.
(2) Revues systématiques des « modèles animaux » http://www.medsci.org/v10p0206.htm
(3) Les « modèles animaux » sont-ils prédictifs pour l’homme ? http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19146696
(4) http://www.pbs.org/wgbh/nova/evolution/what-evo-devo.html